26/07/2024
De grands démocrates
De grands démocrates ont décrété que le Rassemblement national (RN) ne pouvait avoir la majorité absolue ou même une majorité relative lui permettant de former un gouvernement. Des partis qui eux se disent de gouvernement (avec les résultats que l’on sait), se sont donc mis d’accord pour empêcher que le scrutin se déroule normalement. Le programme du RN était dangereux, son inexpérience dangereuse, ses arrière-pensées dangereuses… Ce qui n’est pas sans rappeler la grande frayeur à l’arrivée en 1981 des socialo-communistes, auxquels on reprochait les mêmes choses.
De grands démocrates ont orchestré des désistements massifs, au plus haut niveau de l’État et avec notamment La France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS), Les Écologistes, le Parti communiste français (PCF)…, et ont ainsi permis essentiellement à des candidats d’Ensemble ! pour la République (Renaissance, Mouvement démocrate, Horizons…) et du Nouveau Front Populaire (NFP) mais aussi des Républicains (LR) de l’emporter. Signifiant en quelque sorte qu’ils se considéraient comme les propriétaires de la Cinquième République et qu’ils refusaient d’en être délogés.
De grands démocrates ont souligné dimanche 7 juillet au soir la défaite du RN pour s’en satisfaire voire jubiler, la victoire de la gauche pour s’en satisfaire voire jubiler, la demi-victoire du centre et la bonne surprise pour LR (Les Républicains). Une simple lecture pourtant des résultats électoraux mettait en évidence que c’était la suppression des triangulaires qui avait permis cette "défaite" et ces "victoires". Dans l’euphorie d’avoir "sauvé" la République, leur République, et donc leur place forcément légitime en son sein, ils en oubliaient le nombre de voix et les pourcentages.
De grands démocrates qui s’étaient pourtant alliés à d’autres grands démocrates pour "faire barrage" au RN (à moins que ce ne soit à la démocratie, à la volonté d’une forte proportion du peuple français), ont tout à coup (re)découvert qu’une partie de la gauche qu’ils venaient de favoriser, était pour le coup radicale, jusqu’au-boutiste voire fanatique. D’où dans la panique, un autre barrage pour empêcher essentiellement LFI et Jean-Luc Mélenchon d’être au gouvernement. Les amis d’hier sont devenus les ennemis d’aujourd’hui : « va comprendre Charles ! »
De grands démocrates ont donc décidé de leur propre chef qu’entre un peu plus de 210 députés (avec seulement LFI + RN) et un peu plus de 320 députés (si l’on prend tout le NFP + RN), et donc qu’autour de 15 à 18 millions d’électeurs, comptaient pour rien et ne pouvaient avoir voix au chapitre. Au pire chez certains, l’on pourrait ainsi trouver normal que près de 60% des électeurs qui se sont exprimés au premier tour de ces élections législatives ne puissent pas être représentés dans le prochain gouvernement. Mais bien sûr, vive la République et vive la France !
De grands démocrates arrivés en tête en nombre de sièges mais ne pesant même pas un tiers de l’Assemblée nationale, ont conclu qu’il leur revenait de gouverner la France et d’appliquer intégralement un programme devant lequel paraissent très modérés voire carrément mollassons le Programme commun de la gauche (des socialo-communistes) et les 110 propositions qui menèrent François Mitterrand à l’Élysée le 10 mai 1981. Et devant une certaine réticence, tout de suite d’intimider, de menacer, d’invectiver… Peut-être sont-ils aussi démocrates que leur mouvement et l’association qui va avec, ont un fonctionnement démocratique ?
Diaboliser et "tenter le diable"
De grands démocrates se permettent d’exclure de ce qu’ils appellent « l’arc républicain » ou « le champ républicain » un ou des partis admis par les lois de la République, leur déniant une légitimité politique. Quelques années après que le Front national est devenu le Rassemblement national, des groupements hétéroclites reprennent à leur compte le terme de "front", sans référence aucune hélas au siège de la pensée mais en référence plutôt à une ligne ou une zone de batailles : Front populaire, front républicain…, ce qui ne peut mener qu’à des confrontations, qu’à des affrontements.
De grands démocrates devraient comprendre qu’il est temps d’inclure des partis dits extrêmes et en particulier le RN qui représente plus de 10 millions de citoyens français, tout aussi démocrates et républicains que les autres, et de le traiter en opposant, en adversaire politique et non en ennemi. On ne peut continuer à rejeter ou mépriser en bloc (de façon simpliste et extrême) un parti légal, ses idées, ses analyses, ses propositions, ses électeurs et leurs préoccupations. Là est le péché originel, le "first blood", le premier sang versé, la première offense, la violence mère.
