12/06/2025
Conflagration après le 7 octobre 2023
L’horreur des massacres perpétrés en Israël par le Hamas ont bouleversé si ce n’est émotivement, au moins géopolitiquement le Moyen-Orient et au-delà. En un an et demi, toutes les cartes, y compris territoriales, ont été rebattues, en particulier pour le Liban et la Syrie, pendant que l’État hébreux avance ses pions. Jusqu’où ?
« En 2023, Israël avait la fausse impression de vivre en sécurité : les États voisins ne représentaient plus une vraie menace car un traité de paix avait été conclu avec l’Égypte et la Jordanie, la Syrie se gardait de toute initiative hostile et le Hezbollah, après la guerre des 33 jours de 2006, ne montrait qu’une activité réduite par-delà ses menaces verbales. Depuis la fin de la deuxième Intifada, le terrorisme palestinien, exercé notamment par le Hamas, n’était qu’épisodique et semblait sous contrôle quitte à "tondre le gazon" régulièrement dans la bande de Gaza. Un processus de normalisation avec un certain nombre d’États arabes était en cours à travers les accords d’Abraham. Le 7 octobre constitue un réveil brutal qui pose en termes nouveaux le problème de la sécurité d’Israël. » Ainsi s’exprime Denis Bauchard, conseiller pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et ancien ambassadeur notamment en Jordanie[1].
« Dans le même temps, de nombreux pays se trouvent dans une situation de chaos politique, militaire ou humanitaire. C’est le cas de la Syrie, exsangue après plus de treize années de guerre et vidée d’un quart de sa population (plus de six millions de Syriens sont partis en exil). Le pouvoir de Bachar el-Assad ne contrôle qu’une partie du territoire. Le Liban, pour d’autres raisons, est dans une situation de désastre politique et économique. Il est sans président depuis octobre 2022 et son gouvernement, qui ne se réunit plus, dirigé par le président du Conseil Najib Mikati, proche de la Syrie, se contente d’expédier les affaires courantes ».[2]
Israël : un choix stratégique aux lourdes conséquences
Les massacres et la prise en otage de respectivement près de 1200 et 250 israéliens et d’autres nationalités lors des attaques terroristes du Hamas le 7 octobre 2023, déclenchent une riposte militaire de l’État hébreu. Cette guerre d’Israël contre le Hamas dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie et dans certains pays étrangers par des attentats ciblés, vise à éradiquer les capacités militaires et politiques du groupe islamiste sunnite qui est une « branche palestinienne des Frères musulmans palestiniens [dont] la création remonte à 1987 et qui a été longtemps et imprudemment ménagée voire encouragée par les Israéliens eux-mêmes pour affaiblir l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ».[3]
Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine et animateur du blog La voie de l’épée, explique que la stratégie finalement d’Israël « consistait à conquérir le territoire de Gaza, en ménageant autant que possible le terrain et la population, par principe humanitaire, mais aussi pour préserver son image, y démanteler le Hamas et le ramener à la clandestinité tandis qu’une nouvelle administration, logiquement de l’Autorité palestinienne, serait mise en place avec l’aide internationale. La présence militaire israélienne céderait alors progressivement la place aux forces de sécurité palestiniennes. Le Hamas ne constituerait plus un proto-État dans lequel puiser des ressources, il serait étouffé et à terme peut-être effectivement éradiqué à la manière de l’État islamique en Irak, éliminé de Bagdad en 2007-2008 par les forces américaines et irakiennes. La libération des otages serait surtout obtenue par des négociations locales avec les groupes et clans qui les détiennent et/ou par des opérations ponctuelles de récupération en force au sein d’un espace complètement occupé et quadrillé ».[4]
« Plus de dix mois après le drame du 7 octobre 2023, l’État d’Israël s’enfonce dans une guerre longue, à la fois contre le Hamas mais également contre l’axe iranien. Cet affrontement s’est également régionalisé. En effet, il s’étend du Liban au Yémen en passant par la Syrie et l’Irak » écrit de son côté Arnaud Peyronnet, chercheur associé à la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES).[5]
Tsahal : une conquête du terrain pied à pied
A l’opération Déluge d’al-Aqsa du Hamas, secondé par le Jihad islamique palestinien, le Front populaire de libération de la Palestine et le Front démocratique pour la libération de la Palestine, Israël oppose donc l’opération Épées de fer. Face aux milliers de roquettes et autour de 3000 terroristes qui s’abattent sur une vingtaine de villes et kibboutz de l’"enveloppe de Gaza" limitrophe de la Bande de Gaza, la contre-offensive israélienne consiste en une reprise de contrôle du territoire envahi, en un blocus renforcé et des bombardements de la Bande de Gaza avant son invasion et des combats terrestres avec l’aide de l’aviation ciblant les infrastructures du Hamas et ses combattants. Tsahal (l’armée israélienne) demande l’évacuation de la population du nord de Gaza dès le 13 octobre mais le Hamas lui réclame de rester. Au total, près de 2 millions de Gazaouis seront finalement déplacés dans des camps de réfugiés au sud.
