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24/11/2020

L'homme écrasé par le mépris

«II y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective "business", soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages.

«Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible.» Incroyable mais vrai ! Un responsable de TF1 - et non on ne sait quel intellectuel dont on mettrait immédiatement en doute les propos - admettait l'inadmissible. Et cet homme n'était autre que le PDG alors de la chaîne, Patrick Le Lay, qui répondait avec d'autres patrons aux questions des Associés d'EIM, société de conseil opérationnel, dans un livre sorti avant l'été 2004.

Préfacé par Ernest-Antoine Seillière, président du Medef à cette époque, cet ouvrage avait pour titre : Les dirigeants face au changement (Editions du Huitième Jour). Et pour un changement, c'était un changement ! Finie l'hypocrisie ! La suffisance a ceci de vertueux qu'elle fait oublier toute prudence. A moins que ce ne soit la puissance de son groupe qui faisait assumer ainsi au N°1 de TF1 son «métier». Intouchable, il pouvait se permettre jusqu'à la vérité.

Peut-être même qu'il pesait ses mots et n'y voyait rien de cynique ? C'est vrai quoi ! qu'y a-t-il de scandaleux dans le fait de mettre en condition des êtres humains afin de les rendre perméables à toutes les "bonnes" influences !? N'est-ce pas l'un des buts de bien des institutions !? D'ailleurs, l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris - Sciences-Po - ne disait pas autre chose cette année-là dans son document de présentation de sa nouvelle école de journalisme.

Le journal Le Monde rapportait que «La mission des journalistes, qualifiés d’"acteurs éminents de la régulation sociale", est définie comme "un travail d'explication". La formation aux métiers du journalisme doit donc développer "une prise de conscience, par chacun, de sa part de responsabilité professionnelle"». En clair : priorité à l'harmonie nationale. Non aux "incontrôlables" qui risqueraient par leurs critiques de troubler les esprits et l'ordre !

Ceci dit, qu'est-ce que cela changerait si «le téléspectateur» l'apprenait ?! Francis Fukuyama dans La Fin de l'homme (Editions de la Table Ronde) cite Léon Kass : «(...) les gens déshumanisés à la façon du Meilleur des mondes ne sont pas misérables : ils ne savent pas qu'ils sont déshumanisés et - ce qui est bien pire - ils s'en moqueraient s'ils venaient à le savoir. Ce sont, réellement, des esclaves heureux, d'un parfait bonheur servile».

23/11/2012

Redistribuer les richesses

La semaine de la solidarité internationale du 17 au 25 novembre vient à point nommé nous rappeler les faits. Les faits sont têtus, ils nous répètent que malgré nos sujets de mécontentement, nous sommes des privilégiés parmi les un peu plus de sept milliards d'êtres humains vivant sur terre.

Un ex-rédacteur publicitaire, Frédéric Beigbeder, mettait ainsi en parallèle ces faits dans un roman titré 99 F paru chez Grasset en 2000. En accord avec Rainer Werner Fassbinder, «Ce qu'on est incapable de changer, il faut au moins le décrire», cet auteur dressait le portrait de notre société de consommation, repue, indécente et décadente.

«En 1998, chaque ménage français a dépensé en moyenne 640 francs par semaine pour son alimentation. Coca-Cola vend un million de cannettes par heure dans le monde. Il y a vingt millions de sans-emploi en Europe.»

«Barbie vend deux poupées par seconde sur terre. 2,8 milliards d'habitants de la planète vivent avec moins de deux dollars par jour [environ 15 F]. 70 % des habitants de la planète n'a pas le téléphone et 50 % pas l'électricité. Le budget mondial des dépenses militaires dépasse 4 000 milliards de dollars, soit deux fois le montant de la dette extérieure des pays en voie de développement.»

«La fortune personnelle de Bill Gates équivaut au PIB [produit intérieur brut] du Portugal. Celle de Claudia Schiffer est estimée à plus de 200 millions de francs. 250 millions d'enfants dans le monde travaillent pour quelques centimes de l'heure.»

«Tous les jours, les 200 plus grandes fortunes du monde grossissent de 500 dollars [3800 F] par seconde.»

«Le chiffre d'affaires de General Motors (168 milliards de dollars) équivaut au PIB du Danemark.»

Depuis, l'euro est arrivé et le roman de Frédéric Beigbeder est titré 14.99 €. Mais d'autres chiffres ont changé. Dorénavant, chaque ménage français dépense en moyenne 113,65 € par semaine pour son alimentation, soit 100 francs de plus qu'en 1998. Coca-Cola vend 2,8 millions de cannettes par heure dans le monde (+ 280 %). Il y a vingt-cinq millions de sans-emploi en Europe (5 millions supplémentaires).

Barbie vend deux poupées et demie par seconde sur terre. 3,4 milliards d'habitants de la planète vivent avec moins de deux dollars par jour (+ 600 millions ; 48 % de la population mondiale). 25 % des habitants de la planète n'a pas le téléphone... portable (inversement en quinze ans) et 25 % pas l'électricité (- 25 points). Le budget mondial des dépenses militaires dépasse 1700 milliards de dollars (contre 834 milliards en 1998 et non comme indiqué par Frédéric Beigbeder 4000 milliards), et le montant de la dette extérieure (publique et privée) des pays en voie de développement est de 3900 milliards de dollars (quasi doublement).

La fortune personnelle de Bill Gates équivaut au PIB du Sultanat d'Oman (66 milliards de dollars "seulement". Bill Gates donne beaucoup de son superflu). Celle de Claudia Schiffer est estimée à plus de 600 millions de francs (120 millions de dollars ; + 300 %). 215 millions d'enfants dans le monde travaillent (35 millions de moins).

Les 200 plus grandes fortunes du monde totalisent 2700 milliards de dollars (un peu plus que le PIB de la France).

Le chiffre d'affaires (CA) de General Motors (150 milliards de dollars) équivaut au PIB de la Hongrie. Et c'est le CA de la China National Petroleum (350 milliards de dollars) qui équivaut désormais au PIB du Danemark. En fait, General Motors a été supplantée par Toyota Motor (235 milliards de dollars) et Volkswagen (221 milliards de dollars). La plus "grande" entreprise mondiale étant la Royal Dutch Shell avec un CA de plus de 480 milliards de dollars.

Mais parmi ces "milliards", il ne faudrait pas oublier les neuf millions de Français vivant en dessous du seuil de pauvreté (voire douze millions si l'on adopte les critères de la commission européenne). La misère de proximité semble moins faire recette. Comme si l'éloignement la rendait plus émouvante ou plus supportable. «Les oubliés de la croissance» comme les appelait en 2000 le Secours Catholique, aujourd'hui les "en-trop" ou les sous-prolétaires de la société, sont des êtres humains uniques qui réclament plus que de la solidarité : un véritable partage des richesses.