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07/11/2014

Prêts pour remonter la pente ?

On connaît de Tocqueville ceci : «L'espèce d'oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée (...). Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme».

On connaît moins la suite : «Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.

«Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent,...

«... pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir.» Hervé Kempf cite ce long passage dans son livre Comment les riches détruisent la planète aux éditions du Seuil. Et voilà qu'apparaît sous nos yeux la réalité d'aujourd'hui, mais plus encore ce qui nous condamnera dans l'avenir si nous ne réagissons pas. La pente naturelle de nos démocraties libérales est la satisfaction des ego : incompatible avec ce que réclament les défis futurs.

Toutes les promesses passées et présentes n'y peuvent plus rien. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que demain sera plus difficile qu'aujourd'hui et que la modération, la réduction de la consommation matérielle sinon la restriction pourraient bien être les seules voies d'avenir pour l'humanité. Sommes-nous prêts pour «l'époque d'exigences et de renoncements âpres qui nous attend» (Hans Jonas), prêts pour remonter la pente ?

Ne doit-on pas pour nos contemporains, comme Alexis de Tocqueville le confesse en 1840 à propos des siens, trembler «qu'ils ne se laissent enfin si bien posséder par un lâche amour des jouissances présentes, que l'intérêt de leur propre avenir et celui de leurs descendants disparaissent et qu'ils aiment rien mieux que suivre mollement le cours de leur destinée que de faire au besoin un soudain et énergique effort pour le redresser» ?

09/09/2014

Des fidèles gagnés par le doute

Comme Jean-Luc Gréau la dernière fois, Jean Peyrelevade ne remet pas en cause le capitalisme dans son ensemble. «// n’y a pas d'autre forme possible d'organisation de la vie économique que le capitalisme, c'est-à-dire une économie de marché associée à la propriété privédisait-il à L'Est Républicain il y a quelques années. Mais le capitalisme d'alors était selon lui détraqué, «parce que son seul critère est l'enrichissement des actionnaires».

A l'horizon : nul personnage ventripotent, portant bretelles et fumant cigare, dans une limousine avec chauffeur. L'actionnaire dont il faisait le portrait dans son livre Le Capitalisme total au Seuil, est «souvent d'âge mûr, de formation supérieure, avec un niveau de revenus relativement élevé». Ils étaient avant la crise 300 millions dans le monde, «concentrés à 90 % en Amérique du Nord, en Europe occidentale et au Japon» ; dont «20 % des Français».

«Ils confient la moitié de leurs avoirs financiers à quelques dizaines de milliers de gestionnaires pour compte de tiers (SICAV, fonds mutuels, fonds de pension, caisses de retraite et compagnies d'assurances) dont le seul but (...) est d'enrichir leurs mandants.» «Autant d'organismes qui se livrent une concurrence sur le taux de rendement qu'ils servent et qui exercent pour cela des pressions de plus en plus fortes sur les chefs d'entreprise.»

«Serviteurs zélés» voire «esclaves dorés des actionnaires», ceux-ci appliquent les règles de "corporate governance" (gouvernance d'entreprise). Les techniques sont les mêmes partout : «elles polluent de pure cupidité la légitime volonté d'entreprendre». Les victimes sont les mêmes partout : «les salariés tout d'abord qui ne sont plus partie prenante de l'entreprise, ils deviennent un paramètre économique parmi d'autres» ; pas le plus important.

Autres victimes : «les citoyens (...) car l'entreprise est indifférente aux effets induits de son activité» («pollution», «épuisement des ressources naturelles», «extension de l'effet de serre», «inégalités de développement»...). L'entreprise, disait Jean Peyrelevade, «n'est pas socialement responsable et le politique est absent». «Ainsi le capitalisme (...) est devenu "total" au sens où il règne sans partage ni contre-pouvoir sur le monde (...).»

Ce réquisitoire émanait d'un homme du sérail, ex-dirigeant de Suez, de l'UAP et du Crédit Lyonnais, ancien directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy de 1981 à 1983 et longtemps professeur d'économie à l'École polytechnique. Le doute semblait donc avant 2007 gagner certains «serviteurs zélés» ou «esclaves doréqui redressant la tête, certes un peu tard, parlaient d'un «besoin de régulation pour (...) un développement plus équilibré».

11/07/2014

Pour un "village global" à l'échelle humaine

«Adam Smith parlait d'une "morale économique restreinte". Ceux qu'on n'appelait pas encore les chefs d'entreprise devaient avoir un comportement "probe, régulier et ponctuel", c'est-à-dire qui respecte les engagements et les contrats signés. On a vu, à la lumière des scandales financiers, que même cette morale restreinte n'était plus observée.» Celui qui s'exprimait ainsi s'appelle Jean-Luc Gréau et a travaillé longtemps comme expert au... CNPF devenu Medef.

Cet économiste de 72 ans est aujourd'hui chroniqueur et l'auteur notamment d'un essai paru en 2005 chez Gallimard sous le titre L'Avenir du capitalisme ; Le Capitalisme qu'il disait en 1998 (!) malade de sa finance dans un autre ouvrage chez le même éditeur. C'est peu dire que la financiarisation est sa bête noire, de même que le libre-échange généralisé, comme l'écrivait L'Expansion à l'occasion d'un entretien dans son numéro de septembre 2006.

Que l'on ne se méprenne pas, Jean-Luc Gréau qualifié par le magazine économique de "libéral atypique", croit en l'entreprise. Partisan de l'esprit d'entreprise et de la libre entreprise, il porte au pinacle l'entrepreneur, «(...) celui qui sait prendre des risques». Et c'est au nom des "valeurs profondes de l'entreprise" qu'il "vilipende les excès des marchés boursiers, source des dérives qui privent le monde de l'entreprise de toute morale".

Moraliser le système, voilà l'objectif. «Un système économique, disait-il, n'a de justification que s'il permet d'éradiquer la pauvreté et d'améliorer le sort matériel, intellectuel et moral des hommes. Ce problème n'est pas posé dans le débat économique actuel, qui est phagocyté par la question de la mondialisation. On devrait pourtant se demander à quoi sert cette globalisation si elle ne s'accompagne pas d'un progrès d'ensemble.»

Ce qui faisait réagir L'Expansion : "Mais le problème, c'est d'abord de créer de la richesse, non ?". Réponse de Jean-Luc Gréau : «Pour créer de la richesse, il faut qu'il y ait une demande suffisante, donc que tous ceux qui travaillent et leurs ayants droit qui viennent sur le marché de la consommation aient les moyens d'acheter cette production. Il faut aussi que ceux qui travaillent bénéficient d'un certain respect et d'une stabilité, même relative.

«Or on assiste plutôt à une régression de la rémunération de ceux qui sont au cœur du processus productif, alors que l'instabilité des fonctions et des conditions de travail s'est accrue.» De là l'inquiétude de ce "penseur non conformiste" qu'avec «15 à 20 % (...) de laissés-pour-compte» sans espoir de réintégration et «la multiplication des scandales et des comportements cyniques», tout cela ne débouche sur un rejet global du système.

Huit ans et une crise plus tard, les «laissés-pour-compte» sont encore plus nombreux, sans parler «des scandales et des comportements cyniques». Et le rejet global du système est en marche.