25/02/2014
Un peuple à mater
Nous devons garder en mémoire que tout s'est passé comme s'il ne s'était rien passé. Le Non tonitruant du 29 mai 2005 n'a donné lieu, côté scène, qu'à des pantomimes où l'on a fait mine d'avoir compris cette fois pour de bon et, côté coulisses, qu'à des tractations où l'on n'a défendu que son bifteck, le tout avec l'arrière-pensée de "repasser le plat" sous une forme ou sous une autre et d’"emporter le morceau", ce qui fut fait avec le traité de Lisbonne.
La cuisine politicienne avait repris de plus belle, "comme si de rien n'était". Le coup de semonce lors de l'élection présidentielle de 2002 n'aura donc eu aucun effet et la canonnade lors du référendum sur le traité établissant une constitution pour l'Europe, pas davantage. L'écrivain Philippe Meyer l'avait pressenti dans son ouvrage Démolition avant travaux paru chez Robert Laffont il y a une douzaine d'années. Citant Tacite : «Ils créent le désert et ils l'appellent la paix», il avait peut-être mis le doigt sur l'essentiel.
Notre démocratie est apaisée car désertée. "Faire le vide autour d'eux" permet aux pouvoirs d'avoir la paix et la liberté d'agir. Philippe Séguin disait à L’Est Républicain : «(...) notre démocratie fonctionne (...) à vide. (...) Dans la mondialisation - telle qu'on la laisse filer - et l'Europe - telle qu'on la construit - ilyadissociation entre lieux de débat et lieux de décision. Là où l'on décide vraiment, on ne débat pas. Là où l'on débat, on décide de moins en moins».
Pour Philippe Meyer, le sociologue nord-américain David Riesman avait vu juste dans son livre La Foule solitaire édité en 1951. Nos sociétés sont désormais caractérisées par «la concentration du pouvoir en un nombre restreint de mains et la réduction du peuple à une masse de consommateurs». Tout s'échange contre de l'argent, seul roi, «autant les biens que les services, les idées que les émotions, les avoirs que la culture».
«Dans cette situation, les élites» n'ont «plus avec la masse que des relations de manipulation destinées à exciter ses appétits (y compris celui du changement) et à répandre certains modes de comportement et de pensée.» Et si des «règles précises et contraignantes», des «prescriptions», des «obligations et des interdictions» sont contre-productives, «des directives insinuées, présentées comme des évidences» s'avèrent payantes.
«Diffuser des incitations et des intimidations, des slogans publicitaires ou politiques, des proclamations éthiques ou civiques...», telle est donc la principale mission des «classes dirigeantes» cherchant «la perpétuation et l'expansion de leurs avantages». Toutefois, amené à faire ce qu'il ne veut pas et à ne pas faire ce qu'il veut, le peuple peut se cabrer. En haut lieu on n'en est pas moins persuadé de pouvoir tôt ou tard mater les résistances.
12:31 Publié dans Démocratie, Europe | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : non du 29 mai 2005, traité de lisbonne, élection présidentielle de 2002, référendum, traité établissant une constitution pour l'europe, philippe meyer, démolition avant travaux, éditions robert laffont, tacite, démocratie, pouvoirs, philippe séguin, journal l'est républicain, la mondialisation, l'europe, débat, décision, david riesman, la foule solitaire, concentration du pouvoir, le peuple, masse de consommateurs, l'argent seul roi, les biens, les services, les idées, les émotions, les avoirs, la culture, les élites, relations de manipulation, exciter les appétits y compris celui du changement, modes de comportement et de pensée, directives insinuées présentées comme des évidences, incitations, intimidations, slogans publicitaires ou politiques, proclamations éthiques ou civiques, mission des classes dirigeantes, perpétuation et expansion de leurs avantages, mater les résistances | Facebook |
20/09/2013
La concentration contre la répartition
L'économiste Thomas Piketty vient de sortir aux éditions du Seuil «l'essai de la rentrée». Intitulé Le Capital au XXIème siècle, «cette somme bouleverse la réflexion sur les inégalités» écrit le magazine Télérama. Il ne faudrait toutefois pas oublier un rapport qui déjà remettait les idées en place.