Une première trêve est annoncée par le Qatar pour le 24 novembre, prévoyant le passage d’une aide humanitaire pour les réfugiés et aboutissant à la libération de 110 otages israéliens et étrangers contre 210 prisonniers palestiniens. Les combats reprennent le 1er décembre et s’étendent au sud de la Bande Gaza jusqu’à la ville de Rafah à la frontière égyptienne. En février 2024 à Rafah et en juin dans le camp de réfugiés de Nuseirat, l’armée israélienne libère respectivement deux et quatre otages au cours d’assauts particulièrement meurtriers. Le 31 juillet 2024, venu à Téhéran pour la cérémonie d’investiture du nouveau président iranien Massoud Pezechkian, le chef du bureau politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, est assassiné par Israël. Ce qui déclenche une riposte de l’Iran (voir ci-dessous).
Un bilan lourd, des buts de guerre non atteints
Un an après le 7 octobre 2023, évoquant le sort des otages israéliens et de nationalités étrangères, Michel Goya avance que « les autres sacrifiés, "sacrifiés nécessaires" selon les termes de Yahya Sinouar [chef de la Bande de Gaza et du Hamas, un des concepteurs des attaques terroristes du 7 octobre], sont les civils gazaouis. L’usage intempestif de la puissance de feu, en particulier aérienne, pour obtenir ce rapport de 50 combattants ennemis tués pour 1 soldat israélien, a largement transféré le risque des soldats vers la population. Il y a un consensus pour estimer les pertes civiles directes de cette guerre à une fourchette de 20 000 à 30 000 morts et le triple ou le quadruple de blessés plus ou moins graves, soignés dans des conditions difficiles au sein d’un territoire ravagé. Comme ces ravages s’accompagnent d’une crise humanitaire, il n’est pas exclu que ces pertes directes soient dépassées par les pertes indirectes dues à la malnutrition ou aux problèmes sanitaires ».[6]
Dans les coulisses, l’Organisation des Nations Unies (ONU), la Cour internationale de justice ou la Cour pénale internationale tentent d’influer sur le cour des événements. Des propositions de cessez-le-feu et d’accord sur les otages négociées par l’intermédiaire notamment du Qatar ou de l’Égypte et des Etats-Unis n’aboutissent pas. Et ce n’est que le 15 janvier 2025 que finalement un accord de cessez-le feu entre Israël et le Hamas parvient à un échange contre 1778 prisonniers, de 30 otages, dont 25 Israéliens et 5 Thaïlandais, sans compter huit corps rapatriés dont deux bébés. Mais ces échanges donnant lieu pour les otages à des « cérémonies humiliantes » de la part du Hamas, qui de plus en profite pour reconstituer et réorganiser ses forces, Israël refuse de passer à la deuxième phase prévoyant à partir du 27 février le retrait de Tsahal de la Bande de Gaza et la libération des derniers otages, puis bloque l’aire humanitaire début mars. Et le 18 mars 2025, l’armée israélienne reprend le bombardement de Gaza, tuant notamment le chef du gouvernement du Hamas, Essam al-Dalis.
Un an et demi plus tard, les objectifs d’éradication du Hamas et de libération des otages ne sont pas atteints ; il resterait 58 otages dont 34 morts.
