Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/02/2025

L'homme : une grande cause

«Les enfants commencent tous par la métaphysique, les adolescents continuent dans la morale, et nous les adultes, nous finissons dans la logique et la comptabilité.» Daniel Pennac, en quelques mots, décrit la déchéance que peut constituer le passage à l'âge adulte. Et l'on peut affirmer peut-être que le monde adulte ne serait pas ce qu'il est si les adultes qui le composent se nourrissaient de métaphysique et de morale.

Mais voilà, la philosophie et l'éthique, "c'est fait pour les intellos", "ça n'intéresse personne", "ça ne fait pas vendre", etc., disent les dédaigneux. Foutaises ! Les choses terrestres ne suffisent pas à nourrir leur homme. Il lui faut des nourritures spirituelles qui nécessitent certes un effort intellectuel (et pourquoi pas ?!), mais après l'effort, quelle récompense ! La lecture, passage obligé quoi qu'on dise, nourrit notre esprit, l'élève.

En fait, nous devrions toute notre vie nous considérer comme des élèves et oser convenir que nous ne savons pas, ou pas grand-chose. Recevoir ou suivre l'enseignement de maîtres, voilà le droit que devrait avoir tout homme ; transmettre cet enseignement à ceux qui n'y ont pas accès, voilà le devoir de tout initié. Car, avec Spinoza, nous devons soutenir obstinément "qu'il faut désirer pour l'autre ce que l'on veut pour soi".

Tout être humain mérite ce qu'il y a de mieux. Pouvoir se référer aux meilleures pensées des meilleurs esprits permet d'éviter de penser en rond, de raisonner à vide. Observer, lire, réfléchir pour "avoir du jugement", rien là de surhumain mais tout au contraire de proprement humain. S'en dispenser, c'est se mépriser ; en dispenser les autres, c'est les mépriser. Et "Si vous n'aimez pas ça, n'en dégoûtez pas les autres !".

Alors que tout défenseur d'une certaine idée, d'une haute idée de l'homme se lève et ferraille avec panache contre les contempteurs de la philosophie et de la morale, avec leur logique et leur comptabilité, en s'exclamant comme Cyrano de Bergerac sous la plume d'Edmond Rostand : «Que dites-vous ?... C'est inutile ?... Je le sais ! Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès ! Non ! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !

«Qu'est-ce que c'est que tous ceux-là ! Vous êtes mille ? Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis ! Le Mensonge ? Tiens, tiens ! - Ha ! ha ! les Compromis, les Préjugés, les Lâchetés !... Que je pactise ? Jamais, jamais ! - Ah ! te voilà, toi la Sottise ! Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ; N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !» Oui, battons-nous, même si la cause semble perdue, car ce qui est en cause, c'est l'homme.

21/12/2023

L'amour : sauveur de l'humanité

C'est l'histoire d'un couple qui ne sait où "crécher". La jeune femme va bientôt enfanter. Son mari est un solide charpentier. Loin de chez eux, ils n'ont personne vers qui se tourner. Toutes les portes restant closes, ils trouvent une étable pour la nuit. La maman accouche de son fils premier-né et le couche dans une mangeoire. La chaleur des animaux le protégeant de la fraîcheur nocturne.

Les premiers à les trouver sont des bergers qui gardent des troupeaux dehors à proximité. Eux, miséreux entre les miséreux, félicitent chaleureusement les heureux parents, et se penchent vers le bébé qui dort, l'enveloppant de leurs regards attendris et bienveillants. Ils n'ont rien à offrir sinon leur présence réconfortante et leurs vœux pour l'être qui vient de naître.

Les parents attendent encore quelques jours, le temps pour la maman de reprendre des forces. Les seconds à les visiter sont des rois mages venus de très loin, hommes grands par leur pouvoir, leur avoir et leur savoir. Eux, puissants entre les puissants, déposent au pied du nouveau-né ce qu'ils ont de plus précieux, et rendent hommage au tout-petit et à son "enceinte sacrée" : la famille.

