Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/05/2024

Querelle byzantine et de clocher

"Les martyrs du vrai catholicisme" semblent avoir leur porte-parole médiatique en la personne du père Danziec, pseudonyme d’un vrai prêtre de l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre (ICRSP). Il faut l’entendre vanter les mérites de la messe traditionnelle dans les colonnes du magazine Valeurs Actuelles (n°4564 du 16 au 22 mai 2024), qu’il apparente à « un bain de beauté », sous-entendu : contrairement à l’autre, la messe courante, pour ne pas dire banale voire quelconque, médiocre ou vulgaire. Et ce, en pleine déchristianisation avancée et même peut-être terminale.

Un prêtre catholique se paie donc le luxe de semer une nouvelle fois la discorde en se posant en victime, mais "victime" surtout de son sentiment de supériorité, très partagé dans ce courant. Opposer la messe selon le rite ordinaire d’après le concile Vatican II à la messe traditionnelle "dans la forme extraordinaire du rite romain", dite aussi "tridentine" ou "saint Pie V" ou "selon le missel de 1962", et considérée comme "la messe de toujours" et quelque part comme la seule messe authentique ou la seule messe qui vaille et même la seule messe valable, c’est rompre l’unité et tromper les fidèles.

 « Bain de jeunesse liturgique retrouvée », « océan de beauté oubliée », « verticalité de la liturgie traditionnelle », « développement imperturbable de l’écosystème traditionnel », « mépris dont il est l’objet de la part de nombre d’évêques », « institution ecclésiale qui se refuse à voir l’étendue de l’effondrement », « univers traditionnel dynamique mais déconsidéré, quand il n’est pas décrié », « (…) blessure de millions de catholiques déboussolés devant les ruptures qui se sont produites d’une façon éhontée à la suite du concile Vatican II », n’en jetez plus ! La coupe est pleine, pleine de dramatisation et d’enflure, d’outrances et d'outrecuidance, de mauvaise foi et d’orgueil.

Que des prêtres et des fidèles n’aient pas lu ou compris les textes de Vatican II à l’époque, c’est l’évidence. Que l’application qui s’en est suivie dans la liturgie ait été erronée ou fautive dans maints endroits et à des degrés divers, c’est tout aussi évident. Mais il faut dire la vérité : par rapport à celui de saint Pie V, c’est le missel de saint Paul VI qui effectue un retour aux sources et aux traditions les plus anciennes, en puisant notamment dans les sacramentaires romains du premier millénaire, en transposant des prières antiques avec les trois nouvelles prières eucharistiques, en rétablissant la concélébration attestée dès l’Antiquité chrétienne, etc.

Et puis le missel de saint Pie V ou missel tridentin (du concile de Trente), s’il date de 1569, ne s’est jamais généralisé, si bien qu’au début du XIXe siècle, la diversité était encore la règle. Avec le jansénisme et le gallicanisme, chaque diocèse français avait même sa propre liturgie. Il faudra attendre le milieu du XIXe siècle (à partir de 1840 environ) pour que, sous l’influence de Dom Guéranger, l’uniformisation s’impose enfin progressivement. Ce qui fait que "la messe de toujours" date en fait de 170 ans tout au plus, donc finalement de même pas deux siècles.

Le missel de saint Paul VI ou de Vatican II est en fait complètement dans la continuité de la liturgie antérieure. Comme souvent, le concile Vatican II a bon dos. Vous connaissez peut-être la plaisanterie : quelle est la différence entre un liturgiste et un terroriste ? Réponse : avec un terroriste au moins on peut négocier. Il serait bon que tout le monde fasse preuve de « lucidité », d’« humilité » et de « courage », ces « qualités essentielles (…) nécessaires pour l’autorité » selon le père Danziec. La messe selon le rite ordinaire d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle dévoyée pratiquée dans nombre de paroisses après Vatican II. Et la messe traditionnelle, ni plus belle, ni plus verticale, ne lui est pas supérieure.