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17/01/2014

Une vie "pas pleinement humaine"

«(...) Ce que craint Hannah Arendt, c'est que les loisirs en viennent à régner sans partage sur la sphère du loisir» écrit Alain Finkielkraut dans son ouvrage Nous autres, modernes paru chez Ellipses en 2005. C'est-à-dire que les "Occupations, distractions, pendant le temps de liberté" envahissent tel un cancer tout ce "Temps dont on peut librement disposer en dehors de ses occupations habituelles et des contraintes qu'elles imposent".

Ce "Temps de la vie qui n'est affecté ni au travail, ni au repos, ni au sommeil", ce "temps à soi" devenant entièrement dévolu à assouvir ses convoitises, ses fantasmes. «Tocqueville, selon Finkielkraut, voyait avec angoisse la passion du bien-être s'emparer de l'homme moderne jusqu'à lui faire oublier l'existence des autres aspirations humaines. Le processus démocratique est en marche, disait-il, mais vers quoi ?».

"Je vois clairement dans l'égalité deux tendances, l'une qui porte l'esprit de chaque homme vers des pensées nouvelles et l'autre qui le réduirait volontiers à ne plus penser" [disait Tocqueville]. Et Finkielkraut ajoute : «II n'y a plus de place pour la pensée, en effet, dans des esprits universellement occupés par "le soin de satisfaire les moindres besoins du corps et de pourvoir aux petites commodités de la vie" [Tocqueville]».

«Bref, poursuit Finkielkraut, le mouvement démocratique qui emporte les hommes n'est pas nécessairement un mouvement vers le mieux. Il pourrait même, au contraire, [d'après Tocqueville] "s'établir dans le monde une sorte de matérialisme honnête qui ne corromprait pas les âmes mais qui les amollirait et finirait par détendre sans bruit tous leurs ressorts" Ecrit en 1840, De la démocratie en Amérique se révèle prophétique.

Aujourd'hui, cette “capacité à renoncer à tout sens supérieur face aux appâts superficiels de la société moderne” fait le quotidien, “la grisaille et le vide de la vie”, observait Vaclav Havel dans Pouvoir des sans-pouvoir, "un texte fondateur écrit en 1978" par cet opposant au régime communiste tchécoslovaque d'alors, et devenu depuis président de la République tchécoslovaque puis président de la République tchèque avant de décéder fin 2011.

Oui, «Ce qui fait le vide et la grisaille de la vie, conclut Finkielkraut, (...) c'est la vie, la vie tout court, la vie comme seul horizon de la vie, la vie cyclique, la vie affairée des hommes "qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme" comme dit Tocqueville à la fin de son grand ouvrage.» Et «Cette vie peut bien être luxueuse, elle n'est pas pleinement humaine».

 

09/07/2012

Au détour du Tour

Comme il y a huit ans, le Tour de France fait un détour par Besançon pour un contre-la-montre individuel qui s'imposait dans "la capitale du temps". A l'image d'une société où chaque individu ou entreprise est tout entier engagé dans une course contre la montre, cette épreuve voit chaque coureur s'élancer seul pour tenter d'aller le plus vite possible et plus vite que les autres concurrents. Car dans cette compétition aussi, «Le temps c'est de l'argent». Il ne faut donc pas en perdre sur les 41,5 km de cette neuvième étape.

En 2004, Lance Armstrong, surnommé "le Boss" et recordman du Tour avec sept victoires consécutives, avait été le plus rapide sur les soixante kilomètres du parcours de l'avant-dernière étape, la dix-neuvième. Le lendemain, c'était l'arrivée triomphale à Paris la capitale, et le défilé des valeureux cyclistes à l'ombre de l'Arc de triomphe, comme à Rome les guerriers vainqueurs couverts de lauriers. Le sport, pour paraphraser Françoise Giroud qui parlait du football, «c'est la guerre sans morts» ; en règle générale du moins.

Car il n'est plus rare de constater des maladies, des blessures et même des morts prématurées chez des sportifs ou anciens sportifs théoriquement pleins de santé ; comme il n'est plus rare de voir des spectateurs blessés parfois à mort sur les théâtres des exploits de leurs héros. Des exploits sans cesse améliorés, des limites du possible sans cesse reculées, pour assurer le spectacle ; fût-ce au mépris de la règle et de la vie.

Mais quoi qu'il en soit, le public se presse pour attendre des heures durant ce Barnum, ce grand cirque itinérant, et regarder passer en trombe la caravane publicitaire suivie de ces champions-sandwichs monnayant leurs prestations. Les "objets promo" jetés non sans mépris, sont l'objet de toutes les convoitises. Comme il est facile de flatter nos vices ! Et comme il semble difficile, au vu de cette ruée, de tomber plus bas !

Alors, pour changer d'air, la télévision apparaît pour une fois, comme une porte de sortie pour prendre l'air, une lucarne ouverte pour s'élever dans les airs. Vue du ciel, que la France est jolie, que la campagne est belle ! Les images d'hélicoptère amenuisent nos petitesses et nous rendent paradoxalement notre grandeur. Celle des défricheurs, des aménageurs, des bâtisseurs qui ont accompli des prouesses au cours des siècles.

En prenant ainsi de la hauteur, ces paysages pétris pour beaucoup par les mains des paysans d'hier et d'aujourd'hui, prennent toute leur dimension, tout leur relief. Ce patrimoine naturel et culturel s'étale devant nos yeux éblouis. Ajouté à un patrimoine architectural souvent remarquable, et nous voilà devant ce qu'il faut bien appeler un pays de cocagne débordant de merveilles. La France "vaut le détour", on n'a pas fini d'en faire le tour.