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08/11/2019

A la toute dernière extrémité

«Un état politique où des individus ont des millions de revenu, tandis que d'autres individus meurent de faim, peut-il subsister quand la religion n'est plus là avec ses espérances hors de ce monde pour expliquer le sacrifice ?... A mesure que l'instruction descend dans ces classes inférieures, celles-ci découvrent la plaie secrète qui ronge l'ordre social irreligieux. La trop grande disproportion des conditions et des fortunes a pu se supporter tant qu'elle a été cachée ; mais aussitôt que cette disproportion a été généralement aperçue, le coup mortel a été porté. Recomposez, si vous le pouvez, les fictions aristocratiques ; essayez de persuader au pauvre, lorsqu'il saura bien lire et ne croira plus, lorsqu'il possédera la même instruction que vous, essayez de lui persuader qu'il doit se soumettre à toutes les privations tandis que son voisin possède mille fois le superflu : pour dernière ressource, il vous le faudra tuer.»

Ce texte de Chateaubriand (cité par Jean d'Ormesson dans son ouvrage Et toi mon cœur pourquoi bats-tu paru aux éditions Robert Laffont), n'a pas pris une ride. Au moment où les Restaurants du cœur vont rouvrir pour la trente-cinquième année (!), où le Secours catholique constate que la précarité et la pauvreté, en particulier l'extrême pauvreté, augmentent et s'établissent de façon durable, et où les hauts revenus n'en finissent pas de s'accroître.

Avant d'en arriver à la dernière extrémité (réprimer dans le sang toute révolte), n'oublions cependant pas qu'un état politique moderne a d'autres ressources. Les découvertes de la psychologie et de la sociologie lui permettent de disposer d'un arsenal d'armes de persuasion et de dissuasion individuelles ou massives très efficaces pour maintenir la paix sociale. Les mass média en étant les vecteurs essentiels.

D'autres rideaux de fumée chargés d'occulter la réalité, de dissimuler, de protéger, existent. Comme la monnaie de papier, des textes fondamentaux (constitutions, chartes...) peuvent être vus comme des écrits de papier "fondés sur la confiance accordée à ceux qui les émettent" ou en sont garants. Ils sont en fait fictifs dans ce sens qu'ils n'ont "de valeur qu'en vertu d'une convention" : affirmer être en démocratie.

Si les fictions démocratiques ne suffisent plus, il reste encore la possibilité de baisser le niveau d'instruction, de filtrer l'information, d'encourager de nouvelles "religions" comme le football, etc. Mais si un jour le pauvre se révolte contre le destin qui de tout temps lui impose de se sacrifier, d'être sacrifié, alors oui et alors là seulement quelques-uns pourraient être tués pour l'exemple, afin que tout rentre dans l'ordre.

23/11/2012

Redistribuer les richesses

La semaine de la solidarité internationale du 17 au 25 novembre vient à point nommé nous rappeler les faits. Les faits sont têtus, ils nous répètent que malgré nos sujets de mécontentement, nous sommes des privilégiés parmi les un peu plus de sept milliards d'êtres humains vivant sur terre.

Un ex-rédacteur publicitaire, Frédéric Beigbeder, mettait ainsi en parallèle ces faits dans un roman titré 99 F paru chez Grasset en 2000. En accord avec Rainer Werner Fassbinder, «Ce qu'on est incapable de changer, il faut au moins le décrire», cet auteur dressait le portrait de notre société de consommation, repue, indécente et décadente.

«En 1998, chaque ménage français a dépensé en moyenne 640 francs par semaine pour son alimentation. Coca-Cola vend un million de cannettes par heure dans le monde. Il y a vingt millions de sans-emploi en Europe.»

«Barbie vend deux poupées par seconde sur terre. 2,8 milliards d'habitants de la planète vivent avec moins de deux dollars par jour [environ 15 F]. 70 % des habitants de la planète n'a pas le téléphone et 50 % pas l'électricité. Le budget mondial des dépenses militaires dépasse 4 000 milliards de dollars, soit deux fois le montant de la dette extérieure des pays en voie de développement.»

«La fortune personnelle de Bill Gates équivaut au PIB [produit intérieur brut] du Portugal. Celle de Claudia Schiffer est estimée à plus de 200 millions de francs. 250 millions d'enfants dans le monde travaillent pour quelques centimes de l'heure.»

«Tous les jours, les 200 plus grandes fortunes du monde grossissent de 500 dollars [3800 F] par seconde.»

«Le chiffre d'affaires de General Motors (168 milliards de dollars) équivaut au PIB du Danemark.»

Depuis, l'euro est arrivé et le roman de Frédéric Beigbeder est titré 14.99 €. Mais d'autres chiffres ont changé. Dorénavant, chaque ménage français dépense en moyenne 113,65 € par semaine pour son alimentation, soit 100 francs de plus qu'en 1998. Coca-Cola vend 2,8 millions de cannettes par heure dans le monde (+ 280 %). Il y a vingt-cinq millions de sans-emploi en Europe (5 millions supplémentaires).

Barbie vend deux poupées et demie par seconde sur terre. 3,4 milliards d'habitants de la planète vivent avec moins de deux dollars par jour (+ 600 millions ; 48 % de la population mondiale). 25 % des habitants de la planète n'a pas le téléphone... portable (inversement en quinze ans) et 25 % pas l'électricité (- 25 points). Le budget mondial des dépenses militaires dépasse 1700 milliards de dollars (contre 834 milliards en 1998 et non comme indiqué par Frédéric Beigbeder 4000 milliards), et le montant de la dette extérieure (publique et privée) des pays en voie de développement est de 3900 milliards de dollars (quasi doublement).

La fortune personnelle de Bill Gates équivaut au PIB du Sultanat d'Oman (66 milliards de dollars "seulement". Bill Gates donne beaucoup de son superflu). Celle de Claudia Schiffer est estimée à plus de 600 millions de francs (120 millions de dollars ; + 300 %). 215 millions d'enfants dans le monde travaillent (35 millions de moins).

Les 200 plus grandes fortunes du monde totalisent 2700 milliards de dollars (un peu plus que le PIB de la France).

Le chiffre d'affaires (CA) de General Motors (150 milliards de dollars) équivaut au PIB de la Hongrie. Et c'est le CA de la China National Petroleum (350 milliards de dollars) qui équivaut désormais au PIB du Danemark. En fait, General Motors a été supplantée par Toyota Motor (235 milliards de dollars) et Volkswagen (221 milliards de dollars). La plus "grande" entreprise mondiale étant la Royal Dutch Shell avec un CA de plus de 480 milliards de dollars.

Mais parmi ces "milliards", il ne faudrait pas oublier les neuf millions de Français vivant en dessous du seuil de pauvreté (voire douze millions si l'on adopte les critères de la commission européenne). La misère de proximité semble moins faire recette. Comme si l'éloignement la rendait plus émouvante ou plus supportable. «Les oubliés de la croissance» comme les appelait en 2000 le Secours Catholique, aujourd'hui les "en-trop" ou les sous-prolétaires de la société, sont des êtres humains uniques qui réclament plus que de la solidarité : un véritable partage des richesses.