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05/01/2023

La Traviata ou la beauté du sacrifice

Quand en janvier 1901 meurt Giuseppe Verdi à l'âge de 88 ans, l'Italie est en deuil. Deux cérémonies réunissent à Milan 200.000 et 300.000 personnes autour de son cercueil.

En fait, il était déjà mort une fois lors de la disparition sur une année de sa première femme et de ses deux enfants. Nabucco, son troisième opéra en 1842 et son premier grand succès, ainsi que sa rencontre avec la cantatrice Giuseppina Strepponi le ressuscitèrent artistiquement et humainement. Puis, entre 1851 et 1853 viennent Rigoletto, La Traviata, Le Trouvère. Suivront Don Carlos, Aïda, Otello, Falstaff... Vingt-huit opéras en tout.

Pour le centenaire de sa mort, il y a plus de vingt ans, les meilleurs enregistrements étaient ressortis. Parmi ceux-ci La Traviata, cet opéra en trois actes qui met en scène Violetta Valéry, Alfredo et Giorgio Germont, et qui confirme cette observation humoristique résumant tout opéra à l’histoire de l’amour entre la soprano et le ténor contrarié par le baryton.

Chez EMI Classics, un enregistrement en public réalisé en 1958 à Lisbonne permet d'entendre Maria Callas entourée d'Alfredo Kraus et Mario Sereni. Franco Ghione y dirige les chœurs et l'orchestre symphonique du Théâtre national de Sâo Carlos.

La bande radio de la retransmission de cette représentation présente des imperfections ; pourtant le charme agit. Peut-être est-ce l'émotion suscitée par la voix de "La Callas" qui transcende les faiblesses techniques ? Elle y chante le rôle-titre pour la 55e fois sur 63 au total : Violetta, vibrante d'amour et de foi, mais déchirée entre ses sentiments et sa soumission aux convenances.

L’intrigue inspirée de La Dame aux camélias d'Alexandre Dumas fils permet à Verdi de composer des airs romantiques qui, une fois écoutés, ne vous quittent plus. Le prélude du premier acte joue ainsi sur les cordes sensibles. Trois thèmes, la fête, l'amour et la mort, se développent autour du sujet central du livret de Francesco Maria Piave : le sacrifice.

Et s'il ne fallait retenir que quelques mots, ce serait les dernières paroles de Violetta faisant ses adieux à Alfredo : «Si une jeune fille, dans le printemps de sa vie, te faisait don de son cœur, épouse-la... je l'exige. Donne-lui ce portrait, et dis-lui qu'il est le don de celle qui, au ciel, parmi les anges, prie pour elle et pour toi».

 

Post-scriptum 

Verdi meurt donc au début du XXème siècle. Seize ans plus tôt en France, ce sont 1 million de personnes qui s'inclinèrent devant la dépouille de Victor Hugo. Un grand compositeur de musique lyrique, un grand écrivain, tous deux un temps parlementaires, tous deux épris d'humanisme et de romantisme, de liberté et de justice, de Beau et de Bien. Un gros siècle plus tard, c'est la mort d'un chanteur de variétés ou d'un footballeur qui fait descendre les foules dans la rue. Que sont devenus la grande musique et la littérature, l'amour et la foi, la fête et la mort ? Et l'humanisme et le romantisme ? Et la liberté et la justice ? Et le Beau et le Bien ? Et l'esprit de sacrifice ? Sommes-nous déchirés entre nos sentiments et notre soumission aux convenances ? Pour qui ou pour quoi pourrions-nous nous sacrifier ou faire des sacrifices ?

12/11/2022

La paix !

Au lendemain du 11 Novembre, que peut-on souhaiter de plus important que la paix ? Et d'abord, parce que la mort a saisi beaucoup de nos compatriotes ces dernières années et durant l'histoire, souhaitons que tous nos défunts "reposent en paix". "Paix à leurs cendres !" s'exclamait-on encore il n'y a pas si longtemps. Et si certains pensent qu’"il faut laisser les morts en paix", ne pas parler d'eux, d'autres parlent en mémoire d'eux.

Se souvenir de ceux qui sont passés, c'est un peu les faire revenir à la vie, juste le temps d'une pensée. Présents à l'esprit. Les cérémonies ne manquent pas, ces commémorations destinées davantage aux vivants qu'aux morts, où se pressent des officiels venus effectuer ce que Flaubert décrivait si bien : «L'oblique génuflexion des dévots pressés». "Rappeler le souvenir" ne doit pas revenir à battre le rappel des troupes.