Le Hezbollah libanais en ligne directe avec l’Iran
Parallèlement, comme le rappelle Arnaud Peyronnet : « Israël subit des attaques régulières du Hezbollah le long de la Ligne Bleue ou sur le plateau du Golan, conduisant à l’évacuation de plus de soixante mille habitants des villages frontaliers israéliens et des tirs de riposte systématiques de Tsahal ».[7] Avec le Hezbollah qui se retire partiellement dès le 7 octobre 2023 de la guerre civile syrienne où il combattait l’opposition syrienne et l’État islamique, et soutenait de fait le président syrien Bachar el-Assad, le Sud-Liban devient ainsi une deuxième ligne de front, bientôt rejoint par la Syrie où les forces israéliennes se doivent aussi « de cibler méthodiquement les représentants du corps des Pasdarans iraniens, notamment à Damas, ceux-ci étant accusés d’organiser les transferts d’armements vers le Hezbollah ».[8] En effet ce dernier a été « créé à initiative de l’Iran après l’invasion du Liban par Tsahal en 1982. Ce mouvement chiite a des liens étroits avec l’Iran, qui lui fournit financements et armements, tout en ayant un agenda proprement libanais. Il dispose d’une véritable armée aguerrie de l’ordre de 50 000 combattants et d’un arsenal important (…) ».[9]
Et ainsi que le remarque Sami Aoun, professeur émérite à l’École de politique appliquée (EPA) de l’Université de Sherbrooke (Canada) et directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (OMAN) à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM : « le Hezbollah chiite libanais, intégré dans la Force Al-Qods, est une faction redoutable de la stratégie iranienne d’"encerclement par le feu" de l’État d’Israël. Dans ce cadre, le Sud du Liban est soumis aux impératifs stratégiques iraniens, où une guerre de l’ombre et de procuration justifiée religieusement pour soutenir le Hamas et le djihad islamique contribue à renforcer les ambitions de Téhéran, son expansion et son programme nucléaire ». Ce qui fait ajouter à Sami Aoun que « l’État parallèle du Hezbollah engage le pays dans des conflits régionaux et compromet sa diplomatie, traditionnellement neutre et alignée sur le consensus arabe, avec des liens rapprochés avec la France et les États-Unis ».[10]
Défaite du Hezbollah et élection du président Aoun au Liban
Les raids aériens israéliens s’intensifient en réponse aux tirs de roquettes du Hezbollah jusqu’à la frappe de 270 cibles par 100 appareils le 25 août 2024. Et les 17 et 18 septembre, ce sont des centaines de bipeurs et de talkies-walkies piégés détenus par des cadres de la milice, qui explosent simultanément, décapitant l’organisation djihadiste chiite. Les bombardements de l’armée israélienne deviennent massifs sur le Liban avant une offensive terrestre de Tsahal et la mort de Hassan Nasrallah, secrétaire général et guide spirituel du Hezbollah, et d’une vingtaine de responsables le 27 septembre.
Le cessez-le-feu intervient le 27 novembre et Joseph Aoun est élu président de la République libanaise le 9 janvier 2025 après plus de deux ans de vacance de la présidence. Avec son Premier ministre, Nawaf Salam, il devra s’atteler à « la stabilisation de la frontière » avec la Syrie, au « déploiement de l’armée libanaise au sud du fleuve Litani » et au « désarmement des forces armées miliciennes du Hezbollah », tous deux indispensables « pour la mise en application du cessez-le-feu avec Israël au sud du pays, en vertu des résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies »[11] précise l’analyste en stratégie internationale Thomas Sarthou.
La Syrie et l’Iran main dans la main
En Syrie, dès le 12 octobre puis le 22 octobre 2023, l’aviation israélienne bombarde et détruit notamment les pistes d’atterrissage des aéroports de Damas et Alep. Deux jours plus tard, Tsahal riposte toujours par les airs à des tirs de mortier venus des forces syriennes et frappe par la suite les positions du Hezbollah en Syrie. Le 1er avril 2024, le consulat iranien à Damas est ciblé par l’armée de l’air israélienne, provoquant la mort du chef de la force d’Al-Qods, le général Mohammad Reza Zahedi du Corps des gardiens de la révolution islamique et de sept autres membres de ce Corps. En représailles, l’Iran par l’opération Promesse honnête lance le 13 avril sur Israël environ 330 drones, missiles balistiques et missiles de croisière, de son propre territoire et aussi du Yémen par les Houthis. Presque tous seront abattus en vol par les défenses antiaériennes d’Israël (le "dôme de fer") et de ses alliés américains, britanniques, français et jordaniens. L’armée de l’air israélienne répliquera le 19 avril en frappant par des missiles un site radar de défense aérienne protégeant une usine iranienne d’enrichissement d’uranium et des objectifs en Irak et en Syrie.
