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28/05/2019

Il y a progrès et progrès

A quelques jours du lundi de Pentecôte, alors que la question de la suppression de ce jour férié en faveur des personnes âgées n'est en fait toujours pas tranchée, il est peut-être bon de se pencher sur le passé, et de s'interroger sur la notion de progrès. Car la situation des plus dépendants et des plus démunis dans nos sociétés modernes et le discours tenu sur la réduction du temps de travail amènent naturellement à douter de notre humanité et de notre humanisme.

A part les jobards toujours prompts à s'enthousiasmer pour tout "beau geste" ou "bon mouvement", tout le monde a compris que la soudaine attention aux grands vieillards après l'hécatombe estivale de 2003, avait servi de prétexte au gouvernement d'alors pour améliorer les rentrées d'argent et la productivité du travail en France ; il est vrai bien malmenée par les 35 heures, à l'origine en partie de la désorganisation des services de santé.

Mais Huysmans ne disait-il pas que «Toutes les sociétés sont formées de jobards». Ce qui n'empêchait pas de goûter notre plaisir d'entendre nos décideurs nous inviter à plus de générosité et de désintéressement (en ces domaines en effet, ne donnent-ils pas l'exemple chaque jour !?). Au delà, qu'en est-il de la véritable bienveillance ou compassion, de la prise en considération de la personne humaine et de son épanouissement ?

L'éminente égyptologue Christiane Desroches Noblecourt affirmait ce même été 2003 dans un entretien au Figaro Magazine, que la civilisation égyptienne est la première expression de l'humanisme. «Jamais on n'y pratique de sacrifices humains (...). La tolérance envers les autres peuples est encouragée, tout comme l'amour de la famille et le respect de l'infirme (...).» Ce qui lui faisait dire que «Moralement, l'humanité n'a pas évolué depuis (...)».

Elle aurait même peut-être régressé, constate notre égyptologue, avant d'ajouter : «La grammaire des Egyptiens, c'est d'abord : "J'ai aidé la veuve, vêtu l'orphelin, nourri celui qui avait faim, donné à boire à celui qui avait soif, fait passer le fleuve à celui qui n'avait pas de barque..."». C'est donc une civilisation qui avait une sagesse et une morale. Une morale qui du reste, est pour elle à «la source du christianisme». Mais c'est une autre histoire.

Le progrès continu est un mythe, comme la croissance, ou la diminution continuelle des heures de travail. Pour cette dernière, Hannah Arendt dans Condition de l'homme moderne, parlait d'«un retour tardif à la normale». Historiens à l'appui : «au moyen âge les gens ne travaillaient guère plus de la moitié de l'année. Il y avait cent quarante et une fêtes chômées». "Mouvement en avant" n'est pas "Développement en bien". "Avancer" n'est pas "Améliorer". Il y a progrès et progrès.

18/03/2019

L'euro à défaut d'Europe

Il faut se rappeler le début du mois de janvier 2002, se replacer même dans l'époque pas si lointaine où l'on pouvait rire encore de nous-mêmes, de nos sottises, de notre naïveté...

"L'euro est arrivé, sans se presser, le bel euro, le grand euro, avec son qui veut dire Euro. Euro, euro, renard rusé qui fait sa loi ; euro, euro, vainqueur, tu l'es à chaque fois". Voilà ce que l'on pouvait s'amuser à fredonner : un petit pot-pourri de chansons sur l'air de Zorro, en l'honneur d'une monnaie unique qui à force d'être annoncée, avait fini par lasser. Car aussi incroyable que cela puisse paraître, en matière d'événement, l'euro, ce fut zéro !

Fallait-il que nous soyons revenus de tout pour que la disparition du franc n'éveille en nous aucune tristesse, et que l'apparition de l'euro ne donne lieu à aucune liesse ! Pas de manifestation de grande envergure, de cérémonie en grande pompe, chacun y allait de ses lieux communs et plaisanteries en tout genre. Face à ce tournant de l'histoire, nous étions aussi blindés que la porte de la Banque centrale.

A moins que plus prosaïquement, l'événement ne méritait pas que l'on s'y attarde. Et mis à part quelques illuminés embrassant les nouveaux précieux billets, chacun remettait à sa place ce qui n'était en fait qu'une vulgaire histoire d'argent. Le temps d'un voyage qui pensait-on se prolongerait, nous étions confrontés à une monnaie inconnue qui ne nous demanderait que quelques semaines pour être apprivoisée.

Mais exceptée la monnaie, rien n'avait changé. Les prix semblaient être restés à peu de choses près les mêmes et nos revenus n'avaient pas augmenté. La vie reprenait son cours, bien loin des fluctuations des cours de l'euro. De tous côtés, ne l'oublions pas, on nous promettait la stabilité, la croissance, le plein emploi, la convergence des économies européennes (!) ; on nous promettait la facilité dans nos déplacements, dans nos paiements ; on nous promettait une mobilité plus grande.

Combien étions-nous et sommes-nous à voyager régulièrement dans les douze pays de "l’Euroland" d'alors, les dix-neuf d'aujourd'hui, à y travailler tous les jours, à y acheter fréquemment des biens ou des services ? Combien étions-nous et sommes-nous à vouloir ou à pouvoir y voyager, travailler ou acheter ? Si l'euro ne pouvait que favoriser les échanges, l'Europe pouvait-elle se réduire à un vaste espace marchand et l'Européen à un simple consommateur ?

Tout se vend et tout s'achète dans le grand commerce européen. Et l'euro n'était qu'un problème technique à surmonter. Bientôt nous n'en avons même plus parlé, occupés que nous étions à en gagner et à en dépenser. Sans autre horizon. A l'image de cette Europe gérée à la petite semaine et vide de sens, qui confondait (et confond encore) la fin et les moyens. L'euro en était un, mais la seule question qui valait était : "quelle finalité pour l'Europe ?". Jusqu'à cette crise profonde de l'Union européenne.

02/12/2014

Retour à l'envoyeur

L'homme industrieux, l'homme ingénieux, habile et inventif, est à l'origine de la formidable évolution de l'humanité. Mais cet homme est aujourd'hui confronté dans beaucoup de domaines à un phénomène de retour de manivelle, de bâton ou de flamme. Bien de ses inventions lui deviennent contraires, et la nature elle-même. Et ce choc en retour ou contre-choc est tel que nombreux sont les humains comme frappés de stupeur.

Etre 100 % naturel, l'homme a cru pouvoir s'affranchir des lois de la nature. Mais se couper de la nature, c'est s'amputer. S'en prendre à la nature, c'est s'en prendre à soi-même. Vouloir sortir de la nature, c'est comme vouloir sortir de soi. La science et la technique ont ainsi voulu domestiquer la nature, la rendre moins inhospitalière, la maîtriser pour l'utiliser, et elles y ont réussi pour partie, mais la nature est rebelle et développe des résistances.

Les revirements soudains, les réactions imprévues en sens opposé, les contrecoups de l'action agressive de l'homme sur la nature, les conséquences néfastes ou dangereuses que nous sommes en train de vivre, sont autant de signaux d'alerte. La nature reprend sa place, et la question de la place de l'homme dans la nature se pose. «La nature agit toujours avec lenteur» pensait Montesquieu, en temps normal sans doute, et encore.

Georges Duhamel lui, disait que «La nature ne procède que par bonds et désordres soudains». Quoi qu'il en soit, «La nature bienfaisante, qui toujours travaille à rétablir ce que l'homme ne cesse de détruire» selon Buffon, pourrait bien emporter l'homme dans son mouvement de restauration des grands équilibres. La nature n'est ni bonne ni méchante, elle obéit à des lois et l'homme va peut-être payer cher son sentiment de supériorité.

II le paye déjà cher par de multiples affections dues aux altérations qu'il fait subir à son milieu. Mais aux victimes, on ose leur dire que "c'est la faute à pas de chance" ou alors à leur "Terrain favorable" qui serait comme une provocation pour les "Facteurs déclenchant". La génétique, espère-t-on, remédiera un jour au "Terrain". Quant aux "Facteurs", s'y attaquer vraiment serait remettre en question une partie de notre mode de vie.

Et «notre mode de vie n'est pas négociable», comme disait Georges Bush père. Alors on procède par étapes pour ne pas toucher à la sacro-sainte croissance et au progrès à grands pas. Seulement la politique des petits pas suffira-t-elle à retourner la situation, à renverser la tendance, à trouver les parades ? L'acte d'hostilité de l'homme vis-à-vis de la nature dite hostile se retourne contre son auteur, c'est l'effet boomerang. Boum !