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17/02/2020

Le retour d'une idéologie "antihumaniste" ?

(Suite et fin de la précédente note)

L'Homme ne semble plus avoir prise sur la "machine folle" du progrès technique, qui s'emballe jusqu'à parfois "tourner à vide" : sans effet utile pour la personne humaine et son épanouissement. Il ne paraît même pas en mesure de raisonner ce mouvement perpétuel qu'il a déclenché. Et Jean-Claude Guillebaud voyait, dès les années 90, une montée des périls pour l'Homme ainsi entraîné dans le tourbillon d'un monde en profonde mutation.

Car cette "machine folle" pourrait se transformer en "machine infernale" pour notre humanité. A chercher sans arrêt à se dépasser, à dépasser les bornes, l'Homme risque de se trouver dépassé. «Déjà, racontait l'essayiste dans une de ses conférences, on peut acheter sur internet à l'étranger, des spermatozoïdes et des ovules (de diplômés d'université ou pas...) ; les faire féconder et implanter les embryons au choix, y compris chez une mère porteuse !»

D'autre part, poursuivait-il, la définition de l'Homme - seul être sociable qui conçoit des outils et parle - est aujourd'hui remise en cause par l'étude du comportement des animaux. «Trois chimpanzés américains sont ainsi parvenus à mémoriser et utiliser à bon escient 350 à 400 mots du langage des sourds. En comparaison, on a recensé autant ou à peine plus de mots différents dans les conversations de Loft Story.» Il faudra redéfinir la frontière.

De là à étendre les droits de l'Homme aux grands singes, il y a un pas ; franchi par certains : «parce que nous savons maintenant qu'il y a moins de différences entre un Homme bien portant et un singe, qu'entre un Homme bien portant et un handicapé mental» (sic). D'ailleurs, Crick, codécouvreur de la structure de l'ADN, préconisait un test génétique à la naissance, «pour savoir si l'enfant fait partie de l'espèce humaine».

Dans un autre domaine, celui du fonctionnement du cerveau, les cognitivistes, rapportait Jean-Claude Guillebaud, prétendent qu'il n'y a «pas de différence de nature entre un cerveau humain et un ordinateur. Nous ne sommes rien d'autre que des êtres neuronaux», de super-robots. Quant au «brevetage» du vivant, il touche dorénavant les découvertes concernant le génome humain avec l'aval (provisoire ?) de l'Europe.

«Le problème, ce n'est pas d'avoir trouvé l'arbre de la connaissance ; c'est de l'avoir déjà vendu à Wall Street» disait un généticien new-yorkais. Soumis à la loi du marché, l'Homme subira-t-il à présent la loi du plus fort, par le retour des logiques eugéniques d'amélioration de l'espèce ? Logiques qui, rappelait l'écrivain, ont prévalu bien avant le nazisme en Europe et aux Etats-Unis, et réclament un devoir de mémoire.

 

A lire : L'homme est-il en voie de disparition ? - Jean-Claude Guillebaud - éditions Fides (collection Les grandes conférences)

 

07/11/2014

Prêts pour remonter la pente ?

On connaît de Tocqueville ceci : «L'espèce d'oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée (...). Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme».

On connaît moins la suite : «Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.

«Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent,...

«... pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir.» Hervé Kempf cite ce long passage dans son livre Comment les riches détruisent la planète aux éditions du Seuil. Et voilà qu'apparaît sous nos yeux la réalité d'aujourd'hui, mais plus encore ce qui nous condamnera dans l'avenir si nous ne réagissons pas. La pente naturelle de nos démocraties libérales est la satisfaction des ego : incompatible avec ce que réclament les défis futurs.

Toutes les promesses passées et présentes n'y peuvent plus rien. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que demain sera plus difficile qu'aujourd'hui et que la modération, la réduction de la consommation matérielle sinon la restriction pourraient bien être les seules voies d'avenir pour l'humanité. Sommes-nous prêts pour «l'époque d'exigences et de renoncements âpres qui nous attend» (Hans Jonas), prêts pour remonter la pente ?

Ne doit-on pas pour nos contemporains, comme Alexis de Tocqueville le confesse en 1840 à propos des siens, trembler «qu'ils ne se laissent enfin si bien posséder par un lâche amour des jouissances présentes, que l'intérêt de leur propre avenir et celui de leurs descendants disparaissent et qu'ils aiment rien mieux que suivre mollement le cours de leur destinée que de faire au besoin un soudain et énergique effort pour le redresser» ?