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05/09/2019

Une civilisation à bout de "souffle"

«"On ne comprend rien à la civilisation moderne, écrivait Bernanos (...), si l'on n'admet pas d'abord qu'elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure..." Oui, contre tout ce qui aura eu du prix pour les êtres de ma race : une vie recueillie dans une maison ancienne où ont vécu avant nous ceux dont nous sommes issus et que nous avons aimés, et d'où ils souhaitent de s'éloigner le moins possible, car c'est là et nulle part ailleurs qu'ils communient à la terre et que les constellations leur sont familières, et que le vent dans les branches leur parle avec une voix humaine. Je hais tout ce qui interrompt la réflexion, tout ce qui attente au silence, hors la musique qui ne trouble pas le silence parce qu'elle naît de lui et s'en nourrit.» Ainsi s'exprimait François Mauriac dans son Dernier bloc-notes 1968-1970 (Flammarion ou Points).

Qu'ajouter ? L'essentiel en quelques lignes est dit. Et d'abord cette idée fulgurante de Bernanos : la civilisation moderne bannit toute vie intérieure, c'est-à-dire toute vie de l'esprit, toute vie morale, spirituelle..., toute conscience. En étant dévoreuse de temps, de calme, de solitude choisie... ; et parce que la vie intérieure est un obstacle aux influences extérieures et à tous les trafics, commerces, corruptions.

Le tapage et le remue-ménage du monde saturent nos facultés de perception. Nous devenons aveugles et sourds, rétifs devant tout effort intellectuel. "Vite fait, mal fait", voilà ce qui caractérise notre civilisation hyperactive, où l'urgence inhibe la réflexion, la concentration, la prudence et jusqu'à la conscience professionnelle, où de plus en plus d'actions sont faites à la hâte et sans soin, et où la mauvaise volonté progresse.

Une existence paisible et méditative, sédentaire, centrée sur la vie intérieure, isolée du monde extérieur, détachée des choses terrestres, en communion avec la nature, sachant prendre le temps, cultivant l'amour du travail bien fait, baignant dans la grande musique..., devient un anachronisme dans une civilisation pleine de bruits et de fureurs, de laideurs et de puanteurs, qui court à perdre son "souffle", à sa perte qui sait ?

«Abandonnez toute espérance, vous qui entrez», telle était l'inscription placée sur la porte de l'Enfer de Dante. Pour sortir de l'enfer terrestre et établir un paradis sur la terre, peut-être nous faut-il marquer une pause et raviver notre flamme intérieure en renouant avec des idées, des lois, des valeurs, des vérités absolues et immuables. Et cesser, comme disait Mauriac, «cette folie qui nous porte à sacrifier l'éternel au périssable»*.

* Souffrances et bonheur du chrétien, éditions Grasset