Devant les monuments, les plaques..., il n'y a ni victoire ni défaite. Il n'y a que la mort et la longue liste des vaincus, ces hommes broyés par la guerre et la folie de "Grandeurs" se croyant dépositaires de leur vie. Ces "Grandeurs" - les mêmes parfois - honorant ensuite la loyauté, le sens du devoir, la discipline et l'esprit de sacrifice de ces morts, pour mieux pouvoir réclamer ensuite aux vivants, aux petits, les mêmes vertus.

Souhaitons plutôt que s'instaure une paix véritable fondée sur la justice. Un monde sans guerre, est-ce une utopie ? Ce temps de paix ne pourra cependant advenir que si l'on cesse de "vouloir la paix" en paroles tout en "préparant la guerre" en actes. La "paix armée" n'est pas la paix. Cette dernière viendra d'un désarmement concerté des nations et de la création d'une force inter, multi et supranationale de maintien de la paix.

En outre, il y a l’"individu broyé par la société moderne", "empêché de vivre avec plénitude" du fait d'une autre guerre : économique. La paix, ce serait donc aussi un climat de concorde, de coopération plutôt que de méfiance, d'hostilité. "Vivre en paix", "Faire la paix" et renoncer à concourir, à concurrencer, à rivaliser, à lutter pour gagner, et finir par se perdre. Ne pas comparer. Ne se mesurer qu'à soi pour progresser.

"Avoir la paix", voilà donc peut-être notre vœu le plus cher. Arrêter de subir les contraintes, les pressions, les menaces, refuser l'agressivité, la brutalité, la violence, aspirer à la quiétude, à l'harmonie, à la fraternité. Et "Goûter une paix profonde", "Avoir la conscience en paix", loin du bruit, de l'agitation et du désordre. Question de volonté ? Oui, vouloir la paix et aller jusqu'à l'exiger : "La paix !", "Fichez-nous la paix !".

18/10/2013

L'emprise de l'entreprise sur l'homme

John Kenneth Galbraith n'était pas n'importe qui. Cité dans tous les dictionnaires d'économie parmi les plus grands économistes, cet ancien professeur à Harvard fut également conseiller de quatre présidents américains dont John F. Kennedy. Un an et demi avant sa mort à 97 ans, il publia fin 2004 un essai décapant chez Grasset intitulé Les mensonges de l'économie. D'où il ressort que la grande société anonyme est la force dominante aujourd'hui.

A l'origine, notait Galbraith, «(...) le marché s'identifiait à la souveraineté du consommateur». En fait, «Dans le monde réel, l'entreprise et l'industrie contribuent lourdement à fixer les prix et à créer la demande. Elles le font par le monopole, l'oligopole, la conception et la différenciation des produits, la publicité et les autres méthodes de promotion de ventes et de commerce». L'entreprise est le «lieu de l'autorité suprême».

Le lieu où, même si leur travail est «répétitif, épuisant, fastidieux, désagréable, sans intérêt intellectuel» et mal payé, les "bons travailleurs" sont censés "aimer travailler" selon leurs supérieurs, pour qui «le travail est un plaisir», une «source de prestige et de forte rémunération» donnant accès aux loisirs. Et qui aux premiers mauvais résultats, licencient ces "bons travailleurs" «qui sont le moins responsables des difficultés».

Le supérieur, peu enclin au sacrifice, s'affranchit du travail rébarbatif en se réservant une «situation» «agréable et valorisante». Il sait que «diriger avec succès une grande firme anonyme, dépasse de loin les forces, le savoir, l'expérience et la confiance en soi d'un seul individu». Il «délègue» donc «réflexion et action à des échelons inférieurs», ce qui est «un moyen d'échapper aux efforts fastidieux et aux connaissances pointues». Phénomène qui d'ailleurs a fait tache d'huile tant dans le secteur public que privé dès quelques dizaines de salariés.

«Le pouvoir (...), disait encore Galbraith, récompense le savoir, l'ambition personnelle, l'acceptation de l'esprit hiérarchique. Et la parfaite conscience de son propre intérêt.» Mais l'intérêt public ? Les entreprises l'ont «redéfini» répondait-il, «en l'adaptant à leurs capacités et à leurs besoins». Et «Les effets sociaux négatifs - la pollution, la destruction des paysages, le sacrifice de la santé des citoyens (...) - ne comptent pas».

D'où ce rappel : «Ce que l'histoire de l'humanité nous a laissé de meilleur, ce sont des réalisations artistiques, littéraires, religieuses et scientifiques qui sont nées dans des sociétés où elles étaient la mesure du succès», et «qui avaient un très faible PIB». La création de richesses n'est rien comparée aux richesses de la création humaine et à la richesse intérieure des hommes qui sont tellement plus que des "ressources".