Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/04/2014

Les réseaux contre le bien commun

Le réseau est le nom "correct" employé à la place de ceux "incorrects" de bande, caste, cercle, chapelle, clan, classe, clique, club, coterie, mafia, secte, tribu... Ce qui réunit leurs membres : des intérêts communs. On se rend service, on se "rend la pareille". On sollicite et on procure aide, appui, bienfait, faveur... On se soutient, on se protège. On se refile des tuyaux, on est dans la combine. On se soude et on "dessoude".

L'exclusion est l'envers de l'admission. On en est ou on n'en est pas. Le parrainage est apporté à une personne sur la base de ce qu'elle peut apporter. Donnant, donnant. L'utilité est le mot-clé. «Les hommes vous estiment en raison de votre utilité, sans tenir compte de votre valeur» notait déjà Balzac. Et la complaisance fait le reste. «La complaisance (crée) des amis» écrivait Térence. Et il ajoutait : «La franchise engendre la haine».

Romain Rolland confirmait en avançant que «La plupart des amitiés ne sont guère que des associations de complaisance mutuelle». Une complaisance qui se rend coupable en "laissant faire, en acquiesçant pour ne pas déplaire". De l'indulgence à la connivence, il n'y a qu'un pas. La solidarité quand il s'agit de ne pas nuire aux autres membres ou bien de leur porter assistance, peut en effet tendre à la lâcheté et à la complicité.

La serviabilité chez ces gens-là, jusqu'à l'obséquiosité, dissimule la recherche d'un avantage personnel, d'une récompense. L'indépendance, le refus d'entrer dans ce jeu, de jouer le jeu sont très mal vus. N'avoir besoin de personne, vouloir ne rien devoir à personne sont des offenses à l'esprit de corps, l'esprit de famille, à cette dépendance qu'ils veulent imposer. Ils aiment faire tomber sous leur coupe et mettre en coupe réglée.

Mais en se servant de leur(s) réseau(x) et de ses ou leurs membres pour leur profit exclusif, à "rechercher l'intérêt de leur groupe", ils peuvent en venir à ne plus "tenir compte des règles sociales et des lois de la société". C'est le clanisme. Dans sa version soft et professionnelle : le corporatisme. Balzac encore, écrivait que «la loi de l'Intérêt général (...) est détruite par la loi de l'Intérêt particulier (...) qui engendre l'égoïsme».

Les réseaux sont des combinaisons d'intérêts particuliers convergents. Additions d'égoïsmes, ils participent à la ghettoïsation de la collectivité nationale ; un communautarisme ferment de divisions quand les intérêts divergents deviennent inconciliables. Agir uniquement par intérêt nous mène à agir contre l'intérêt des autres et nous monte les uns contre les autres, alors que, disait Camus, «Le bien public est fait du bien de chacun».

26/11/2013

D'éternels ados bien malléables

Dans Pensées d'un philosophe sous Prozac aux Éditions Milan, Frédéric Schiffter raconte qu'au temps de la civilisation romaine, «pour distinguer le maître qui instruit du maître qui tyrannise ou endoctrine, on appelait le premier magister et le second dominus. Sachant avec quel naturel un jeune esprit pouvait se laisser aller aux comportements les plus barbares de la plèbe, et, aussi, avec quel naturel la plèbe pouvait servir un dominus,

«on s'empressait de confier les enfants à un magister afin que, mettant son savoir à leur service, il les aide à devenir des individus singuliers et autonomes». L'école d'aujourd'hui a-t-elle toujours cette ambition ? Ou sort-il de ses murs des êtres "sur le même moule" et "sous le joug", prêts sans restriction à suivre l'opinion dominante et à servir les positions dominantes, à vivre sous la domination de doctrinaires et d'impératifs catégoriques ?

Etienne de La Boétie s'interrogeait au XVIe siècle dans son Discours de la servitude volontaire "sur la complaisance des peuples vis-à-vis de leurs tyrans". Une complaisance qu'on peut étendre à tout ce qui peut être tyrannique. Et Jean-Jacques Rousseau au XVIIIe siècle constatait dans Du contrat social, la "déchéance de l'homme naturel" : «L'homme est né libre, et partout il est dans les fers». Des fers qu'il se met lui-même parfois.

Comment expliquer cette indulgence excessive, cette servilité, cette complicité même de certains envers ce "qui contraint impérieusement et péniblement" et, dit-on, "à quoi on ne peut se dérober" ? Comment comprendre que des hommes soient sans réaction contre ce qui les enchaîne, les tient captifs, en esclavage ? Sinon par le fait qu'ils s'y sentent à l'abri et qu'ils s'y retrouvent, tout à la jouissance de leur confort matériel et moral.

Il y a bien sûr la peur de perdre ce qu'ils possèdent ou ce dont ils disposent. Il y a aussi qu'ils aiment trop leur tranquillité. Cette façon de vivre, à la longue, ils s'y font. Et puis un chemin balisé a quelque chose de sécurisant. Il est plus confortable pour eux de penser et faire comme tout le monde. Et leur paresse intellectuelle sous la devise "Ne pas se compliquer la vie" fait le reste, de même que leur maintien dans un état d'hébétude.

Car leur «désintérêt (...) pour le loisir studieux» écrit Schiffter, n'a d'égal que «leur obsession de la fête, leur boulimie de stupéfiants, leur enthousiasme pour les grandes messes du rock, de la techno et du sport, leur goût pour les distractions audiovisuelles, leur fascination à l'égard de la technologie de pointe», qui «témoignent à l'envi de la puérilisation de leur intelligence» et de «la régression à l'âge adolescent de l'ensemble de la société».