De grands démocrates un peu bas du front devraient revenir à la raison. Le RN n’est pas là par hasard depuis quarante ans dans le paysage politique français. Il répond, peut-être mal, à des problèmes bien réels (dont la montée des violences et de l’insécurité, de l’islamisme, d’une immigration incontrôlée) qu’il ne suffit pas d’évacuer, parce que jugés politiquement incorrects, pour qu’ils ne se posent plus. Mais encore faudrait-il que certains de ces grands démocrates n’aient pas intérêt à la radicalisation, à la conflictualisation, à la discrimination… et en même temps à la complaisance, à la connivence.
De grands démocrates devraient pouvoir reconnaître qu’avec 37 sièges obtenus dès le premier tour (32 au NFP), le RN a dépassé au second tour de 1 740 000 voix le NFP (contre 380 000 voix au premier tour), soit un écart de près de sept points en pourcentage des votes exprimés (contre un point au premier tour), le NFP baissant entre les deux tours de 28,06% à 25,68%. Et si l’on compte les voix obtenues par les candidats apparentés d’Éric Ciotti, c’est cinq points de plus pour le RN au second tour (3,96 au premier tour), soit 37,05% contre 25,68% au NFP.
De grands démocrates soulignent-ils ce fait majeur ? Près de onze points et demi d’écart (plus de 3,1 millions de voix), malgré les "combinazione" ! Dit autrement, RN et alliés n’ont perdu qu’un peu plus de 500 000 voix entre les deux tours alors que 38 de leurs candidats avaient été élus dès le premier tour. En comparaison, avec 32 sièges obtenus au premier tour, le NFP a perdu près de 2 millions de voix entre les deux tours ! Où est le front républicain en matière de mobilisation ? Juste trois points pour Ensemble ! (23,14% des votes exprimés contre 20,04% au premier tour).
De grands démocrates peuvent-ils admettre que le rappel des troupes n’a pas fonctionné à gauche entre le premier et le second tour, que seuls les reports de voix ont joué ? Et ces grands démocrates sont-ils seulement choqués de constater qu’au second tour il a fallu au RN 114 875 voix pour obtenir un siège, au NFP 47 978 voix, à Ensemble ! 42 661 voix, à LR 38 807 voix, soit 2,4 à 3 fois plus de voix ? Si l’égalité était honorée, à combien de sièges pourrait prétendre le RN ? Heureusement que tout cela s’est fait dans le cadre du mode de scrutin et dans le respect des règles électorales.
Basse tactique électorale
De grands démocrates peuvent-ils cautionner cela ? Presque tout s’explique, répétons-le, par la manœuvre visant à réduire l’offre politique du second tour en retirant un candidat pour passer de triangulaires à des duels dans 215 circonscriptions (173 perdues par le RN). Bien sûr, tout cela est légal, mais qu’en est-il des principes ? De l’esprit de la loi et de la Constitution ? Bien sûr, beaucoup d’électeurs ont reporté leur voix suivant les consignes (à des degrés divers suivant les partis en lice) mais aussi sous la pression d’une mobilisation militante peut-être sans précédent et tous azimuts.
De grands démocrates s’en émeuvent-ils ? Le matraquage a été tel que par exemple 26% des électeurs LR et divers droite (les plus proches politiquement du RN) ont voté pour un candidat LFI face au RN (29% pour un candidat PS, PCF ou écologiste). Et l’inverse est vrai : dans le cas d’un duel RN/LR, 70% des électeurs du NFP ont choisi de voter pour le candidat LR. Des électeurs donc persuadés de défendre la démocratie, la République, la France. Que ces électeurs aient pu accepter la thèse de l’ennemi public numéro un en dit long sur l’efficacité de cette campagne d’intoxication.
De grands démocrates ont réussi à vendre le "Tout sauf le RN", "l’esprit du mal" incarné. Parvenir ainsi à retourner les esprits sans aucun élément factuel (combien d’enquêtes sur la gestion des mairies RN ?) ou sinon, avec des éléments uniquement orientés ou à charge et sans "parole à la défense", parvenir à instiller l’idée que c’était le RN qui divisait et était néfaste pour le pays (et non pour le statu quo ou pour les statuts sociaux de nombre de grands démocrates en poste), relève d’une stratégie du bouc-émissaire qui fait du RN le responsable de la situation alors qu’il n’est pas aux affaires.
