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09/09/2023

Gares de triage et voies de garage

Il y a trente ans déjà, tout était écrit. "L'égalité des chances", cette vieille rengaine reprise en chœur à chaque rentrée et bien vite remisée en attendant d'être ressortie l'année suivante, ne trompait plus que les naïfs ou les nigauds. L'Homme nouveau qui consacrait son numéro du mois d'août 2005 à l'enfance, dressait un constat d'échec : «Les inégalités scolaires se renforcent, et le marché du soutien scolaire prospère. Depuis 10 ans, l'expansion est spectaculaire».

Ainsi, cotée en Bourse, Acadomia, première entreprise de soutien scolaire en France, avait vu la valeur de son action multipliée par cinq en un peu plus de quatre ans. «Quant aux orthophonistes, 90 % de leur temps est maintenant consacré aux enfants qui ne savent ni lire ni écrire. La faillite de l'État fait le bonheur du marché.» Mais est-ce une faillite ou est-ce une volonté ? La question se doit d'être posée quand on découvre certains propos.

Ainsi ceux d'un ancien Inspecteur général de l'Éducation nationale, intervenant à l'Institut national de la recherche pédagogique et président de l'Association française pour la lecture : "Considérant que la société n'a jamais eu besoin de plus de 20 à 30 % de lecteurs efficaces, on ne transmet pas de techniques préalables, mais on aide au développement de celles que l'enfant invente pour régler dans l'écrit les problèmes qui le concernent".

Voilà qui a le mérite de la franchise : l'école répond aux besoins de la société et celle-ci n'a pas besoin de trop de lettrés. Ainsi l'écrit devenu I'«apanage d'un petit nombre de personnes, (...) va donner à ceux qui le possèdent un pouvoir excessif sur les autres. L'instrument de la liberté est redevenu le signe d'un privilège». Et une société de castes est en train de renaître sous nos yeux sans que cela ne provoque beaucoup de remous.

Ce qui nous conduit à une seconde interrogation. Pour asseoir leur pouvoir, les classes supérieures n'ont-elles pas intérêt à cet illettrisme et à la crétinisation des masses ? En tout cas, plutôt que de «tirer les plus faibles vers le haut», on les trie et on les aiguille en leur faisant croire qu'ils choisissent leur voie (ah ! le merveilleux terme d'orientation), pour qu'ensuite ils occupent les postes à pourvoir "bons pour eux" et qu'ils soient "heureux comme ça".

En 1996, l'OCDE* limitait le rôle des pouvoirs publics à "assurer l'accès à l'apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l'exclusion de la société en général s'accentuera à mesure que d'autres vont continuer de progresser". «En clair, les réformes en cours calibrent les élèves en fonction de la demande des entreprises et des emplois». On est loin de l'idée de «former des citoyens capables de se gouverner». Et aujourd'hui, même les classes supérieures sont pour partie emportées dans ce grand mouvement de nivellement ou d'égalisation par le bas.

* Organisation de coopération et de développement économique

11/01/2013

Les perversions du libre-échangisme

Qui n'a pas entendu parler du libre-échangisme mondial ?! La doctrine du libre-échange, d'inspiration britannique, est à l'origine du système économique international actuel et implique la libéralisation des échanges commerciaux entre Etats. Les barrières douanières se levant progressivement pour de plus en plus de produits et de services. Mais plus intéressant est de voir sur quoi se fonde cette politique.

Jimmy Goldsmith, homme d'affaires franco-britannique aujourd'hui disparu, précisait dans ses deux ouvrages Le Piège et La Réponse parus chez Fixot en 1993 et 1995, l'historique de cette théorie mise en pratique depuis. Tout remonte à David Ricardo, économiste du XlXe siècle, qui dans un livre daté de 1817 développe deux concepts : la spécialisation internationale et la loi des avantages comparatifs.

«Selon Ricardo, chaque nation devrait se spécialiser dans les activités pour lesquelles elle excelle et qui lui procurent un avantage relatif sur les autres pays. Ce principe, une fois établi, rend nécessaire un système de libre-échange, afin que chaque nation puisse vendre à une autre les produits de sa spécialisation et, à son tour, importer les produits qu'elle ne fabriquerait plus.»

Mais voilà, deux siècles plus tard, les pays à main-d'œuvre bon marché et le transfert aisé des technologies et des capitaux rendent nos industries de base non concurrentielles. D'où leur délocalisation ou leur disparition. Et la spécialisation mène, dans les pays à hauts salaires, à une concentration sur les activités utilisant peu de main-d'œuvre, à l'hypertrophie des entreprises et au chômage chronique.

Peut-on bâtir son bonheur sur le malheur d'autrui ? Dès le début de la révolution industrielle en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle, les «barons de l'industrie» avaient besoin d'une main-d'œuvre abondante et bon marché. Leur solution : importer de la nourriture à bas prix des colonies, pousser ainsi les fermiers anglais non compétitifs à l'exode vers les villes, où ils devenaient taillables et corvéables à merci.

Au début des années 90, «2,1 % de la population active britannique travaillent la terre, 25 % des familles, et presque un enfant sur trois, vivent dans la pauvreté» (aujourd'hui, ils sont 1,4 % à travailler la terre et l'institut d'études fiscales annonce un enfant sur deux vivant dans la pauvreté). Et Jimmy Goldsmith reconnaissait : «Nous avons oublié que l'économie est un outil pour répondre aux besoins de la société et non l'inverse». L'homme devenu outil, n'est-ce pas d'ailleurs le propre de l'échangiste, se disant libéré mais en fait asservi ?!