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09/01/2018

Pas comme avant

«C'était l'âge d'or de la sécurité, raconte Stefan Zweig (Le monde d'hier, souvenirs d'un Européen). L'Etat paraissait le suprême garant de cette pérennité. Chacun savait ce qui était permis ou défendu. Tout avait sa norme, sa mesure, son poids déterminé. (...) Ce siècle des valeurs assurées, dans son idéalisme, était sincèrement convaincu qu'il se trouvait sur la route rectiligne et infaillible du meilleur des mondes possibles.

«Maintenant que le grand orage l'a depuis longtemps fracassé, nous savons que ce monde de la sécurité n'était qu'un château de nuée. Pourtant mes parents l'ont habité comme une maison de pierre.» Le monde que dépeint ainsi l'écrivain autrichien (cité par Eva Joly dans son livre Notre affaire à tous aux éditions Les arènes), est celui de la société viennoise des années 1900 avant le cataclysme de 1914-1918.

Nous avons tous en tête un monde qui s'est écroulé, une époque révolue, un passé qui ne reviendra plus, un air lancinant fredonné par France Gall. «Y'a comme un goût amer en nous Comme un goût de poussière dans tout Et la colère qui nous suit partout. (...) Evidemment (bis) On danse encore Sur les accords Qu'on aimait tant. Evidemment (bis) On rit encore Pour les bêtises Comme des enfants Mais pas comme avant.»

Avant, quand les certitudes et les principes aidaient les hommes à rester debout et droits. Maintenant que le doute et le cynisme lézardent l'édifice monté pierre à pierre durant les siècles passés, maintenant les hommes passent le plus clair de leur temps assis ou couchés, prosternés à plat ventre devant les fausses divinités. Adorant le Veau d'or, s'agenouillant devant le pouvoir, courbant l'échine, s'abaissant.

Parfois certains se redressent, se soulèvent, se rebellent contre le sort qui leur est fait. «Nous ne dépendons point des constitutions et des chartes, mais des instincts et des mœurs» écrivait Anatole France. Quand la dépendance aux instincts les plus bas et aux mœurs les plus corrompues devient insupportable, l'homme ce «dieu tombé qui se souvient des cieux» selon Lamartine, peut se prendre à rêver d'infini.

Mais la plupart resteront cassés et prostrés, dans les ruines de leur «maison de pierre». «Spectateurs inertes et impuissants» dirait Michelet. Désenchantés. Démobilisés. Défaits. «Et ces batailles dont on se fout, chantonnait France Gall, C'est comme une fatigue, un dégoût A quoi ça sert de courir partout (...).» Evidemment, on danse, on rit encore. Evidemment, on vit encore. Mais pas comme avant. Pas comme avant.

06/12/2013

De l'utilité des "idiots"

II est attristant de s'apercevoir que chez beaucoup d'hommes «l'ignorance peut les combler», comme l'écrit Frédéric Schiffter dans Pensées d'un philosophe sous Prozac aux éditions Milan. Ils se satisfont de peu, s'occupent ou se distraient avec peu de chose, et promènent parfois leur air suffisant, inconscients de leur insuffisance ou s'en accommodant. Lénine avait une expression pouvant qualifier ce genre d'individus : «idiots utiles».

"Idiots" par leur manque de connaissances ou de pratique dans un domaine ou plus généralement d'instruction, de savoir, par l'absence de connaissances intellectuelles, de culture générale ou par leur inexpérience totale. Ou "Idiots" aussi par leur confiance, leur foi, leur obéissance, leur soumission aveugle et leur manque de discernement. Ou bien "Idiots" encore par leur adhésion sans réserve à une idéologie, officielle ou non.

Mais ces adeptes - fidèles ou partisans - sont aussi utiles car ils rendent des services irremplaçables aux pouvoirs en place. Ne serait-ce que parce qu'ils ne s'interrogent pas, ne discutent pas les ordres et sont prêts même pour certains d'entre eux à servir de fusibles. Ces parfaits serviteurs ne sont pourtant pas à plaindre car ils ont des compensations et retombent toujours sur leurs pieds grâce à leur(s) protecteur(s).

"Pour services rendus", ils se voient souvent offrir faveurs et places, des positions enviables. Chacun y trouve son compte. Nos «commis dévoués», petits ou grands, sont à la solde des puissants pour accomplir leurs hautes ou basses besognes et maintenir le statu quo, l'état actuel des choses, avantageux pour eux. Ces hommes de confiance ont ainsi la satisfaction d'avoir leur part du gâteau et de jouir d'une parcelle de pouvoir.

Le problème en démocratie c'est quand cela touche les "contre-pouvoirs". Si ceux-ci se font les complices des pouvoirs pour se partager les droits et les avantages du pouvoir, s'ils ménagent les influents pour se ménager des situations confortables, s'ils se laissent acheter, le pouvoir des uns n'arrête plus le pouvoir des autres qui devient absolu. La critique et la contradiction devenant même, sinon impossibles, au moins impuissantes.

C'est aussi vrai pour des doctrines présentées comme les seules valables, qui réclament d'être servies par des gens emplis de certitudes. Et «L'ennui dans ce monde, c'est que les idiots sont sûrs d'eux et les gens sensés pleins de doutes» (Bertrand Russell). Mais à laisser filer les choses suivant les plans de quelques-uns ou suivant la pente prise, sans les mettre en doute, n'agirions-nous pas tous en «idiots utiles» ?