Le 1er octobre 2024, l’Iran réitèrera ses attaques directes après l’assassinat en Iran du chef du bureau politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, et le bombardement du siège du Hezbollah au Liban provoquant notamment la mort d’Hassan Nasrallah, secrétaire général et guide spirituel du Hezbollah le 27 septembre 2024. Deux vagues de missiles balistiques ciblent des installations militaires israéliennes mais seront une nouvelle fois interceptés pour la plupart. En réponse, le 26 octobre, l’armée israélienne vise en Iran des installations de fabrication de missiles, des batteries de missiles sol-air et d’autres systèmes aériens. Ainsi que le dit Didier Billon, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : « Comme il a été constaté à deux reprises, en avril puis octobre 2024, les bombardements croisés entre la République islamique [d’Iran] et Israël sont restés sous contrôle, chacun des protagonistes sachant jusqu’où ne pas aller et ne franchissant donc pas la ligne rouge tacite. Probablement le cabinet Netanyahou aurait voulu frapper plus fort, mais, c’est à souligner, l’administration Biden a su pour une fois se montrer dissuasive pour empêcher des frappes israéliennes sur les installations nucléaires ou pétrolières iraniennes. Pour autant, ces opérations ont souligné l’asymétrie militaire entre les deux protagonistes ce qui ne manque pas d’inquiéter les dirigeants de Téhéran, d’autant que le retour de Donald Trump au pouvoir risque d’affaiblir encore leur situation ».[12]
La chute du régime Assad
C’est alors qu’en Syrie l’affaiblissement du pouvoir de son président Bachar el-Assad, lié à l’affaiblissement de ses alliés (Russie, Iran, Hezbollah), provoque, comme l’écrit toujours Didier Billion, une « offensive foudroyante de Hayat Tahrir al-Cham partant de la province d’Idlib » le 27 novembre 2024. Ce groupe rebelle islamiste sunnite, connu aussi sous le sigle HTC, était partie prenante à la guerre civile syrienne déclenchée en 2011. En une douzaine de jours, les rebelles prennent le dessus sur les troupes loyalistes qui se dispersent et le contrôle des principales villes jusqu’à la capitale Damas d’où s’enfuit Bachar el-Assad pour se réfugier en Russie. Selon Didier Billion, « cela révèle la sous-estimation de l’état de déliquescence du régime syrien et son isolement total. (…) Du point de vue géostratégique, (…) la Syrie de Bachar Al-Assad était la ligne d’approvisionnement principale entre l’Iran et le Hezbollah. Celle-ci est désormais rompue ».[13]
Le commandant en chef du commandement des opérations militaires Ahmed Hussein al-Charaa, dont le nom de guerre était Abou Mohammed al-Joulani, ancien émir du HTC et commandant djihadiste, devient président par intérim de la République arabe syrienne le 29 janvier 2025. Entre temps, Israël en profitera « pour opérer plus de 300 bombardements sur des objectifs militaires syriens et pour occuper le versant syrien du mont Hermon » précise le directeur adjoint de l’IRIS, qui ajoute : « La question est désormais l’appréciation de la trajectoire possible des nouveaux responsables de Damas. Leur passé djihadiste est connu, mais leur évolution politique ne l’est pas moins. Incarnant une forme d’islamo-nationalisme, ils ne renieront pas leur appartenance à la mouvance islamiste. Dans le même mouvement, ils sont profondément syriens et leur préoccupation est de reconstruire et de préserver l’unité du pays. Pour ce faire, l’enjeu est de parvenir à mettre en place un régime de type inclusif et de reconstituer de solides relations avec le maximum de pays à l’international ».[14]
Installation d’Israël au Liban et en Syrie
A ce jour, l’État hébreu semble déterminé à poursuivre « le développement d’une profondeur stratégique au Liban et en Syrie »[15], comme l’écrit Thomas Sarthou dans une note de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) du 21 mars 2025. Ainsi l’occupation militaire au Liban et en Syrie viserait à démilitariser tout le territoire libanais situé au sud du fleuve Litani et tout le sud de la Syrie, au pied du plateau du Golan et à la frontière jordanienne. Deux zones tampons en quelque sorte, censées ainsi assurer la sécurité d’Israël. Mais la pression qu’exerce Israël sur le nouvel exécutif libanais et le nouveau régime de Damas passe aussi d’un côté, par la poursuite des assassinats de responsables du Hezbollah ou la menace de frappes si l’aéroport de Beyrouth restait ouvert aux avions venus d’Iran, et de l’autre, par des frappes aériennes sur des bases ou entrepôts de l’armée syrienne au sud du pays. Le « soutien aux minorités, notamment la communauté druze syrienne » située justement au sud, serait aussi un moyen pour Israël de "diviser pour régner", selon Thomas Sarthou qui souligne que « les druzes d’Israël comptent environ 150 000 personnes et jouissent d’une identité reconnue, participant également à l’appareil militaire du pays »[16].
