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17/02/2012

Introduction

 

Ecrire un blog comme l’on tient un journal, mais un journal ne relatant pas des événements au quotidien, les événements de l’actualité, mais rendant compte de "rencontres" intellectuelles. Observer, lire, réfléchir. Surtout éviter de réagir à chaud. Prendre le temps et de la distance, du recul ; multiplier les retours en arrière, les vues rétrospectives ; donner à penser, notamment sur la condition de l’homme dans notre civilisation qu’on dit avancée. Arriver à composer de "petites pièces" les plus intemporelles possibles, toutes pareilles sur la forme, qui sur le fond s’assembleraient, se complèteraient, se répondraient, se recouperaient et finiraient par constituer une "lecture" de nos sociétés comme elles (ne) vont (pas), une "lecture" en définitive et chrétienne et révoltée de leurs façons de faire le malheur d’êtres humains auxquels elles prétendent vouloir du bien. Rien ou presque sur ce Mal extraordinaire et officiel qui fait la une, ce Mal concentré dans l’espace et dans le temps. Tout ou presque sur ce Mal de tous les jours, ce Mal banal, disséminé, qui fait tellement plus de mal.

 

Vouloir éclairer et frapper, frapper pour réveiller ; après l’avoir été soi-même. Tenter, à l’instar de Bernanos, de combattre l’injustice, l’oubli des valeurs, et aussi cette médiocrité et cette indifférence trop humaines et flattées par l’époque moderne. Et puis toujours préciser, toujours se reporter aux définitions, se référer à des citations, recourir à des expressions courantes pour faire passer, faire connaître, donner accès. Avec gratitude pour les deux "Petits", Robert et Larousse, qui simplement par leurs définitions et/ou citations donnent à penser. Avec gratitude pour ces auteurs, penseurs, philosophes, sociologues, historiens, écrivains… qui nourrissent tant de conversations intérieures. Avec gratitude pour ces journaux et magazines qui ouvrent des horizons. Avec ce "fer dans la plaie" que beaucoup d’écrits ont déjà tout dit et n’ont rien changé, rien empêché.

 

Un changement de siècle peut s'opérer sur un événement particulier. D'un point de vue personnel, ce fut sur une question, la question d’un professeur de philosophie au début de son premier cours à des étudiants de 18-20 ans : « Qu’est-ce qu’être libre ? ». Et devant l’incapacité de femmes et d’hommes depuis peu majeurs et se destinant à être instituteurs de dire autre chose que « c’est faire ce qu’on veut », la réponse de ce professeur : « Etre libre, c’est pouvoir choisir, c’est surtout savoir choisir ». Puis d’ajouter à leurs mines dubitatives : « Que vaut la possibilité de choisir si l’on en est incapable, par ignorance, manque d’esprit critique, insuffisance d’informations, etc. ? ». La liberté perdait son statut d’"acquis" et devenait une conquête de tous les instants pour chaque individu. Alfred Sauvy disait : « Un homme qui n’est pas informé est un sujet, un homme informé est un citoyen », capable de se faire non une opinion versatile mais un jugement sûr. D’où cette conclusion en forme d’exigence : seul compte ce qui libère l’esprit, seuls comptent les esprits libres.

 

Ces derniers sont malheureusement pour beaucoup ou en retrait ou à la retraite ou enterrés. Rares dans les grands médias audiovisuels, présents le plus souvent à des heures et dans des programmes confidentiels, il faut chercher à découvrir et explorer ces terra incognita à côté desquelles nous pouvons passer toute notre vie, des territoires entiers des mondes technico-scientifique, économico-financier, politique, culturel… et du monde des idées qui restent dans l’ombre pour le plus grand nombre. Souvent, ce n’est que par l’écrit (livre, presse d’information…) qu’il est possible d’accéder aux pensées de ces esprits. Et l’on finit par croire comme d’autres que l'écrit constitue le seul véritable espace de liberté. Avec une mention spéciale pour l’essai.

 

Très vite Le Meilleur des mondes écrit en 1931 s’impose pour comprendre le pire de notre monde. Mais le roman d’Aldous Huxley perd en force par l’histoire qu’il raconte. La fiction l’emporte sur l’aspect documentaire, informatif qui constitue pourtant l’intérêt du livre mais se fond dans le décor. La nouvelle préface de 1946 et surtout l’essai d’Aldous Huxley Retour au meilleur des mondes publié en 1958 ont une force sans pareille. Lire cet essai conduit à souligner quasiment tout le texte tant, du début jusqu’à la fin, il décrit avec acuité l’évolution dans laquelle nous sommes aujourd’hui engagés, qui, outre la nature, atteint la nature même de l’homme, et sa vie et sa dignité. L’essai, expression libre et sans fioriture d’une pensée, paraît donc le chemin le plus court pour aller au fait, à l’essentiel, et aller au fond, toucher à la réalité profonde, si tant est que ce soit possible. Creuser, fouiller, sonder. Affiner et étoffer. L’essai peut-être aussi comme un manifeste contre cet appétit de l’homme de se faire raconter des histoires, de se raconter des histoires.