Cette histoire a deux mille ans. Elle s'adresse à tous les hommes, des plus pauvres aux plus riches, mais en premier à ceux qui n'ont pas de terre, pas de toit, pas de titre, pas de quoi se nourrir, se soigner, se vêtir, se laver, se chauffer. Elle dit leur droit à la dignité, à la considération, à la bonté quand ils tendent les mains vers le ciel ; le droit des faibles, des malades et des opprimés d'être défendus.

Elle rappelle aux maîtres de la terre leur devoir, qu'ils sont grands quand ils servent les petits, qu'ils s'élèvent quand ils s'inclinent, qu'ils sont jugés non à leurs possessions mais à leurs dons. Elle leur demande de mettre influence, argent et science au service de l'humanité et de la vie. Elle réclame d'eux qu'ils ne profitent ni de la confiance, ni de l'insuffisance, ni de la détresse de leur prochain.

Elle parle d'un enfant plein de promesses, symbole de l'être humain innocent et sans défense, qu'il faut encourager, préserver, protéger, secourir. Cet être humain innocent et sans défense, vivra-t-il ? Ou mourra-t-il, trahi par certains des siens et supplicié par ceux qui ne pensent qu'à étendre leur empire, leur emprise ? Il n'y a que l'amour qui sauve. Mais «qu'est-ce qui pourrait sauver l'amour ?»*.

* Balavoine

19/10/2023

L'homme contre l'homme

«Tant d'horreurs n'auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de sciences pour tuer tant d'hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps, mais il a fallu non moins de qualités morales. Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects ?» La grande interrogation de Paul Valéry en 1919 dans La Crise de l'esprit chez Gallimard, continue de nous tarauder aujourd'hui.

Le philosophe Alain Finkielkraut dans son essai sur le XXe siècle L'Humanité perdue, paru au Seuil, rappelle ce «diagnostic désespéré» de Valéry. La guerre 14-18 interdisait désormais de voir obligatoirement en «l'essor prodigieux des aptitudes et des connaissances humaines» un «progrès de l'humanité». Et depuis, la situation n'a cessé d'empirer, la capacité de l'homme ayant décuplé et confinant maintenant à la toute-puissance.

«(...) c'est la vertu qui s'est mise au service de l'horreur, écrit encore Alain Finkielkraut ; (...) c'est la barbarie qui a mobilisé les ressources de la Raison et les inventions de la science.» Et dorénavant une épée de Damoclès semble suspendue au-dessus de l'humanité. Janus des temps modernes, le Savoir par son étendue présente de nos jours deux visages dont l'un obscur paraît pouvoir même conduire l'humanité à sa perte.

Car il n'y a pas que les armes qui soient devenues "de destruction massive", certaines "avancées" apportent avec des avantages, leur lot de menaces. Les hommes pourraient être victimes d'eux-mêmes, de leur rêve prométhéen de percer les secrets des dieux, de devenir comme des dieux, tout en étant convaincus de faire leur Devoir, de bien faire. Faire ainsi tout le mal possible avec les meilleures intentions du monde.

Mais nos intentions sont-elles toutes délibérées, ou suivons-nous plutôt, en étant "à la pointe du progrès", en nous disant "d'avant-garde", une logique indépendante de notre volonté ? «Si, par opposition au "pouvoir faire", écrit Hannah Arendt dans Du mensonge à la violence, le terme "pouvoir" signifie qu'il nous est possible de faire ce que nous voulons, il nous faut bien reconnaître que notre "pouvoir" est tombé dans l'impuissance.»

«Les progrès accomplis par la science, poursuit-elle, sont tout autre chose que l'expression du "je veux" personnel ; ils suivent leurs propres et inexorables lois, nous contraignant à faire ce qu'il nous est possible de faire, sans tenir compte des conséquences.» Nuisibles pour l'homme. Valéry affirmait : «On peut dire que tout ce que nous savons, c'est-à-dire tout ce que nous pouvons, a fini par s'opposer à ce que nous sommes».