Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/06/2019

L'Art est une ascension

Les premières notes s'élèvent, presque irréelles. Le chœur et l'orchestre de lycéens d'une ville de province ainsi qu'un chœur plus chevronné donnent en concert le Requiem de Verdi. Le chef d'orchestre dirige de main de maître cette œuvre qui aurait mérité une cathédrale plutôt qu'un théâtre étouffant. Foudroyant parfois du regard un public dissipé ici ou là, il tente de tirer le meilleur de ses interprètes.

La salle réunit toutes les générations qui communient autour de ces quelque 200 choristes, sans compter les musiciens dont le vibrato s'explique aussi par la fébrilité et le manque de métier. Les solistes semblent eux-mêmes au commencement incertains, puis progressivement se révèlent, en particulier la mezzo-soprano et la soprano dont la partition, il est vrai, leur permet de briller.

Cette messe des morts qui a l'ampleur de l'opéra et l'intensité du chant sacré est incompréhensible pour le commun des mortels. Ecrite en latin, se référant à la tradition religieuse catholique, elle a théoriquement toutes les chances de n'être pas "reçue" dans nos sociétés "post-chrétiennes". Et pourtant l'assemblée était saisie par tant de majesté, émue parfois presque aux larmes.

Pourquoi une fois achevé le Libera me (Délivrez-moi), nous nous sentions en effet comme délivrés d'un lourd fardeau, à la fois libérés et grandis ? Comme si cette œuvre avait répondu à une envie profonde de nous décharger de nos pesanteurs terrestres et de nos insuffisances pour atteindre l'inaccessible qui nous échappe, qui nous dépasse, mais auquel nous aspirons : l'idéal.

Car si ce n'est l'idéal, qu'avions-nous donc contemplé et écouté durant une heure trente, qui nous avait ainsi éblouis, transportés, comblés et mis dans cet état de félicité ? Les voix et les airs mélodieux n'expliquent pas tout. La signification cachée de cette pièce tout entière dédiée à l'espérance, y était aussi pour quelque chose. Et sans comprendre ou y souscrire, sa hauteur ne nous échappait pas.

Et là un peu perdus après tant de dons et d'abandon, nous redescendions sur terre après nous être hissés vers l'infini. Nous avions entraperçu un monde où règnent la beauté, le sens, l'harmonie et l'élévation, ce qui pourrait bien être aussi une définition de l'Art, cet Art qui révèle notre humanité et nous rend meilleurs, plus sensibles. Un ascenseur moral en quelque sorte.

06/05/2014

Un art voué à la destruction ?

En introduction d'un triptyque sur l'art, avant d'aborder sa marchandisation et la disparition de la rébellion, une interrogation : d'où vient cette impression que l'art n'est plus ce qu'il était ? Précisons d'abord ce qu'on appelle "arts" : la peinture, la sculpture, l'architecture, la musique, la poésie, la danse, auxquels sont venus s'amalgamer le septième art : le cinéma, le huitième : la télévision, le neuvième : la bande dessinée, etc.

Puis surtout est venu l'art pour l'art, portant en lui sa propre justification et perdant son rôle symbolique, où la créativité "prend le pas" sur la représentation d'un monde sensible, réel ou imaginaire, sur le sens, la signification. On peut noter que le terme de beaux-arts désignait les arts qui ont pour objet la représentation du beau (architecture, gravure, peinture, sculpture), dorénavant plus connus sous le vocable d'arts plastiques.

Mais qu'est-ce que le beau ? C'est là peut-être que trouve son origine le malaise de nos contemporains devant l'art de leur époque, souvent abstrait et donc abscons. Bien sûr, des artistes modernes ont beau jeu d'avancer que l'art est en avance sur son temps. On pourrait aussi arguer qu'avec le temps, par accoutumance, le public tolère de mieux en mieux les nouvelles formes d'art, s'habitue à tout et ne s'étonne plus de rien.

Et puis ce serait faire peu de cas de tous ces artistes immortels qui déjà à leur époque connaissaient la renommée. Au fond, l'art censé toucher l'être humain au plus profond de lui-même répond-il toujours aujourd'hui à sa vocation ? Retour aux définitions. Dans l'absolu, l'art est selon un Petit Robert des années 90 l’"Expression par les œuvres de l'homme, d'un idéal esthétique", ou encore "Chacun des modes d'expression de la beauté".

Cette définition devient dans un Petit Larousse des années 2000 : "Création d’objets ou de mises en scène spécifiques destinés à produire chez l'homme un état de sensibilité et d'éveil plus ou moins lié au plaisir esthétique", ou "Ensemble de disciplines artistiques, notamment celles qui sont consacrées à la beauté ou à l'expressivité des lignes, des formes, des couleurs". Toute l'évolution de l'art est dans le décalage (souligné) entre ces définitions.

Dans un monde d'objets, de Simulacres et simulation, de sensations, de "menus plaisirs", de libre expression revendiquée..., l'art est à l'avenant. Mais à quoi peut être vouée cette part de l'art d'aujourd'hui qui fait primer l'idée artistique sur l'œuvre, cherche à "être de son temps", à "faire événement" ? Se pourrait-il que ces formes d'art - entre égocentrisme, nihilisme et spéculations - n'aient d'autre destin que de s'autodétruire ?