 

Au final, ce blog pourrait bien former un essai sans début ni fin, qui, s’il ne sera pas complet par nature et comportera sans doute des "pièces" en double ou triple, aura pour ambition d'être au moins cohérent ; ce qui, de nos jours, n’est déjà pas si mal.

 

Et ce qui fera l’unité des "pièces ramassées" de ce blog-essai, c’est l’atmosphère fin-de-siècle qui se dégage de ce début de siècle. Avec ce mépris de l’homme, de ce qui nous fait homme, de ce qui est bon ou mauvais pour l’homme, de ce qui grandit ou abaisse l’homme… ; mépris de l’homme menant au mépris de soi chez beaucoup d’hommes. Pour quelle raison ? Peut-être, comme l’écrivait Albert Schweitzer, du fait de cette « (…) misère spirituelle et matérielle à laquelle l’humanité d’aujourd’hui s’abandonne parce qu’elle renonce à la pensée et aux idéaux que celle-ci engendre » ; cette insignifiance avec tout plein de "petits bonheurs" quelconques dont la somme est censée faire le bonheur. Pauvre de nous ! condamnés à l’accoutumance (réelle ou supposée) ou condamnés.

 

Maintenant, les contrepoisons existent. A nous de voir.

 

16/02/2012

Epigraphes

« (…) Dès mes premières années à l’Université, j’avais commencé à douter de l’idée que l’humanité s’orientait irrésistiblement vers le progrès. J’avais l’impression que la flamme de l’idéal brûlait plus faiblement, sans qu’on le remarquât ou s’en souciât. Que de fois j’avais constaté que l’opinion, loin de blâmer l’expression publique de thèses barbares, les acceptait au contraire, et jugeait opportune la conduite inhumaine des Etats et des peuples. Déjà le zèle pour ce qu’il est juste et équitable de faire me semblait tiède. Et je reconnaissais, à de nombreux symptômes, une singulière lassitude intellectuelle et spirituelle chez cette génération si fière de ses travaux. Il me semblait lui entendre dire ce dont elle se persuadait elle-même : que les espoirs entretenus jusque-là sur l’avenir de l’humanité avaient été placés trop haut, et qu’il faudrait bien se borner à ne poursuivre que l’accessible. (…)

 

« Lorsque, vers la fin du XIXe siècle, nous jetions un regard en arrière dans tous les domaines pour mesurer les progrès accomplis, nous y apportions un optimisme qui me paraissait inconcevable. Partout on semblait admettre que non seulement nous avions avancé du point de vue de la technique et des sciences, mais que, dans le domaine spirituel et moral, nous étions parvenus à un niveau plus élevé et qui ne serait plus jamais mis en question. Or il me semblait à moi que dans la vie spirituelle, non seulement nous n’avions pas dépassé les générations précédentes, mais que sur beaucoup de points, nous vivions de leurs conquêtes, et qu’une bonne part de ces biens commençait à fondre entre nos doigts (…).

 

« Quand je faisais part de certaines de ces idées à des amis, ils les traitaient le plus souvent de paradoxes intéressants ou de propos d’un pessimisme fin-de-siècle. Là-dessus je me renfermai complètement en moi-même. Dans mes prédications seulement je laissais parler mes doutes quant à notre culture et notre spiritualité (…) »

 

Albert Schweitzer (Ma vie et ma pensée (1931) - Éditions Albin Michel)

envisageant « d’écrire une œuvre intitulée Nous autres, les épigones »

peu avant la Première Guerre mondiale qui mit fin à son projet.

 

 

 

 

«  (…) Et ce mépris de l’homme qui est à l’origine des crimes nazis, on en relève des traces ailleurs, dans l’archipel du Goulag, dans certaines expériences génétiques, dans l’exploitation industrielle du fœtus, dans le trafic des enfants à naître, dans l’indifférence totale des fabricants de pollution, dans l’immoralité consciente ou inconsciente des experts en manipulations psychologiques. (…) »

 

André Frossard - Le Crime contre l’humanité - Éditions Robert Laffont

16:42 Publié dans Epigraphes | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |