25/03/2025
"L'art de plaire est l'art de tromper" (Vauvenargues)
Chercher à plaire est sans doute la grande affaire de la plupart des personnes physiques ou morales. La séduction est l'arme la plus employée pour conquérir le pouvoir, un marché, une clientèle, les cœurs, l'estime, une femme ou un homme. «La volonté de séduire, c'est-à-dire de dominer» écrivait Colette, de subjuguer les esprits. Et ajoutait Roger Caillois : «Quand il s'agit d'un art du langage, séduire c'est à la fin persuader», en douceur.
«Ce que Lionel Bellenger appelle la "persuasion-séduction", rappelle Philippe Breton dans son livre La Parole manipulée aux éditions La Découverte, est à l'œuvre "tant dans les relations interpersonnelles que dans la communication de masse, la publicité ou la politique".» Au point que «Le phénomène est devenu si courant, (...) que nous finissons par ne plus le voir (...)». Son omniprésence le rend comme invisible, imperceptible.
Mais «Là où, dans les relations humaines, séduire relève de sa propre finalité, son usage stratégique dans l'action de convaincre relève systématiquement de la tromperie. Ce n'est plus plaire pour plaire, c'est plaire pour vendre, plaire pour emporter les suffrages de l'électeur, plaire pour commander. Il s'agit bien d'une stratégie de détour». Familièrement, on dirait "draguer", "faire du baratin", ou faire sa cour pour avoir une cour.
Chercher la faveur de publics divers pour se retrouver en position d'accorder des faveurs, voilà la logique de bien des politiques. Philippe Breton indique que «Bellenger insiste sur le fait que le séducteur s'adapte aux circonstances, c'est-à-dire à l'auditoire : "Le séducteur est celui qui fait ou dit au moment voulu ce qu'il faut : il fait preuve d'une totale obéissance à l'occasion... Le séducteur ressemble à tout ce qu'il approche"».
«En politique, le prototype du séducteur est le démagogue (...).» : «celui qui veut convaincre qu'il est le bon candidat ou le bon titulaire du poste qu'il occupe. Pour cela, il va faire croire à l'auditoire, par différentes stratégies, qu'il pense comme lui. Mieux : s'adressant à plusieurs auditoires, il va faire croire à chacun d'eux qu'il pense comme eux. (...) Il n'affirme pas son point de vue propre, il se coule dans le point de vue d'autrui.»
Mais à dire ce que les gens veulent entendre, "à flatter les aspirations à la facilité ou les préjugés du plus grand nombre pour accroître sa popularité, pour obtenir ou conserver le pouvoir", on finit VRP "aux mains" d'une clientèle qui "a toujours raison". De même qu'à chercher le soutien des influents, on finit "sous influence". «L'esclave n'a qu'un maître. L'ambitieux en a autant qu'il y a de gens utiles à sa fortune» écrivait La Bruyère.
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16/09/2024
L'emprise de l'entreprise sur l'homme
John Kenneth Galbraith n'était pas n'importe qui. Cité dans tous les dictionnaires d'économie parmi les plus grands économistes, cet ancien professeur à Harvard fut également conseiller de quatre présidents américains dont John F. Kennedy. Un an et demi avant sa mort à 97 ans, il publia fin 2004 un essai décapant chez Grasset intitulé Les mensonges de l'économie. D'où il ressort que la grande société anonyme est la force dominante aujourd'hui.
A l'origine, notait Galbraith, «(...) le marché s'identifiait à la souveraineté du consommateur». En fait, «Dans le monde réel, l'entreprise et l'industrie contribuent lourdement à fixer les prix et à créer la demande. Elles le font par le monopole, l'oligopole, la conception et la différenciation des produits, la publicité et les autres méthodes de promotion de ventes et de commerce». L'entreprise est le «lieu de l'autorité suprême».
Le lieu où, même si leur travail est «répétitif, épuisant, fastidieux, désagréable, sans intérêt intellectuel» et mal payé, les "bons travailleurs" sont censés "aimer travailler" selon leurs supérieurs, pour qui «le travail est un plaisir», une «source de prestige et de forte rémunération» donnant accès aux loisirs. Et qui aux premiers mauvais résultats, licencient ces "bons travailleurs" «qui sont le moins responsables des difficultés».
Le supérieur, peu enclin au sacrifice, s'affranchit du travail rébarbatif en se réservant une «situation» «agréable et valorisante». Il sait que «diriger avec succès une grande firme anonyme, dépasse de loin les forces, le savoir, l'expérience et la confiance en soi d'un seul individu». Il «délègue» donc «réflexion et action à des échelons inférieurs», ce qui est «un moyen d'échapper aux efforts fastidieux et aux connaissances pointues». Phénomène qui d'ailleurs a fait tache d'huile tant dans le secteur public que privé dès quelques dizaines de salariés.
