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22/02/2022

L'Europe en conflit avec ses racines

Du temps de la controverse sur la question de l'inscription d'une référence au christianisme dans le préambule de ce qu'on appelait alors "la Constitution européenne", l'écrivain Jean-Marie Rouart, de l'Académie française, avait apporté un éclairage. Au lendemain d'une guerre fratricide en Europe, un colloque se tient à Genève en septembre 1946. II «réunit les plus grands esprits européens» écrivait Jean-Marie Rouart dans son livre Adieu à la France qui s'en va chez Grasset.

Il y a là des marxistes, des chrétiens..., unis par la «conviction d'appartenir à une même entité». «Tous vont se livrer, pendant une semaine, à une analyse de ce qui les rassemble. Pour eux, l'esprit européen existe. Ils sont unanimes à constater la menace qui pèse sur lui. En fait, pour eux, c'est l'humanisme qui est en péril, cet humanisme né de la double influence du monde gréco-romain et de l'héritage judéo-chrétien.»

Et au milieu de cette docte assemblée : Georges Bernanos, ce "catholique déchiré entre le mysticisme et la révolte" selon le dictionnaire, qui "combat dans ses écrits la médiocrité et l'indifférence". «Celui-ci reprend les termes de sa croisade. Il réitère ses attaques contre l'argent, le profit, les trusts, l'industrialisation à outrance, les robots qui risquent de faire de l'Europe un espace sans personnalité et sans âme.»

"La civilisation européenne, dit-il, n'est pas une civilisation de masses. La civilisation existe précisément pour qu'il n'y ait pas de masses, mais des hommes assez conscients pour ne jamais constituer des masses, même s'ils sont, entre eux, rassemblés... La civilisation européenne s'écroule et on ne la remplace par rien, voilà la vérité (...)." Et Bernanos de fustiger les liquidateurs de cette Europe ancestrale qui rayonnait.

Et il va plus loin : "L'Europe chrétienne s'est déchristianisée. Elle s'est déchristianisée comme un homme se dévitaminise". De son côté, le philosophe «Karl Jaspers insiste sur le rôle culturel de la Bible, "ce fondement de la vie européenne (...)"». Certes, "Nous ne nous fions plus sans réserve aux églises chrétiennes. Mais nous tenons à elles, car elles constituent les plus précieuses réserves d'une irremplaçable tradition...".

«Pour Jaspers, l'Europe est "un principe spirituel né sur ce sol (...)"». De ce point de vue, Jean-Marie Rouart constatait le recul d'une Europe qui «ne sait plus très bien ni d'où elle vient, ni qui elle est, ni où elle va. Imaginée par les poètes, construite sur des intérêts économiques, organisée par des fonctionnaires, elle a privilégié les réalités en faisant l'économie d'une réflexion sur l'assise morale qui pourrait la fonder». C'était il y a près de vingt ans. Difficile de lui donner tort aujourd'hui.

08/04/2014

Mort d'un soldat de l'humanité (9ème anniversaire)

Il y a neuf ans "le vieux lion" mourait un samedi soir à la suite d'un long calvaire, quelques jours après la fête de Pâques qui, chez les chrétiens, célèbre la mort et la résurrection il y a 2000 ans d'un homme nommé Jésus. Jean-Paul II avait rejoint l'éternité. Vie ou mort éternelle ? En tout cas sa pensée n'est pas morte avec lui. Elle continue de vivre au travers de ses écrits notamment, et participe à ce que Chateaubriand a appelé Le Génie du christianisme.

Il ne s'agit pas ici comme à chaque fois qu'on se remémore ou que l'on commémore le décès d'une personnalité importante, d'entonner une louange disproportionnée, mais de rappeler combien il a pu déranger de son vivant, jusqu'à des "catholiques" (à l'instar du pape François actuellement), et combien il s'était fait des adversaires résolus - voire des ennemis - déclarés ou non, et pas seulement dans les dictatures mais aussi dans des régimes qui s'attribuent un peu exagérément le nom de démocratie.

Le successeur de saint Pierre avait une telle stature qu'à côté "les grands de ce monde" paraissaient presque petits, et le monde est aujourd'hui encore orphelin d'un père protecteur qui châtiait bien parce qu'il aimait bien. Il aimait l'homme et aurait pu reprendre la phrase de Térence : «Je suis homme, et rien de ce qui touche un homme ne m'est étranger». C'est pourquoi il combattait tout ce qui attentait à la nature et à la dignité humaines.

Il s'était mis à dos les adeptes du laisser-faire en matière morale et en matière économique - unis dans une étrange complicité -, tous ceux qui ne trouvent bien que ce qui les arrange et sont peu inquiets du sort des victimes innocentes. Il opposait à la loi des fauves qui s'en prennent d'abord aux proies faciles, une défense sans merci des faibles et des opprimés, relevant les "vaincus" et rappelant aux "vainqueurs" leurs devoirs.

Ce bon berger a tenté de guider son peuple sur «La voie étroite de l'Évangile» (Bourdaloue). Mais sa «nouvelle évangélisation» a échoué en Europe. Pourtant, même incompris ou rejeté, et tout en ne sacrifiant jamais le fond à la forme, il a soulevé l'admiration. Peut-être parce qu'il savait dire non, car celui qui citait saint Paul : «Ne vous modelez pas sur le monde présent» et s'exclamait : «N'ayez pas peur !», était avant tout un grand résistant.

Il a, suivant en cela la recommandation du même Paul à Timothée, proclamé la parole, insisté à temps et à contretemps, réfuté, menacé, exhorté, avec une patience inlassable et le souci d'instruire... Et l'on pourrait conclure avec les mots du pape Paul VI qui se rapportaient au Christ : «(...) Venu non pour juger, mais pour sauver (cf. Jn 3, 17), il fut certes intransigeant avec le mal, mais miséricordieux envers les personnes».