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10/06/2014

Comme des pois(s)ons dans l'eau

La psychopathie est d'après Le Petit Robert, une "Déficience mentale constitutionnelle caractérisée essentiellement par l'impulsivité, l'instabilité, l'incapacité d'adaptation au milieu menant à des conduites antisociales". Cette maladie semble rédhibitoire pour mener une vie normale et exercer une responsabilité. Détrompez-vous ! Les psychopathes sont peut-être plus dans leur élément qu'on ne le pense, dans ce monde de fous.

L'Américain Paul Babiak est psychologue en organisation industrielle. Il prenait la parole il y a une huitaine d'années à l'EuroScience Open Forum de Stockholm devant une assemblée de consœurs et confrères distingués, et le journal Le Pays en rendait compte dans ses colonnes. Ses observations sont fondées sur les dernières recherches dans ce domaine et sur son expérience notamment de consultant pour des compagnies américaines.

La plupart bien intégrés, «Les psychopathes ont tendance à être charmants, a-t-il noté, ont une grande estime d'eux-mêmes, et ils aiment l'argent, le pouvoir et le sexe. Ils ont une excellente aptitude à s'exprimer, et ils peuvent manipuler (leur auditoire) en racontant une bonne histoire. Puisqu'ils peuvent être grandiloquents, vous pensez qu'ils ont une vision et qu'ils peuvent diriger une organisation, mais un psychopathe vous dupera.»

Car «Les psychopathes peuvent raconter une belle histoire, mais ils sont incapables de faire le travail quotidien. Ils sucent le sang des autres» affirme le Docteur Babiak. Un monde rapace, et violent et instable, leur va donc comme un gant, et leur tendance à des conduites antisociales les aide à prendre des mesures antisociales sans aucun scrupule. Ce qui peut être bien utile pour des entreprises réclamant qu'on tranche dans le vif.

Ambitieux et charismatiques, ils bousculent et séduisent tout à la fois. Joueurs, ils recherchent les sensations fortes, l’ivresse du fruit défendu, flirtent avec la ligne jaune. Durs et insensibles, ils exploitent ceux qui dépendent d'eux, sans pitié, et aussi toutes les failles, les créneaux, les ouvertures, les espaces libres, les vides juridiques... Leur déséquilibre n'empiète pas sur leurs capacités intellectuelles. Ils peuvent être redoutables.

En tant que consultant, Paul Babiak a décelé huit psychopathes sur près de cent salariés rencontrés, et sept ont eu de l'avancement. Il n'y a pas de normaux et d'anormaux, il y a des gens adaptés à la situation et les psychopathes sont adaptés au monde dans lequel nous vivons. Ils vont donc prospérer, annonce le psychologue américain. Présents dans toutes les professions, ces "tueurs" ont de l'avenir dans notre "univers impitoyable".

18/10/2013

L'emprise de l'entreprise sur l'homme

John Kenneth Galbraith n'était pas n'importe qui. Cité dans tous les dictionnaires d'économie parmi les plus grands économistes, cet ancien professeur à Harvard fut également conseiller de quatre présidents américains dont John F. Kennedy. Un an et demi avant sa mort à 97 ans, il publia fin 2004 un essai décapant chez Grasset intitulé Les mensonges de l'économie. D'où il ressort que la grande société anonyme est la force dominante aujourd'hui.

A l'origine, notait Galbraith, «(...) le marché s'identifiait à la souveraineté du consommateur». En fait, «Dans le monde réel, l'entreprise et l'industrie contribuent lourdement à fixer les prix et à créer la demande. Elles le font par le monopole, l'oligopole, la conception et la différenciation des produits, la publicité et les autres méthodes de promotion de ventes et de commerce». L'entreprise est le «lieu de l'autorité suprême».

Le lieu où, même si leur travail est «répétitif, épuisant, fastidieux, désagréable, sans intérêt intellectuel» et mal payé, les "bons travailleurs" sont censés "aimer travailler" selon leurs supérieurs, pour qui «le travail est un plaisir», une «source de prestige et de forte rémunération» donnant accès aux loisirs. Et qui aux premiers mauvais résultats, licencient ces "bons travailleurs" «qui sont le moins responsables des difficultés».

Le supérieur, peu enclin au sacrifice, s'affranchit du travail rébarbatif en se réservant une «situation» «agréable et valorisante». Il sait que «diriger avec succès une grande firme anonyme, dépasse de loin les forces, le savoir, l'expérience et la confiance en soi d'un seul individu». Il «délègue» donc «réflexion et action à des échelons inférieurs», ce qui est «un moyen d'échapper aux efforts fastidieux et aux connaissances pointues». Phénomène qui d'ailleurs a fait tache d'huile tant dans le secteur public que privé dès quelques dizaines de salariés.

«Le pouvoir (...), disait encore Galbraith, récompense le savoir, l'ambition personnelle, l'acceptation de l'esprit hiérarchique. Et la parfaite conscience de son propre intérêt.» Mais l'intérêt public ? Les entreprises l'ont «redéfini» répondait-il, «en l'adaptant à leurs capacités et à leurs besoins». Et «Les effets sociaux négatifs - la pollution, la destruction des paysages, le sacrifice de la santé des citoyens (...) - ne comptent pas».

D'où ce rappel : «Ce que l'histoire de l'humanité nous a laissé de meilleur, ce sont des réalisations artistiques, littéraires, religieuses et scientifiques qui sont nées dans des sociétés où elles étaient la mesure du succès», et «qui avaient un très faible PIB». La création de richesses n'est rien comparée aux richesses de la création humaine et à la richesse intérieure des hommes qui sont tellement plus que des "ressources".