11/07/2014
Pour un "village global" à l'échelle humaine
«Adam Smith parlait d'une "morale économique restreinte". Ceux qu'on n'appelait pas encore les chefs d'entreprise devaient avoir un comportement "probe, régulier et ponctuel", c'est-à-dire qui respecte les engagements et les contrats signés. On a vu, à la lumière des scandales financiers, que même cette morale restreinte n'était plus observée.» Celui qui s'exprimait ainsi s'appelle Jean-Luc Gréau et a travaillé longtemps comme expert au... CNPF devenu Medef.
Cet économiste de 72 ans est aujourd'hui chroniqueur et l'auteur notamment d'un essai paru en 2005 chez Gallimard sous le titre L'Avenir du capitalisme ; Le Capitalisme qu'il disait en 1998 (!) malade de sa finance dans un autre ouvrage chez le même éditeur. C'est peu dire que la financiarisation est sa bête noire, de même que le libre-échange généralisé, comme l'écrivait L'Expansion à l'occasion d'un entretien dans son numéro de septembre 2006.
Que l'on ne se méprenne pas, Jean-Luc Gréau qualifié par le magazine économique de "libéral atypique", croit en l'entreprise. Partisan de l'esprit d'entreprise et de la libre entreprise, il porte au pinacle l'entrepreneur, «(...) celui qui sait prendre des risques». Et c'est au nom des "valeurs profondes de l'entreprise" qu'il "vilipende les excès des marchés boursiers, source des dérives qui privent le monde de l'entreprise de toute morale".
Moraliser le système, voilà l'objectif. «Un système économique, disait-il, n'a de justification que s'il permet d'éradiquer la pauvreté et d'améliorer le sort matériel, intellectuel et moral des hommes. Ce problème n'est pas posé dans le débat économique actuel, qui est phagocyté par la question de la mondialisation. On devrait pourtant se demander à quoi sert cette globalisation si elle ne s'accompagne pas d'un progrès d'ensemble.»
Ce qui faisait réagir L'Expansion : "Mais le problème, c'est d'abord de créer de la richesse, non ?". Réponse de Jean-Luc Gréau : «Pour créer de la richesse, il faut qu'il y ait une demande suffisante, donc que tous ceux qui travaillent et leurs ayants droit qui viennent sur le marché de la consommation aient les moyens d'acheter cette production. Il faut aussi que ceux qui travaillent bénéficient d'un certain respect et d'une stabilité, même relative.
«Or on assiste plutôt à une régression de la rémunération de ceux qui sont au cœur du processus productif, alors que l'instabilité des fonctions et des conditions de travail s'est accrue.» De là l'inquiétude de ce "penseur non conformiste" qu'avec «15 à 20 % (...) de laissés-pour-compte» sans espoir de réintégration et «la multiplication des scandales et des comportements cyniques», tout cela ne débouche sur un rejet global du système.
Huit ans et une crise plus tard, les «laissés-pour-compte» sont encore plus nombreux, sans parler «des scandales et des comportements cyniques». Et le rejet global du système est en marche.
17:29 Publié dans Economie/travail, Libre-échangisme, Mondialisation/Volontarisme, Profit/Cupidité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : adam smith, morale économique restreinte, chefs d'entreprise, engagements, contrats, jean-luc gréau, cnpf, medef, l'avenir du capitalisme, le capitalisme malade de sa finance, éditions gallimard, financiarisation, libre-échange généralisé, magazine l'expansion, libéral, l'entreprise, l'esprit d'entreprise, la libre entreprise, l'entrepreneur, celui qui sait prendre des risques, valeurs profondes de l'entreprise, excès des marchés boursiers, système économique, pauvreté, sort matériel, sort intellectuel, sort moral des hommes, mondialisation, globalisation, progrès d'ensemble, créer de la richesse, demande suffisante, ceux qui travaillent, consommation, les moyens d'acheter, production, respect, stabilité, régression de la rémunération, instabilité des fonctions, instabilité des conditions de travail, laissés-pour-compte, scandales financiers, comportements cyniques, rejet global du système | Facebook |
15/04/2014
L'esprit mercantile
«Tels sont les inconvénients de l'esprit commercial. Les intelligences se rétrécissent, l'élévation d'esprit devient impossible. L'instruction est méprisée ou du moins négligée et il s'en faut de peu que l'esprit d'héroïsme ne s'éloigne tout à fait. Il importerait hautement de réfléchir aux moyens de remédier à ces défauts.» Qui parle ainsi ? Adam Smith, "le pape du libéralisme" comme l'écrit Jacques Julliard dans son livre Le Malheur français chez Flammarion.
Cet économiste du XVIIIe siècle parlait d'or. Plus de deux siècles plus tard, nous ne pouvons que constater l'envahissement de «l'esprit commercial» avec ses «inconvénients», ses «défauts» qui ne trouvent aucun remède ; peut-être parce que, tout simplement, nous n'en cherchons pas. «Il importerait hautement de réfléchir» conseillait Adam Smith, mais en avons-nous encore la faculté, la liberté, et si oui, en avons-nous la volonté ?
Un père disait à son fils : «Si tu ne vis pas comme tu penses, tu penseras comme tu vis», raconte Michel Godet dans son ouvrage Le Choc de 2006 chez Odile Jacob. Il est bien possible que nous pensions comme nous vivons, que notre façon de vivre décide de notre façon de voir. Et l'intendance qui devrait suivre, maintenant précède : les questions matérielles, économiques ne sont plus subordonnées aux décisions politiques.
Nous parlons, décidons et agissons avant de réfléchir, "sur des coups de tête", pendant que les logiques de l'économie de marché s'insinuent dans toute la société et influent son organisation. Cette transformation de tout en produit ou service commercial, tout devenant ainsi matière à profit, rend la vie en société impossible. Car entraîné à ne chercher que son profit, l'homme peut se muer facilement en profiteur, mesquinement intéressé.
"Il n'y a pas de petits profits", voici résumé en une phrase l'esprit de notre temps. Un économiste, François Perroux, cité aussi par Jacques Julliard qui le qualifie de libéral authentique, écrivait en 1951 dans Le Capitalisme aux Presses universitaires de France : «Toute société capitaliste fonctionne régulièrement grâce à des secteurs sociaux qui ne sont ni imprégnés, ni animés de l'esprit du gain et de la recherche du plus grand gain.
«Lorsque le haut fonctionnaire, le soldat, le magistrat, le prêtre, l'artiste, le savant sont dominés par cet esprit, la société croule et toute forme d'économie est menacée. Les biens les plus précieux et les plus nobles dans la vie des hommes, l'honneur, la joie, l'affection, le respect d'autrui, ne doivent venir sur aucun marché.» Nous aurions été bien avisés d'écouter ces avertissements au lieu de nous abandonner à l'esprit mercantile.
11:06 Publié dans Déclin, Profit/Cupidité, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : esprit commercial, intelligences, élévation d'esprit, instruction, esprit d'héroïsme, adam smith, jacques julliard, le malheur français, éditions flammarion, faculté de réfléchir, liberté de réfléchir, volonté de réfléchir, michel godet, le choc de 2006, éditions odile jacob, façon de vivre, façon de voir, l'intendance précède, questions économiques, décisions politiques, logiques de l'économie de marché, organisation de la société, produit commercial, service commercial, matière à profit, vie en société impossible, profiteur, il n'y a pas de petits profits, françois perroux, le capitalisme, presses universitaires de france, société capitaliste, secteurs sociaux, l'esprit du gain, recherche du plus grand gain, haut fonctionnaire, soldat, magistrat, prêtre, artiste, savant, marché | Facebook |