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05/03/2024

Moins on en a, plus on s'étale

«Si c'était à refaire, il faudrait commencer par la culture.» Ainsi parlait Jean Monnet, "un des pères de l'Europe économique" rappelait Bertrand Poirot-Delpech dans Le Monde il y a près de vingt ans. A méditer, au moment où l'on constate que la voie choisie du commerce est en réalité une voie unique et rapide, sans destination. Alors qu'il aurait fallu resserrer l'union entre les Européens, on a choisi d'étendre l'Union à toute l'Europe et même au delà.

La commedia dell'arte passée concernant la Turquie et la prétendue constitution européenne, montrait bien d'ailleurs la confusion qui régnait déjà dans les esprits. Et malgré les costumes et les décors, malgré les pirouettes et les déclamations, il sautait aux yeux que les acteurs improvisaient sur un scénario réglé d'avance. En fait, le projet européen est depuis longtemps réduit au plus petit dénominateur commun et la démocratie réduite à la portion congrue.

D'ailleurs, Sommes-nous en démocratie ? s'interrogeait Jean-Paul Sartre, qui écrivait : «Nous croyons sentir à chaque instant nos libertés et nos droits parce qu'on nous a persuadés d'abord que nous vivions en régime démocratique». L'endoctrinement a toutefois ses limites. Les citoyens sentent de moins en moins leurs libertés et leurs droits. Ils s'aperçoivent progressivement que "ce qui les engage" se décide sans eux.

Les parlements nationaux sont bafoués, les débats escamotés, les discours biaisés. Et l'on assiste impuissant à l'accélération d'un processus qu'on dit nécessaire, où l'économique prime sur le politique, où les politiques ne font qu'accompagner une évolution qu'ils ne peuvent vraiment contrôler, appliquant en cela la célèbre formule de Jean Cocteau : «Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être l'organisateur...».

Les peuples ne sont pas les auteurs de la pièce qui leur est jouée, de leur destin. Et l'on s'étonne qu'ils ne soient pas "bon public" (même si on les a, pour l'instant, à l'usure). Une zone de libre-échange n'a rien d'enthousiasmant. Alors qu'«un véritable projet de civilisation fondé sur notre héritage culturel et nos valeurs communes» susciterait, comme l'écrivaient de prestigieux artistes et responsables culturels dans Le Monde à la même époque, une vraie adhésion.

Sans culture, pas de conscience ni d'histoire collective. Sans références communes, pas de communauté d'Européens. Ceux-ci manquent de repères et l'Europe perd ses repères. Peut-être pourraient-ils les trouver et se retrouver dans cette pensée de Giorgio Strehler, acteur et metteur en scène italien : «L'Europe est une certaine idée de l'homme, avant même la création d'un système de gouvernement», afin de poursuivre l'idéal.

30/08/2013

"Remplacer le besoin par l'envie"

«Travailler plus dur pour moins d'argent : bienvenue dans le nouveau monde de l'économie» titrait en une le magazine Newsweek en 2004. Le directeur de la rédaction de L'Expansion reprenait cette formule à son compte dans l'éditorial de son numéro de septembre de la même année. Etait ainsi résumée à ses yeux la situation des pays occidentaux - en particulier européens - confrontés à la concurrence de plus en plus vive des pays dits émergents.

Pour lui - et son opinion reflétait sans doute celle de la plupart des dirigeants économiques et politiques - cela ne pouvait plus durer. Le temps des réveils douloureux était venu. Les Européens n'avaient plus le choix et devaient se préparer «à remettre en cause leurs acquis sociaux et à modifier leur rapport au travail pour rétablir leur compétitivité». Devant la menace des délocalisations, la résignation des salariés lui paraissait même acquise.

Il n'hésitait donc pas à pronostiquer «la disparition inéluctable des trente-cinq heures» en France. Car disait-il : «En économie ouverte, le principe de réalité finit toujours par l'emporter». Michel Camdessus, ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI) et conseiller du président de la République (Nicolas Sarkozy) sur les questions de développement, ne devait pas être loin de penser la même chose, lui qui venait de remettre un rapport alarmant.