«Le pouvoir (...), disait encore Galbraith, récompense le savoir, l'ambition personnelle, l'acceptation de l'esprit hiérarchique. Et la parfaite conscience de son propre intérêt.» Mais l'intérêt public ? Les entreprises l'ont «redéfini» répondait-il, «en l'adaptant à leurs capacités et à leurs besoins». Et «Les effets sociaux négatifs - la pollution, la destruction des paysages, le sacrifice de la santé des citoyens (...) - ne comptent pas».
D'où ce rappel : «Ce que l'histoire de l'humanité nous a laissé de meilleur, ce sont des réalisations artistiques, littéraires, religieuses et scientifiques qui sont nées dans des sociétés où elles étaient la mesure du succès», et «qui avaient un très faible PIB». La création de richesses n'est rien comparée aux richesses de la création humaine et à la richesse intérieure des hommes qui sont tellement plus que des "ressources".
11:24 Publié dans Economie/travail | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : john kenneth galbraith, économiste, harvard, john kennedy, éditions grasset, les mensonges de l'économie, la grande société anonyme, le marché, souveraineté du consommateur, fixer les prix, créer la demande, monopole, oligopole, conception et différenciation des produits, publicité, promotion des ventes, commerce, travail, "bons travailleurs", supérieurs, plaisir, prestige, forte rémunération, loisirs, mauvais résultats, licenciements, responsables des difficultés, sacrifice, travail rébarbatif, firme, déléguer réflexion et action, échapper aux efforts fastidieux, échapper aux connaissances pointues, le pouvoir, le savoir, ambition, esprit hiérarchique, intérêt, intérêt public, effets sociaux négatifs, pollution, destruction des paysages, santé des citoyens, sociétés, mesure du succès, produit intérieur brut, création de richesses, richesses de la création humaine, richesse intérieure, "ressources" | Facebook |
16/11/2018
"Combien ?", est-ce la question ?
"Combien ?" Voilà la question qui compte dans un "système" où tout est concurrence, compétition et rivalité. Combien de temps, combien d'argent, combien de fois...? C'est un adverbe utile quand il s'agit de savoir la quantité, le nombre, pour ce qui est d'une distance, d'un temps, d'un prix, etc. Et c'est sans doute ce qui préoccupe le plus le monde adulte, après les "Pourquoi ?" de l'enfance.
Antoine de Saint-Exupéry, dans son Petit Prince, évoquait ainsi cette obsession des «grandes personnes» qui : «aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel (...). Elles vous demandent : Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? Alors seulement elles croient le connaître».
En fait n'est-ce pas là l'éternelle préoccupation de l'être humain qui par nature tend à évaluer, comparer, se mesurer...? Il paraît même que sans cela, nulle amélioration ne serait possible. Mais peut-on justifier cette confrontation systématique par cette seule envie de progresser, en faisant l'impasse sur une autre explication : l'envie tout court, qui n'est pas que désir et volonté ?
Car l'envie est aussi jalousie, convoitise, lubie, et c'est alors une des plus grandes plaies de l'humanité. Elle est à l'origine de bien des conflits et s'oppose à l'amour vrai et au désintéressement. Elle peut aller jusqu'à la haine en effet de celui ou celle qui a ce qu'on n'a pas. Elle vous mine, vous dévore de l'intérieur, comme une tristesse ou une colère rentrée. Elle vous accable et ne vous lâche plus.
Tout le "système" dans une société de consommation repose ainsi sur l'insatisfaction nourrie par la publicité en particulier. Susciter l'envie, créer des besoins, voilà ses objectifs. Sans cela pas d'achats, pas de croissance. Pas de progrès ? Entretenir ce délire marchand, c'est le défi posé. Il nécessite pour y parvenir la complicité de l'Etat, des médias, de l'école... Et notre soumission.
Mais à quoi bon l'accumulation de biens, de richesses, mais aussi de scores, de records, de promotions, d'honneurs...? Car à la question "Combien ?", la réponse apparaît bien souvent sans intérêt, quand on y réfléchit. Et combien sont-ils ceux qui préfèrent rechercher un sens à leur existence, ou qui regrettent les "Pourquoi ?" de leur enfance ? «Etre ou ne pas être, telle est la question.»*
* Shakespeare
10:48 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : combien ?, concurrence, compétition, rivalité, temps, argent, quantité, nombre, distance, prix, pourquoi ?, antoine de saint-exupéry, le petit prince, chiffres, évaluer, comparer, se mesurer, confrontation, envie, désir, volonté, jalousie, convoitise, lubie, conflits, haine, société de consommation, insatisfaction, publicité, besoins, délire marchand, accumulation, sens | Facebook |