A Gaza, l’offensive par les airs et par la terre continue, alors que les négociations à Doha, la capitale du Qatar, piétinent. En Cisjordanie, l’opération Mur de fer, à l’origine pour démanteler une cellule du Jihad islamique, amène l’armée israélienne et le Shin Bet, le service israélien de sécurité intérieure, à déplacer depuis près de trois mois « plus de 40 000 » réfugiés palestiniens, en particulier d’un camp situé à l’ouest de la ville de Jénine ; suivant toujours le même schéma : raids aériens et incursions au sol. Et pendant ce temps-là, sur le Liban, « les autorités israéliennes ont annoncé, le 11 mars, la tenue de négociations quadripartites avec la France et les États-Unis, débouchant sur la création de trois groupes de travail conjoints : l’un pour traiter des positions israéliennes au Liban, un autre pour les litiges frontaliers, et un dernier pour la question des détenus libanais ».[17]
Des guerres aussi pour l’eau ?
Mais ces conflits territoriaux en cachent peut-être un autre. Thomas Sarthou relevait un point « au lendemain de la chute de Bachar Al-Assad. Le 8 décembre 2024, le gouvernement israélien a annoncé qu’il mettait fin à l’accord de cessez-le-feu signé en 1974 avec les autorités damascènes qui établissait une zone démilitarisée sur les hauteurs du plateau du Golan. Peu de temps après cette annonce, des troupes israéliennes se sont positionnées dans la zone démilitarisée qui surplombe le sud de la Syrie ».[18] Le chercheur en études stratégiques Mohamad Hasan Sweidan avance que « moins d’un mois après la prise de Damas par les forces rebelles et le renversement du gouvernement syrien, les forces d’occupation israéliennes ont lancé une offensive incontestée jusqu’aux abords du barrage Al-Mantara - une source d’eau essentielle pour Deraa et le plus grand barrage de la région, situé dans la campagne occidentale de Quneitra. Les rapports indiquent que les chars et les troupes israéliens ont établi des avant-postes militaires, élevé des talus et imposé des restrictions strictes à la circulation locale, n’autorisant l’accès qu’à des heures précises et prédéterminées ».[19] Les ressources en eau douce sont rares donc précieuses, encore plus dans cette région où le climat est aride et les déserts étendus. Et l’on ne peut que constater que les avancées d’Israël concernent des territoires riches en sources d’eau, que ce soit au Sud-Liban avec notamment le fleuve Litani ou en Syrie avec le mont Hermon et le bassin de Yarmouk avec le barrage d’Al-Wehda et celui déjà cité d’Al-Mantara.
Israël déterminé, divisé et uni
Que veut Israël ? On pourrait penser que l’État hébreux s’éloigne de la solution à deux États préconisée par beaucoup, ou alors sans tout ou partie de la Cisjordanie, et serait même tenté de redessiner des frontières par rapport notamment au Liban et à la Syrie. Question de sécurité et même de survie. Que faire quand des organisations terroristes puissantes et même des États ne veulent qu’une chose : votre éradication ?
Arnaud Peyronnet rappelle qu’« en 2015, l’ancien président israélien, Reuven Rivlin, identifiait quatre "tribus" composant la société israélienne et qui ne se mélangeaient pas : les trois tribus juives (laïcs, religieux-nationalistes et ultra-orthodoxes) et la tribu arabe [représentant 20 % de la population israélienne et très attachée à Israël]. Parmi celles-ci, les tribus des religieux-nationalistes et des ultra-orthodoxes se sont considérablement accrues ces 20 dernières années, au détriment de la tribu des laïcs ».[20] La radicalisation qui s’en suit concerne tant l’ensemble des territoires revendiqués « dont la Cisjordanie dénommée localement Judée et Samarie » ou Judée-Samarie, que les Palestiniens eux-mêmes devenus cibles d’attaques de colons radicalisés.