De grands démocrates ont suscité, encouragé ou approuvé ce "bombardement en tapis" propagandiste ou "bombardement de saturation" de l’espace médiatique notamment. Plaçant les électeurs au minimum sous influence et presque même sous la contrainte. Mais ceux-ci peuvent constater aujourd’hui que ces grands démocrates dans leur obsession d’empêcher le RN d’obtenir une majorité absolue ou relative, en ont tant et tant fait qu’il n’y a aucune majorité absolue ou relative pour qui que ce soit. Pour eux, ils ont évité le pire et se rengorgent. Mais la réalité est peut-être tout autre.
De grands démocrates ont déchaîné les passions, les pulsions, hystérisé et ostracisé, exalté, déliré, surexcité…, ont déclaré le RN indigne de toute considération, l’ont dénoncé au mépris public. Parfois les mêmes qui démonisent le RN, angélisent certaines idéologies, certains fondamentalismes, certains radicalismes absolus... En s’opposant par tous les moyens, pour le moins limites pour ne pas dire extrêmes, en allant jusqu’à nazifier le RN, l’animaliser, ils se sont comportés en muftis républicains lançant des fatwas laïques, des condamnations sans appel.
Politiquement malin, moralement méprisable
Ces grands démocrates ont refusé de perdre le pouvoir et refusé au RN de parvenir au pouvoir. Ils peuvent espérer que des militants, sympathisants et électeurs de ce parti, lassés de perdre, se tournent vers des partis comme LR qui depuis douze ans tente de se refaire une virginité politique et maintenant reprend les propositions du RN en matière de sécurité, de justice, d’immigration... Mais quoi qu’il en soit, il demeure que ces élections ont été faussées par une surreprésentation de la gauche, du centre et de LR à l’Assemblée nationale, contraire à la réalité politique du pays.
Ces grands démocrates devraient savoir qu’on ne peut toucher impunément aux valeurs et pratiques républicaines. Qui plus est, une démocratie représentative doit garantir le pluralisme politique et des élections libres. Si l’expression de toutes les opinions n’est plus réellement permise par une déconsidération systématique, si certains partis d’opposition ne sont pas tenus pour légitimes et que l’espoir d’accéder au gouvernement leur est fermé, si les lois et procédures permettant une alternance légale sont en quelque sorte contournées, où cela pourrait-il nous mener ?
Ces grands démocrates devraient se questionner : libre expression, y compris des citoyens, et juste représentativité des élus ont-elles été vraiment respectées dans ces élections ? Les sauveurs de la démocratie s’avèrent ses fossoyeurs. Comme des enfants, ils ont joué (avec le feu), ils ont perdu, en voulant à toute force faire perdre "le grand méchant loup". Ils ont agité l’épouvantail, ont "crié au loup" comme l’enfant de la fable d’Ésope datée du VIe siècle av. J.-C. (avant Jésus-Christ). Comme quoi, dès l’Antiquité, l’on savait le danger du mensonge qui trompe, divise et nuit.
Ces grands démocrates doutent-ils en fait de la solidité de nos institutions ? Car à voir leurs (ré)actions, l’on serait presque tenté de croire qu’on peut en faire ce qu’on veut, et eux y compris. Les résultats des élections sont tombés, de même en interne à l’Assemblée nationale, et qu’a fait le "grand loup noir" ? S’est-il écrié comme dans le conte des Trois Petits Cochons : « je vais m’enfler et souffler et la maison défoncer » ? Non. Mais désigne-t-on ceux qui sapent les fondations de la Maison du peuple (que devrait être l’Assemblée nationale) et de la Maison France ?
Ces grands démocrates, maintenant que tout le monde a perdu, crient de nouveau au loup (plus petit mais autrement plus méchant), mais tout ce que gagnent les menteurs, c’est de n’être plus crus, même s’ils disent la vérité. "Nous ou le chaos" suggéraient-ils. Résultat : eux et le chaos. Les "bonnes consciences" donnent des "leçons de maintien" mais pataugent dans le marigot politic(h)ien. Que se sont-elles empêchées ? Devenir grands, c’est peut-être ce que le peuple français souhaiterait pour nos démocrates en culottes courtes. Car à défaut de changement, le pire, c’est peut-être maintenant.
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