Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/06/2021

Envolé ! l'esprit des pionniers

«Homme libre, toujours tu chériras la mer !» écrivait Baudelaire, qui aurait pu ajouter les hautes terres, les airs, le désert... Le marin, le montagnard, l'aviateur, le nomade, voici en effet quelques exemples d'hommes libres qui se confrontent aux forces de la nature. L'homme de la terre fut aussi un homme libre quand la Terre était un grand jardin à chasser, à pêcher, à cueillir, à défricher, à cultiver, à domestiquer.

Mais la domestication ne s'appliqua pas seulement à la nature, elle s'appliqua aussi à l'homme, à sa propre nature. Si la Genèse lui commande de «se soumettre la Terre et de la dominer», il n'était pas écrit que la société humaine artificielle ainsi édifiée, allait à la longue le dominer, le soumettre. L'ironie veut que croyant domestiquer la Terre, c'est lui-même que l'homme domptait, asservissait, assujettissait.

Au lieu d'apprivoiser la Création, l'homme voulut la maîtriser pour l'utiliser. Et au lieu de s'affranchir, de s'émanciper, de se libérer, l'homme fut mis dans la dépendance et comme la Création, maîtrisé pour être utilisé. «Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme» disait Rousseau. L'homme aurait-il renoncé à lui-même pour devenir un individu totalement conditionné, n'utilisant plus son libre arbitre ?

«L'homme, serviteur de l'automate, deviendra lui-même un automate, un robot» prophétisait Georges Duhamel, qui donnait par ailleurs le contrepoison : «Créer, en définitive, est la seule joie digne de l'homme». La création plutôt que la destruction, l'imitation, le néant. La création pour que l'homme soit lui-même, invente et édifie un monde durable. La création pour qu'il se perpétue dans ses enfants et dans son œuvre.

«On ne triomphe du temps qu'en créant des choses immortelles» pensait Chateaubriand. Qu'y a-t-il d'immortel dans les réalisations de l'homme aujourd'hui ? Hier encore, des hommes, qui survivent pour toujours dans nos mémoires, chérissaient plus que tout la liberté. Ils s'appelaient Guillaumet, Mermoz, Saint-Exupéry. Ils étaient aviateurs et pilotes de l'Aéropostale, l'une des dernières grandes aventures humaines.

C'était la liberté qui les poussait à risquer leur vie. Et c'est la liberté qui poussa Saint-Ex, créateur et acteur, à repartir pour une dernière mission, avec peut-être au fond du cœur le désir d'en finir, lui qui se sentait «comme un survivant». «Si je suis descendu, écrivait-il, je ne regretterais absolument rien. La termitière future m'épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j'étais fait pour être jardinier.» Comme tout homme peut-être.

03/05/2013

Réduire les fractures

Jean-Louis Borloo estimait en 2004 que globalement, deux tiers des Français tiraient avantage depuis vingt ans de la situation socio-économique, tandis qu'un tiers en étaient les laissés-pour-compte. D'où la volonté de celui qui était alors ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, de faire de la lutte contre «la désintégration républicaine», sa priorité. Afin peut-être aussi de répondre à la défiance des défavorisés, exprimée lors des élections.

Sieyès (1748 - 1836), homme politique et prêtre, pensait que «Si l'on ôtait l'ordre privilégié, la nation ne serait pas quelque chose de moins mais quelque chose de plus». Jacques Marseille, à l'époque professeur d'histoire économique à la Sorbonne, le citait dans son livre La Guerre des deux France, celle qui avance et celle qui freine chez Plon. Et il joignait une parabole du comte de Saint-Simon (1760 -1825), philosophe et économiste.

«Supposons que la France perde subitement ses cinquante premiers physiciens (...), ses cinquante premiers poètes (...), ses cinquante premiers mécaniciens, ses cinquante premiers ingénieurs civils et militaires (...), ses deux cents premiers négociants, ses six cents premiers cultivateurs (...), la nation tomberait immédiatement dans un État d'infériorité vis-à-vis des nations dont elle est aujourd'hui la rivale (...).»

«Admettons que la France conserve tous ces hommes de génie (...) mais qu'elle ait le malheur de perdre le même jour Monsieur, frère du roi, Mgr le duc d'Angoulême, Mgr le duc de Berry, tous les grands officiers de la Couronne, tous les ministres d'État, tous les maîtres de requête, tous les préfets et sous-préfets, tous les employés dans les ministères, (...) il n'en résulterait aucun mal politique pour l'État.»

Ce constat sévère semblait, aux yeux de Jacques Marseille, n'en être pas moins pertinent dans les grandes lignes, y compris plus de deux siècles plus tard. A l'en croire, les titres ont changé, les situations acquises ont prospéré : une «France abritée» de nantis qui vivent aux dépens, au détriment des autres, «(...) qui, disposant des informations et des réseaux nécessaires, savent détourner à leur profit les ressources de l'État (...)».

Il plaidait pour ceux qui entreprennent, qui font, qui agissent, qui créent... Et il condamnait dans Le Monde «les privilèges de la fonction [qui] ont remplacé ceux de la naissance». Sa «France exposée» n'était pas celle de Jean-Louis Borloo, mais toutes deux illustraient les fractures de notre société. Neuf ans après, ces fractures se sont élargies et les "laissés-pour-compte" doivent tourner autour de 40 % de la population française. La cohésion sociale ne peut être une fin en soi obtenue plus ou moins artificiellement, elle ne viendra que de plus de justice sociale.