Pour Denis Bauchard, « cette guerre, la plus longue menée par Israël depuis 1948, se poursuit en violation du droit international, en dépit des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité ou des décisions de la Cour internationale de justice. Elle est prolongée délibérément par le Premier ministre Netanyahou, qui se maintient ainsi au pouvoir malgré une contestation majoritaire dans le pays, y compris celle de l’armée ».[21]
Mais « au final, la société israélienne, bien que très fragmentée, a réussi à maintenir son unité face à des risques existentiels considérés comme imminents »[22] conclut Arnaud Peyronnet.
Il est bien possible que "le 7 octobre" et ses suites aient érigé Israël en citadelle assiégée, risquant de s’isoler. Rétablir des relations avec certains de ses voisins comme le Liban, la Syrie et d’autres pays arabes serait nécessaire en raison des multiples conflits dans lesquels Israël est impliqué, mais le temps est-il venu ? « Il y a un moment pour tout et un temps pour chaque chose sous le ciel : (…) un temps pour tuer et un temps pour guérir, un temps pour saper et un temps pour bâtir, (…) un temps pour déchirer et un temps pour coudre, (…) un temps pour aimer et un temps pour haïr, un temps de guerre et un temps de paix. »[23]
(arrêté à fin mars 2025)
[1] Bauchard, Denis. “Un Moyen-Orient Entre Guerres et Recomposition.” Diplomatie, no. 129, 2024, pp. 36-41. JSTOR
[2] ibid.
[3] ibid.
[4] Goya, Michel. « Victoire par chaos à Gaza. » DSI (Défense et Sécurité Internationale), n° 173, 2024, pp. 56-59. JSTOR
[5] Peyronnet, Arnaud. « Israël face au spectre d’une guerre longue. » Diplomatie, n° 129, 2024, pp. 45-48. JSTOR
[6] Goya, Michel. « Victoire par chaos à Gaza. » DSI (Défense et Sécurité Internationale), n° 173, 2024, pp. 56-59. JSTOR
[7] Peyronnet, Arnaud. « Israël face au spectre d’une guerre longue. » Diplomatie, n° 129, 2024, pp. 45-48. JSTOR
[8] ibid.
[9] Bauchard, Denis. “Un Moyen-Orient Entre Guerres et Recomposition.” Diplomatie, no. 129, 2024, pp. 36-41. JSTOR
[10] Aoun, Sami. “Gaza en flammes ; l’Égypte, la Jordanie et le Liban endurent.” Diplomatie, no. 129, 2024, pp. 64-67. JSTOR
[11] Thomas Sarthou. « Nouveaux visages, mêmes défis ? Analyse de la nomination du gouvernement libanais - IRIS », 14 février 2025
[12] Didier Billion. « Un Moyen-Orient en recomposition politique accélérée - IRIS », 13 janvier 2025
[13] ibid.
[14] ibid.
[15] Thomas Sarthou. « Au Liban et en Syrie, Israël pousse son avantage stratégique par-delà sa frontière - IRIS », 21 mars 2025
[16] ibid.
[17] ibid.
[18] ibid.
[19] Mohamad Hasan Sweidan « La guerre secrète d’Israël contre la Syrie, le Liban et la Jordanie pour l’eau », Site Strategika, Source : reseauinternational.net - 19 janvier 2025
[20] Peyronnet, Arnaud. « Israël face au spectre d’une guerre longue. » Diplomatie, n° 129, 2024, pp. 45-48. JSTOR
[21] Bauchard, Denis. « Un Moyen-Orient Entre Guerres et Recomposition. » Diplomatie, no. 129, 2024, pp. 36-41. JSTOR
[22] Peyronnet, Arnaud. « Israël face au spectre d’une guerre longue. » Diplomatie, n° 129, 2024, pp. 45-48. JSTOR
[23] Ecclésiaste ou Qohéleth, chapitre 3 « Les temps et la durée », versets 1 à 8, Traduction œcuménique de la Bible (TOB) 2010
10:31 | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |