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05/10/2018

Débordé !

«Débordé !»Voilà notre lot commun. De l'enfant écolier au vieillard retraité, pas un qui ne soit pas ou ne se dise pas débordé. A la fois expression d'une satisfaction et d'une insatisfaction, cette exclamation est symbolique d'une société où notre vie se doit d'être active ou impulsive le plus possible, et le moins possible contemplative ou réfléchie. Notre condition humaine se réduisant à être et rester productifs et... utiles.

Nos fleuves, rivières ou étangs, eux, ne se gênent pas pour déborder à l'époque des crues. Et aujourd'hui il ne se passe plus de saison sans que l'on ait à déplorer des pluies diluviennes. Le climat est à l'orage, et nos sauveteurs et météorologues paraissent bien débordés par ces inondations répétitives. Mais si les eaux coulent, le temps aussi ; qui nous est compté, nous échappe, et devant lequel parfois, nous préférons la fuite.

Les débordements médiatiques sont l'apanage de notre temps. L'émotion ruisselle de nos écrans et il est difficile d'échapper à ces cœurs débordant devant caméras et micros. Ah ! ce besoin de s'épancher chez nos contemporains ! Ces beaux et moins beaux sentiments déversés par le vulgum pecus devant le trou de serrure ! Et ces explosions de joie, d'enthousiasme, de tendresse..., ces effusions jusqu'à l'écœurement !

Le débordement n'est pas loin non plus avec ces flots de paroles qui se répandent en abondance sur toutes les ondes et dans toutes les conversations. Tout n'est plus que torrent, déluge de propos en tout genre. Quand il ne s'agit pas de bordées d'injures (injustices, affronts, calomnies, insultes) qui peuvent faire déborder plus d'un honnête homme, le pousser à bout au point de le faire sortir de lui-même, éclater, exploser.

Et puis il y a les excès de notre monde moderne. Cette débauche de moyens, de techniques..., mais aussi de plaisirs (fêtes, spectacles, drogues, etc). Tous ces débordements qui permettent à l'homme de s'immerger, lui donnent l'illusion qu'il peut déborder les limites imposées. Tous ces abus qui l'abusent. La société de surabondance et d'exubérance comblant par des paradis artificiels son propre vide. "Misère dorée".

L'homme "condamné" à une activité débordante - aveuglé par ce "cache-misère" - ne perçoit pas qu'il est en fait : submergé par les événements, conditionné pour avoir peur de manquer du "nécessaire" et gouverné par des mythes. Débordant apparemment de vie, de santé, débordé d'occupations ou faisant mine de l'être, il dit couler des jours heureux jusqu'à, un jour peut-être, «la goutte d'eau qui fait déborder le vase».

18/05/2018

La pudeur ou le respect humain

Il y a des attitudes qui semblent ici ou là avoir disparu du comportement courant, comme la pudeur. Avant principe de bonne éducation, elle ne paraît plus de mise dans une civilisation où l'apparence l'emporte sur le fond, la représentation sur la réalité, l'émotion sur la raison... La personne pudique risquant ainsi d'être jugée : "coincée, renfermée, individualiste, dissimulatrice, asociale ou inadaptée".

La pudeur est d'abord pour la majorité des hommes cette gêne à se montrer nu. A voir certaines plages publicitaires ou du bord de mer, certains magazines ou films, de plus en plus de nos contemporains ne se gênent plus. Ils auraient tort : cela peut rapporter gros de s'exposer de la sorte. Mais que vaut l'étalage de la chair en comparaison d'un cœur et d'un corps mis à nu pour le seul être cher !?

La pudeur est aussi comprise dans le sens de respect des convenances, de décence. Elle s'apparente à un sentiment de honte, d'embarras, éprouvé à évoquer, «à envisager, à faire des choses de nature sexuelle», ou devant ce que la dignité interdit : faire de l'humain un moyen et non une fin. Mais "autres temps, autres mœurs", il est interdit d'interdire, y compris l'attentat ou l'outrage à la pudeur.

La pudeur véhicule également les notions d'honnêteté et de modestie. C'est ce qui empêche certains de se pousser du col, de surestimer leur mérite, de se vanter. Cette vertu est un handicap et même un défaut dans ce "grand marché" où il s'agit de "se vendre", de se mettre en avant, et où, comme il y a peu de l'impudeur à l'impudence, tout devient bon pour "se valoriser" et "dévaloriser" les autres.

La pudeur, c'est enfin à la fois faire preuve de réserve, de retenue quant à soi, et tout autant de délicatesse, de discrétion envers les autres. Cette tendance à vouloir faire parler, à soutirer des confidences, et ce goût pour s'épancher, déballer sa vie privée qui devient ainsi publique, sont les symptômes d'une curiosité maladive et d'un certain exhibitionnisme.

Mais le plaisir prime dans notre société de l'image, de consommation et des loisirs, et «Où il y a de la gêne, il n'y a pas de plaisir», alors vive le sans-gêne et les spectacles indécents qui blessent et offensent la pudeur ! Tant que le "Il n'y a pas de honte à…" dominera le "Vous n'avez pas honte de… !?",il est à craindre que ce monde soit toujours plus vulgaire, brutal, corrompu et obscène.

02/04/2012

Vox populi, vox Dei ?

«Quand les Français veulent s'informer, 71 % d'entre eux recourent à la télévision contre 26 % à la presse écrite. Mais il y a plus important : chaque soir, entre quinze et vingt millions de téléspectateurs sont devant leur poste pour regarder les journaux télévisés entre 19 h 30 et 20 h 30. Et, pour trois Français sur quatre, ce sera leur seule source d'information. (...) La démocratie est passée sous l'influence de la télévision.»

Jean-Marie Cotteret décrivait clairement la situation qui va s'aggravant depuis l'arrivée des médias de masse dans les années 60. Membre de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), professeur émérite à la Sorbonne et auteur notamment de La démocratie télé-guidée (Michalon), celui-ci s'exprimait dans Constructif datée de février 2007, la remarquable publication éditée par la Fédération française du bâtiment.

«Un demi-siècle plus tard, poursuivait-il, on retrouve des citoyens désabusés, des hommes politiques dévalorisés, un intérêt général pulvérisé, un discours uniformisé et une volonté nationale communautarisée.» Et encore plus inquiétant, une «légitimité cathodique» concurrence la «légitimité électorale», la télévision «donnant du pouvoir à ceux qui savent l'utiliser», s'arrogeant ainsi le droit d'influer, de faire plier la «volonté générale parlementaire».

Une dérive dangereuse pour Jean-Marie Cotteret. «Dans la démocratie telle que nous la connaissons depuis la Grèce, trois éléments conditionnent le rapport autorité/obéissance entre les gouvernants et les gouvernés. La durée d'abord : la politique a besoin du passé, du présent et de l'avenir. La raison ensuite : la conviction doit l'emporter sur la séduction. La recherche de la vérité enfin, seul but ultime de la démarche démocratique.»

La télévision obéit à des normes opposées. L'instant, l'émotion et le vraisemblable la régissent et empêchent toute réflexion approfondie, continue et honnête. «Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l'information s'accélère, se multiplie et se banalise. La télévision, c'est une activité sans mémoire» disait Patrick Le Lay, alors PDG de TF1*.

Sous le règne du pathos, la télévision et la vox populi (l'opinion du plus grand nombre, de la masse) indiquent les comportements conformes, à suivre sous peine de réprobation ou de mépris. Mais on ne peut se fier à "l’opinion publique" pour établir la vérité d'un fait, la valeur d'une chose. Reste donc une option : faire usage du temps et de la raison pour approcher la vérité, faire entendre une autre voix et braver l'opinion quoi qu'il en coûte.

* Les dirigeants face au changement – Les associés d’EIM – Les éditions du huitième jour