Les freins à la croissance (son titre) dressait le constat d'une France bridée dans ses élans et vivant au-dessus de ses moyens. Pointant du doigt le «déficit de travail» et I'«hypertrophie de la sphère publique», Michel Camdessus et une vingtaine d'experts en appelaient à un sursaut, sans lequel dans les dix ans à venir (c'est-à-dire maintenant), la France pourrait être distancée par les autres grands pays industrialisés de manière irréversible.

La solution préconisée tenait en deux mots et rejoignait la formule du début : «travailler plus». Cette quantité de travail supplémentaire à fournir se traduisant par l’allongement à la fois de la durée de la vie active et du temps de travail. L'ordonnance était sévère et faisait suite à des diagnostics catastrophistes de plus en plus nombreux, nous pressant de nous adapter à ce nouveau monde. Mais celui-ci est-il meilleur ? Rien n'est moins sûr.

Et qu'importe semble-t-il pour nos adeptes de la «réhabilitation du travail». La qualité importe moins que le nombre. Pourtant, c'est peut-être de par sa médiocre qualité que le travail perd de sa valeur. Ce sont les métiers malsains, angoissants, dénués de sens, n'assurant même pas parfois la subsistance, qui réduisent le travail à un besoin. Le réhabiliter demanderait donc d'abord de le revaloriser pour «remplacer le besoin par l'envie»*.

* Balavoine

 

09/04/2013

Espéranto = "Celui qui espère"

Quelle espérance pour l'Europe ? Ni l'euro, ni l'élargissement, ni même la  "constitution européenne" n'ont été capables de faire émerger une identité européenne. Ce "supplément d'âme" pourrait venir peut-être de grands projets susceptibles d'entraîner l'adhésion des peuples. On évoque ainsi une politique étrangère et de défense commune, une Europe sociale, voire judiciaire... ; mais on ne parle guère d'une langue européenne.

Pourtant elle existe déjà depuis longtemps : l'espéranto. L'association Espéranto-France en appelle d'ailleurs aux dons pour promouvoir cette espérance d'entendre parler la même langue aux quatre coins de l'Union européenne. Et une langue autre que l'anglais dont l'usage se répand dans les instances européennes en dehors de tout débat public, et dont la suprématie entraîne de fait un déséquilibre économique et social.

Selon l'association, «Tous les intellectuels européens doivent apprendre l'anglais s'ils veulent accéder à une certaine reconnaissance de leurs travaux». «Cette étude leur coûte beaucoup de temps et d'argent», tandis que leurs collègues anglo-américains «peuvent se concentrer à 100 % sur leurs travaux». «Nos spécialistes sont même jugés en priorité sur leur connaissance de l'anglais plutôt que sur leur compétence !» dit-elle.

Il existe également une discrimination linguistique à l'embauche, en particulier dans des organisations financées par l'Union européenne (UE). C'est ainsi que certaines offres d'emplois ne s'adressent exclusivement qu'aux «Native English Speakers». Exit les 84 % de citoyens européens n'ayant pas pour langue maternelle l'anglais. L'égalité linguistique est pourtant proclamée par l'UE, mais l'anglais s'impose, sans discussion.

L'espéranto pourrait être la solution. Cette langue créée vers 1887 par un Polonais, le docteur Zamenhof, est «facile et précise». Son orthographe est «phonétique» et sa grammaire «régulière, sans exception». «Toutes ses racines sont naturelles, puisées dans les principales langues européennes.» Ainsi l'apprentissage de l'espéranto serait sept à huit fois plus rapide que l'anglais, et ce dès le plus jeune âge.

En seconde langue, l'espéranto permettrait aux Européens d'échanger autre chose que des euros, et aux pays de l'Union européenne d'économiser 25 milliards d'euros par an selon le rapport Grin. «Mi amas la vivon» : en espéranto, c'est ainsi qu'on dit «J'aime la vie». L'espérance de l'espéranto, c'est que tous les Européens disent d'une même voix et langue : j'aime l'Europe.