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17/08/2022

Réussir dans la vie ou réussir notre vie

Ne voyons-nous pas depuis des années des psychologues ou soi-disant tels nous faire part de leurs lumières sur les causes d'un certain nombre d'échecs, de malheurs dans notre société ! A les entendre, leurs "découvertes" apporteraient des recettes pour réussir dans la vie. Toutefois, dans l'hypothèse où nous nous méfierions des conseilleurs, redécouvrons quelques vérités.

Première vérité : toute guerre serait bannie sans cet orgueil et cette convoitise des hommes, doublés d'une recherche éperdue de la gloire. Tout conflit pourrait être résolu si au lieu de nous laisser emporter par la colère et la défense exclusive de nos intérêts, nous nous mettions ne serait-ce qu'un instant dans la peau de nos opposants. Toute dispute serait évitable si nous reconnaissions aussi nos torts.

Deuxième vérité : il n'y a pas de fatalité au malheur, ni au bonheur d'ailleurs. Bien souvent, mis à part les accidents, tout est une question de volonté. Quand cela ne suffit pas, la solidarité familiale ou la générosité peuvent aider à surmonter les épreuves. Il ne peut y avoir d'exclusion uniquement pour des raisons économiques. L'exclusion est d'abord une question d'isolement, d'individualisme.

Troisième vérité : un profond mépris se cache souvent derrière une tolérance de façade. Le respect de l'autre, c'est la prise en considération de son existence, de sa liberté, de sa dignité. L'autre n'est pas un ennemi, ni même un adversaire, un gêneur ou un instrument. Son droit de vivre, de penser, de s'exprimer... est inaliénable même si nous ne sommes pas en accord avec ce qu'il est, pense et dit.

Quatrième vérité : sans amour, la vie ne vaut d'être vécue. Alors que pour tant d'hommes dans notre monde, rien d'autre ne compte que la possession du pouvoir, du savoir, de biens matériels, d'êtres humains..., beaucoup s'aperçoivent au crépuscule de leur vie que cela était vain. A l'heure du bilan, seul reste l'amour que nous avons porté à nos proches. L'exclusive jouissance ne conduit qu'au néant.

Ces vérités, une tradition ancestrale l'enseignait. Mais la transmission ne se fait plus. Alors faisons un rêve et oublions nos "experts" qui chaque jour "découvrent l’Amérique". Rêvons que nous redécouvrions - avant la vieillesse - les vertus du désintéressement, de la bienveillance, de la fraternité, de la tempérance, de la modestie et de l'application au travail. Pour réussir notre vie.

07/11/2014

Prêts pour remonter la pente ?

On connaît de Tocqueville ceci : «L'espèce d'oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée (...). Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme».

On connaît moins la suite : «Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.

«Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent,...

«... pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir.» Hervé Kempf cite ce long passage dans son livre Comment les riches détruisent la planète aux éditions du Seuil. Et voilà qu'apparaît sous nos yeux la réalité d'aujourd'hui, mais plus encore ce qui nous condamnera dans l'avenir si nous ne réagissons pas. La pente naturelle de nos démocraties libérales est la satisfaction des ego : incompatible avec ce que réclament les défis futurs.

Toutes les promesses passées et présentes n'y peuvent plus rien. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que demain sera plus difficile qu'aujourd'hui et que la modération, la réduction de la consommation matérielle sinon la restriction pourraient bien être les seules voies d'avenir pour l'humanité. Sommes-nous prêts pour «l'époque d'exigences et de renoncements âpres qui nous attend» (Hans Jonas), prêts pour remonter la pente ?

Ne doit-on pas pour nos contemporains, comme Alexis de Tocqueville le confesse en 1840 à propos des siens, trembler «qu'ils ne se laissent enfin si bien posséder par un lâche amour des jouissances présentes, que l'intérêt de leur propre avenir et celui de leurs descendants disparaissent et qu'ils aiment rien mieux que suivre mollement le cours de leur destinée que de faire au besoin un soudain et énergique effort pour le redresser» ?

26/11/2013

D'éternels ados bien malléables

Dans Pensées d'un philosophe sous Prozac aux Éditions Milan, Frédéric Schiffter raconte qu'au temps de la civilisation romaine, «pour distinguer le maître qui instruit du maître qui tyrannise ou endoctrine, on appelait le premier magister et le second dominus. Sachant avec quel naturel un jeune esprit pouvait se laisser aller aux comportements les plus barbares de la plèbe, et, aussi, avec quel naturel la plèbe pouvait servir un dominus,

«on s'empressait de confier les enfants à un magister afin que, mettant son savoir à leur service, il les aide à devenir des individus singuliers et autonomes». L'école d'aujourd'hui a-t-elle toujours cette ambition ? Ou sort-il de ses murs des êtres "sur le même moule" et "sous le joug", prêts sans restriction à suivre l'opinion dominante et à servir les positions dominantes, à vivre sous la domination de doctrinaires et d'impératifs catégoriques ?

Etienne de La Boétie s'interrogeait au XVIe siècle dans son Discours de la servitude volontaire "sur la complaisance des peuples vis-à-vis de leurs tyrans". Une complaisance qu'on peut étendre à tout ce qui peut être tyrannique. Et Jean-Jacques Rousseau au XVIIIe siècle constatait dans Du contrat social, la "déchéance de l'homme naturel" : «L'homme est né libre, et partout il est dans les fers». Des fers qu'il se met lui-même parfois.

Comment expliquer cette indulgence excessive, cette servilité, cette complicité même de certains envers ce "qui contraint impérieusement et péniblement" et, dit-on, "à quoi on ne peut se dérober" ? Comment comprendre que des hommes soient sans réaction contre ce qui les enchaîne, les tient captifs, en esclavage ? Sinon par le fait qu'ils s'y sentent à l'abri et qu'ils s'y retrouvent, tout à la jouissance de leur confort matériel et moral.

Il y a bien sûr la peur de perdre ce qu'ils possèdent ou ce dont ils disposent. Il y a aussi qu'ils aiment trop leur tranquillité. Cette façon de vivre, à la longue, ils s'y font. Et puis un chemin balisé a quelque chose de sécurisant. Il est plus confortable pour eux de penser et faire comme tout le monde. Et leur paresse intellectuelle sous la devise "Ne pas se compliquer la vie" fait le reste, de même que leur maintien dans un état d'hébétude.

Car leur «désintérêt (...) pour le loisir studieux» écrit Schiffter, n'a d'égal que «leur obsession de la fête, leur boulimie de stupéfiants, leur enthousiasme pour les grandes messes du rock, de la techno et du sport, leur goût pour les distractions audiovisuelles, leur fascination à l'égard de la technologie de pointe», qui «témoignent à l'envi de la puérilisation de leur intelligence» et de «la régression à l'âge adolescent de l'ensemble de la société».