Ce rapport des Nations unies sur le patrimoine avait fait l'objet d'un résumé dans une dépêche de l'AFP reprise par le journal Le Monde sur deux petites colonnes dans la page des cours de bourse. Cette étude, publiée début décembre 2006, avait été «présentée comme la plus complète jamais réalisée» et s'y replonger laisse songeur. On y apprend que «Deux pour cent de l'humanité détiennent la moitié du patrimoine des ménages, tandis que la moitié de la population mondiale en détient 1 %».
Plus intéressante encore et immédiatement analysable par chacun d'entre nous était la répartition chiffrée. «Un patrimoine personnel de 2 200 dollars ou plus [± 1 700 euros à l'époque] permet de faire partie des 50 % de personnes les plus riches au monde, 61 000 dollars [± 47 000 euros] "suffisent" pour compter parmi les 10 % de personnes les mieux dotées et 500 000 dollars [± 385 000 euros] pour accéder au club très fermé du 1 % des individus les plus fortunés.»
En fait, "Les inégalités de patrimoine sont encore plus grandes que les inégalités de revenus" observait Anthony Shorrocks, directeur de l'Institut mondial de recherche sur l'économie du développement de l'université des Nations unies (UNU-WIDER), basé à Helsinki. Phénomène que l'on retrouve en France, une étude de 2005 du Cerc-Association montrant même que depuis 1982 (!), les ménages sans patrimoine avaient vu leurs revenus d'activité (salaires + prestations sociales, hors retraites) fortement chuter.
Cette enquête des Nations unies prend en compte l'ensemble «des actifs de chaque individu adulte (propriétés immobilières, foncières, portefeuille financier...) moins les dettes, en tenant compte des taux de change et du pouvoir d'achat. Les revenus (salaires, retraites, allocations) ne sont pas exprimés». Il apparaissait ainsi que la concentration de la richesse est très forte tant entre les pays qu'à l'intérieur d'un même pays.
La concentration de la richesse dans les pays les plus développés n'étonnera personne : «25 % des 10 % des personnes les plus riches vivent aux Etats-Unis, 20 % au Japon, 8 % en Allemagne, 7 % en Italie, 6 % en Grande-Bretagne, 4 % en France et en Espagne». Mais au sein des pays : "La part de richesse détenue par les 10 % les plus riches s'échelonne d'environ 40 % en Chine à 70 % aux Etats-Unis, voire plus dans d'autres pays".
Il est surprenant de constater qu'alors que le modèle est soi-disant la démocratie libérale, on assiste non seulement à une concentration de la richesse mais aussi à une concentration des entreprises (oligopoles) et à une concentration du pouvoir entre quelques mains (oligarchie). Le "capitalisme financier" semble en fait incompatible avec une juste répartition de la richesse. Que penserait alors l’oligarchie financière d’une meilleure redistribution ?!
11:08 Publié dans Inégalités | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : thomas piketty, éditions du seuil, le capital au vingt et unième siècle, inégalités, magazine télérama, rapport des nations unies sur le patrimoine, dépêche de l'afp, journal le monde, humanité, patrimoine des ménages, population mondiale, répartition chiffrée, patrimoine personnel, personnes les plus riches au monde, personnes les mieux dotées, individus les plus fortunés, inégalités de patrimoine, inégalités de revenus, anthony shorrocks, unu-wider, france, étude du cerc-association, ménages sans patrimoine, revenus d'activité, propriétés immobilières, propriétés foncières, portefeuille financier, salaires, retraites, allocations, concentration de la richesse, part de richesse détenue par les plus riches, modèle, démocratie libérale, concentration des entreprises, oligopoles, concentration du pouvoir, oligarchie, capitalisme financier, juste répartition de la richesse, oligarchie financière, redistribution | Facebook |