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07/09/2018

Retrouver nos idéaux pour faire les bons choix

«Le problème qui se pose est celui de la dépossession : le cours du monde tend à nous échapper.» Luc Ferry résumait bien la situation dans une interview accordée en juin 2006 à L'Est Républicain. «La mondialisation trahit (...), précisait-il, la promesse de la démocratie, celle selon laquelle nous allions pouvoir collectivement faire notre histoire, avoir un mot à dire sur notre destin.» Reste une démocratie "dénaturée" en quelque sorte.

Philippe Séguin ne pensait pas autrement, lui qui en 2002 disait : «notre situation est caricaturale : on bavasse pour des peccadilles alors que les vraies décisions nous sont imposées d'ailleurs». De là l'impression chez les Français que «leur vote ne sert plus à rien». «J'ai toujours dit, ajoutait-il, que cette élection présidentielle ne prendrait du sens que dès lors qu'on ouvrirait aux Français la perspective de la reprise en main de leur destin.»

Cependant affirmait-il, «Le dire vous vaut disqualification immédiate pour anti-mondialisme et anti-européisme primaires. Pourtant, comment ne pas souhaiter la résorption du déficit démocratique européen et une mondialisation sans globalisation ?». On se le demande en effet et le problème se pose dans les mêmes termes seize ans plus tard. Toutefois les hommes politiques ont-ils le pouvoir d'une «reprise en main du cours de l'Histoire»?

Luc Ferry en doutait. Mais alors, si les politiques ont été dessaisis des affaires du monde et sont réduits à expédier les affaires courantes, à gérer les conséquences, que reste-t-il de la liberté ? Roger Caillois écrivait que «La liberté n'existe que là où l'intelligence et le courage parviennent à mordre sur la fatalité». Aujourd'hui, l'intelligence et le courage se retrouvent au service de la fatalité : les choix, les mesures, les solutions... s'imposent.

"Savoir, c'est pouvoir", "Vouloir, c'est pouvoir" disent deux locutions proverbiales. Mais le savoir et la volonté des hommes leur permettent-ils encore d'avoir une action sur la marche du monde ? En outre, il faudrait pouvoir choisir et savoir choisir. Mais si peu ont leur mot à dire et du reste, beaucoup ne sauraient que dire. Alors, «Quand les hommes ne choisissent pas, remarquait Raymond Aron, les événements choisissent pour eux».

L'on choisit pour nous et nous subissons les événements. Ayant perdu en route nos idéaux de départ, dont l'idéal démocratique et l'idéal humaniste, nous voilà désorientés, ne sachant où aller et tentés de nous laisser porter. Albert Schweitzer écrivait : «L'idéal est pour nous ce qu'est une étoile pour un marin. Il ne peut être atteint, mais il demeure un guide», qui nous aide à choisir une direction, à savoir ce que nous voulons.

25/02/2014

Un peuple à mater

Nous devons garder en mémoire que tout s'est passé comme s'il ne s'était rien passé. Le Non tonitruant du 29 mai 2005 n'a donné lieu, côté scène, qu'à des pantomimes où l'on a fait mine d'avoir compris cette fois pour de bon et, côté coulisses, qu'à des tractations où l'on n'a défendu que son bifteck, le tout avec l'arrière-pensée de "repasser le plat" sous une forme ou sous une autre et d’"emporter le morceau", ce qui fut fait avec le traité de Lisbonne.

La cuisine politicienne avait repris de plus belle, "comme si de rien n'était". Le coup de semonce lors de l'élection présidentielle de 2002 n'aura donc eu aucun effet et la canonnade lors du référendum sur le traité établissant une constitution pour l'Europe, pas davantage. L'écrivain Philippe Meyer l'avait pressenti dans son ouvrage Démolition avant travaux paru chez Robert Laffont il y a une douzaine d'années. Citant Tacite : «Ils créent le désert et ils l'appellent la paix», il avait peut-être mis le doigt sur l'essentiel.

Notre démocratie est apaisée car désertée. "Faire le vide autour d'eux" permet aux pouvoirs d'avoir la paix et la liberté d'agir. Philippe Séguin disait à L’Est Républicain : «(...) notre démocratie fonctionne (...) à vide. (...) Dans la mondialisation - telle qu'on la laisse filer - et l'Europe - telle qu'on la construit - ilyadissociation entre lieux de débat et lieux de décision. Là où l'on décide vraiment, on ne débat pas. Là où l'on débat, on décide de moins en moins».

Pour Philippe Meyer, le sociologue nord-américain David Riesman avait vu juste dans son livre La Foule solitaire édité en 1951. Nos sociétés sont désormais caractérisées par «la concentration du pouvoir en un nombre restreint de mains et la réduction du peuple à une masse de consommateurs». Tout s'échange contre de l'argent, seul roi, «autant les biens que les services, les idées que les émotions, les avoirs que la culture».

«Dans cette situation, les élites» n'ont «plus avec la masse que des relations de manipulation destinées à exciter ses appétits (y compris celui du changement) et à répandre certains modes de comportement et de pensée.» Et si des «règles précises et contraignantes», des «prescriptions», des «obligations et des interdictions» sont contre-productives, «des directives insinuées, présentées comme des évidences» s'avèrent payantes.

«Diffuser des incitations et des intimidations, des slogans publicitaires ou politiques, des proclamations éthiques ou civiques...», telle est donc la principale mission des «classes dirigeantes» cherchant «la perpétuation et l'expansion de leurs avantages». Toutefois, amené à faire ce qu'il ne veut pas et à ne pas faire ce qu'il veut, le peuple peut se cabrer. En haut lieu on n'en est pas moins persuadé de pouvoir tôt ou tard mater les résistances.