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10/10/2014

Aspiré par le vide

«D'un côté des personnes frustrées, faute de moyens financiers, des produits de consommation qui s'offrent à la convoitise comme autant de vecteurs du bonheur, de l'autre des personnes non moins frustrées de constater que ces produits n'ont pas les vertus espérées.» Olivier Rey, philosophe, chercheur au CNRS et professeur à la Sorbonne, décrit avec acuité nos sociétés occidentales dans son livre Une folle solitude.

Et convoque Robert Musil dans L'Homme sans qualités : «C'est comme un entassement d'objets que n'organise aucune aspiration supérieure : une abondance sans plénitude, le contraire de la simplicité, une confusion que l'on accepte avec la joie de la routine ! (...) C'est comme une bande d'enfants inconnus que l'on observe avec une gentillesse apprise et une angoisse grandissante parce qu'on n'arrive pas à y découvrir le sien !».

L'on ne se retrouve plus dans le monde tel qu'il évolue et l'on n'y retrouve pas non plus nos petits. L'on ne s'y reconnaît plus. Cela revient à se sentir comme un intrus dans un monde méconnaissable ou, écrit Olivier Rey, à «se découvrir en exil dans le monde (…), et n'ayant à faire valoir contre cet état de fait que sa souffrance. Voilà pourquoi la dépression est devenue dans les sociétés occidentales un lieu de passage si fréquenté».

"Lassitude", "découragement", "faiblesse", "anxiété", la dépression nerveuse c'est tout cela à la fois pour Le Petit Robert. "Un abattement" où se mêlent "une tristesse avec douleur morale, une perte de l'estime de soi, un ralentissement psychomoteur" ajoute Le Petit Larousse. Comment l'homme pourrait-il s'aimer dans un monde qui "ne l'aime plus" tel qu'il est, un monde qui n'est plus fait pour lui !? Et comment aimer les autres ?

Le commandement de la Bible «Tu aimeras ton prochain comme toi-même» n'est pas près d'être suivi. Le refus de "s'accepter tel qu'on est", de la nature humaine, s'accompagne du refus d’"accepter les autres tels qu'ils sont". L'homme serait-il comme ces "conquérants qui tentent de justifier leurs ravages par l'apport de la civilisation" ? Tacite l'exprimait ainsi : «Où ils font un désert, ils disent qu'ils ont donné la paix».

L'homme ne peut trouver la paix «dans ce vaste désert du monde» comme l’écrivait Rousseau, qui disait y entrer «avec une secrète horreur». La conquête au pas de course de "nouvelles frontières" au nom du progrès fait des ravages chez l'homme, dans sa nature profonde et ses relations aux autres. Il tente bien de peupler sa solitude avec des choses, mais elles ne le comblent pas. Et il se voit «avec une secrète horreur» aspiré par ce vide.

26/09/2014

Une vie contre nature

«Dubos craint que l'humanité ne soit capable de s'adapter aux tensions engendrées par la seconde révolution industrielle et la surpopulation, de la même manière qu'elle a survécu dans le passé à la famine, à la peste et à la guerre. Il parle avec crainte de cette possibilité de survie parce que l'adaptabilité, qui est un atout pour la survie, est aussi un lourd handicap. Les causes les plus courantes de maladie sont des exigences d'adaptation.»

Dans Némésis médicale - L'expropriation de la santé paru au Seuil en 1975, Ivan Illich écrivait ces lignes en faisant référence au biologiste René Dubos. Olivier Rey qui le cite dans son livre Une folle solitude - Le fantasme de l'homme auto-construit édité au Seuil également, s'interroge sur le «développement tous azimuts de la technique» et I'«artificialisation sans cesse plus poussée de la vie humaine» que la croissance réclame.

Ce mathématicien, professeur à l'École polytechnique à l'origine et maintenant philosophe, chercheur au CNRS et enseignant à l'université Panthéon-Sorbonne, redoute «que le mouvement finisse par provoquer, entre les individus et le monde que collectivement ils façonnent, une inadaptation génératrice d'un malaise croissant, de malheur, de convulsions diverses (...)». Il pense que nos capacités d'adaptation ne sont pas sans limites et avance des éléments appuyant sa thèse.

Ainsi dit-il, «Des médecins-anthropologues situent l'origine d'un certain nombre de pathologies physiques et psychiques modernes dans un décalage excessif entre les conditions d'existence contemporaines et celles qui permettraient un épanouissement des facultés réelles de l'individu». Et il note en passant que «s’il est de plus en plus nécessaire de "se former" au monde, (...) c'est le signe que ce monde est de plus en plus étranger».

Pourra-t-on longtemps encore passer froidement les victimes par pertes et profits et «laisser croire que la science pourra indéfiniment réparer nos erreurs» ? Non répond Claude Aubert, qui relève dans son livre Espérance de vie, la fin des illusions, «l'augmentation continuelle de l'incidence de nombreuses maladies chroniques, telles que le cancer, le diabète, l'asthme, les allergies ou la broncho-pneumopathie chronique obstructive».

Le constat de cet ingénieur agronome : «les seniors sont bien souvent en meilleure santé que la génération suivante». La cause selon lui : «un mode de vie devenu aberrant, entre malbouffe, sédentarité et pollution (...)». Et la «perspective effrayante» de certains scientifiques : «si nous continuons ainsi, notre génération sera la première de l'histoire de l'humanité dans laquelle les parents verront leurs enfants mourir avant eux».

05/03/2013

Espérance de vie : du passé au présent

Le numéro de mars 2003 de Population et sociétés, le bulletin mensuel d'information de l'Institut national d'études démographiques (Ined), débutait par ces mots de Gilles Pison : «De nos jours, l'espérance de vie à la naissance atteint 79 ans en France, d'après les données de l'état civil» (plus précisément : «75,6 ans pour les hommes et 82,9 ans pour les femmes»). Un chiffre extraordinaire quand on le compare à celui d'il y a un siècle : 45 ans ! Et qui dix ans plus tard continue de progresser : 81,4 ans en 2012 (78,4 ans pour les hommes et 84,8 ans pour les femmes).

«Depuis une trentaine d'années, ajoutait un autre numéro de Population et sociétés de juin 2002, son augmentation résulte principalement du recul de la mortalité chez les personnes âgées». On peut donc avancer qu'auparavant, c'est essentiellement par la baisse de la mortalité infantile que les gains d'espérance de vie ont été obtenus. Et ce grâce aux progrès de l'hygiène et de la médecine : assainissement, désinfection, vaccination...

C'est cette mortalité infantile qui a longtemps "trompé son monde". «Les démographes (...) il y a cinquante ans (...) ont établi que l'espérance de vie à la naissance était de l'ordre de 25 ans aux XVIIe et XVIIIe siècles en France. Cette mesure, qui indique l'âge moyen au décès, est souvent mal interprétée : ce n'est pas à 25 ans que la plupart des gens mouraient. Au moins un nourrisson sur quatre n'atteignait pas l'âge d'un an.»

«Après la première année, la mortalité diminuait assez vite, mais à l'âge de 11 ans, la moitié des enfants avaient déjà disparu (...). Ceux qui avaient réussi à survivre jusqu'à l'âge de 20 ans avaient encore devant eux une espérance de vie d'environ 35 ans, soit davantage qu'à la naissance ; ils mouraient donc autour de 55 ans en moyenne. Un adulte sur deux approchait la soixantaine et une fraction importante la dépassait.»

Voilà qui tord le cou à bien des idées reçues : il y avait en ce temps-là des vieillards, certes peu nombreux mais, nous précisait Claude Masset du CNRS, «dont le rôle social était important». Et ceci reste vrai pour les périodes antérieures : «Disons (...) que la mortalité n'était jadis élevée que chez les vieillards (...) et chez les très jeunes enfants, la majorité des adultes se trouvant largement épargné(sauf «famine, guerre ou épidémie»).

Retour au XXe siècle. L'Ined soulignait que «parmi les personnes nées en 1905, 30 % des hommes et 49 % des femmes ont survécu jusqu'à 75 ans, alors que parmi celles nées en 1925, elles étaient respectivement 44 % et 66 % à être encore en vie à cet âge». Et l'on nous promet maintenant 25 ans d'espérance de vie après 60 ans, et même plus de 28 ans en 2040. Une progression qui explique les régressions passées, présentes et à venir sur les retraites.