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21/05/2020

Le temps retrouvé

«C'est en forgeant qu'on devient forgeron.» Ce proverbe vantant en quelque sorte les mérites de l'apprentissage, n'est plus guère employé de nos jours où l'on se doit d'être rapidement opérationnel. Ce côté désuet nous dit aussi la révolution qu'a été pour l'homme le passage d'une société d'agriculteurs, d'artisans et d'ouvriers à une société de salariés, d'employés ; d'une société de l'outil à une société de la machine.

Comme l'agriculteur producteur, l'artisan ou l'ouvrier qui forge, façonne, fabrique un objet, de la matière première au produit fini, et le vend ou le troque, est une "espèce en voie de disparition", si elle n'a pas déjà disparu, en tout cas dans nos sociétés modernes. Et pourtant ce fut cela être un homme pendant des millénaires. Faire quelque chose, produire de ses mains, en maîtrisant tout le processus et les moyens de production.

La dignité du travailleur résidait dans cette part de création, de conception, d'élaboration, d'invention que recelait son métier. L'homme de métier n'avait rien à voir avec le simple exécutant, l'agent ou le technicien apparus avec l'organisation de la production industrielle qui a impliqué progressivement "mécanisation, automatisation, robotisation, informatisation", mais aussi "rationalisation, spécialisation, standardisation".

L'exécution de tâches fragmentaires, souvent répétitives, a sonné le glas du "vrai métier" que l'on choisit, que l'on apprend, que l'on pratique, que l'on transmet, dur parfois mais beau, ayant ses nécessités, ses risques et aussi ses joies. Ce métier qui demandait du temps pour "rentrer", en "connaître toutes les ficelles". Du temps avant de "savoir" et "faire son métier", avant de pouvoir affirmer "être du métier" et "avoir du métier".

«C'est en forgeant qu'on devient forgeron», soit : "c'est à force de s'exercer à quelque chose, qu'on y devient habile". Le temps que l'on se donnait à cette fin, est tout entier contenu dans cette phrase. Le temps nécessaire pour parfaire son travail, chercher sans cesse à l'améliorer. «Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage» écrivait Boileau. Heureux temps où l'on avait le temps, où il n'y avait pas de sot métier.

Aujourd'hui le temps libre permet à beaucoup d'hommes de retrouver le temps où le travail était un plaisir. C'est ainsi que des métiers d'antan sont en partie devenus des loisirs. Bricolage, jardinage, ouvrages manuels... redonnent à l'homme épris de liberté, d'autonomie, le bonheur de construire, de confectionner, de modeler, de modifier, de transformer, de cultiver, de faire pousser, d'imaginer... à son gré ; et aussi une certaine joie de vivre.

17/09/2013

Travailleur indépendant : "métier" d'avenir ?

Arrivé au terme (provisoire) de la réflexion sur le travail engagée voici deux semaines, l'on est en droit de s'interroger sur la prise de conscience par les dirigeants du malaise observé au travail et surtout sur leur volonté d'en réformer son organisation. Pourtant le constat est là et nombre d'études convergent pour signifier l’"abattement mêlé d'ennui, de dégoût, de découragement" du salarié français, en un mot : sa lassitude.

Le Conseil économique et social cité dans un dossier de L'Express, estimait que "ce sont les conditions de travail qui mériteraient d'être revalorisées". «Le travail précaire, l'insécurité de l'emploi, l'absence de déroulement de carrière et de valorisation des qualifications représentent, dans l'opinion des travailleurs, des facteurs beaucoup plus puissants de démotivation que la mesure quantitative du temps passé au travail.»

François Dupuy, président de la société de conseil Mercer Delta, était plus incisif : «Ce n'est pas la valeur travail qui s'est détériorée, c'est le travail lui-même». Un travail où le salaire est la variable d'ajustement pour maintenir ou rétablir les "équilibres financiers", où pire même, «Les salariés ont été instrumentalisés au nom de la logique financière» appuyait Sylvain Breuzard, président du Centre des jeunes dirigeants.

«Comment s'étonner qu'ils s'interrogent sur leur motivation et mettent de la distance entre eux et leur boulot ?» D'autant plus, observait le sociologue Jean-Pierre Le Goff dans un numéro de la revue Le Débat, que «L'intensification du travail a comprimé les espaces de liberté, détérioré les rapports et l'ambiance de travail avec des effets de fatigue et de stress». Ceci s'ajoutant à des tâches que l'on a vidées de leur sens.

«Plus personne ne sait parler du métier, du contenu du travail, alors que c'est précisément ce qui rend les salariés fiers et heureux. On ne parle plus que des contraintes, de combien ça coûte et combien ça rapporte» soulignait Hervé Juvin, président de la société de conseil en stratégie Eurogroup Institute. «Les gens ont le sentiment que peu importe ce qu'ils font et comment ils le font. Seule compte la réalisation des objectifs.»

La solution ? Alain la suggérait dans ses Propos sur le bonheur : «Le travail est la meilleure et la pire des choses ; la meilleure, s'il est libre, la pire, s'il est serf. J'appelle libre au premier degré le travail réglé par le travailleur lui-même, d'après son savoir propre et selon l'expérience. (...) Tous les métiers plaisent autant que l'on y gouverne et déplaisent autant que l'on y obéit (...) et tout homme préférera un travail difficile où il invente et se trompe à son gré à un travail tout uni mais selon les ordres. Le pire travail est celui que le chef vient troubler ou interrompre».

Le salut du salarié viendrait-il d'un retour à la lettre ou à l'esprit du travailleur indépendant ?

10/09/2013

Travailler pour "savoir quoi faire et dire" ?

Six mille questionnaires dépouillés, tel est le «travail de bénédictin» comme le disait L'Express, de deux sociologues, Christian Baudelot et Michel Gollac. Le résultat de leur enquête est paru chez Fayard il y a dix ans sous le titre Travailler pour être heureux ? Et il semble à première vue que les Français répondent (ou répondaient) par l'affirmative à cette question. Ce qui peut paraître contradictoire avec d'autres études nettement moins optimistes.

«Interrogée sur ce qui est "le plus important pour être heureux", "plus d'une personne sur quatre invoque dans sa réponse le travail, notent les auteurs. Soit directement (22 %), soit sous la forme d'un synonyme - emploi, boulot, métier, profession".» Des sondages et analyses confirmeraient même que les Français placent le travail «juste derrière la famille, lorsqu'on les interroge sur les choses qui comptent le plus dans leur vie».

Ainsi donc les Français seraient «satisfaits de leur travail» et se déclareraient «tout simplement heureux au turbin». Mais nos deux sociologues ont voulu aller plus loin et percer à jour «ce qui les rend heureux dans leur travail». «D'abord, le contact, la rencontre, la relation à autrui, au bureau ou à l'usine. "D'autant plus que l'entreprise est en passe de devenir le seul lieu collectif de lien dans une société déstructurée".»

C'est en tout cas l'opinion du directeur du département développement des personnes de la société de conseil Cegos. «Ensuite s'exprime la satisfaction de faire, de créer, d'agir, d'accomplir. "Le "faire" dont les individus ont besoin pour se réaliser, pour donner un sens à leur vie, est largement incarné dans le travail. Ne demande-t-on pas souvent aux personnes que nous rencontrons ce qu'elles font dans la vie ?".»

Le psychiatre qui s'exprime ici, fondateur du cabinet de conseil aux entreprises Stimulus, confirme ainsi la suprématie de l'action. Ce "faire" qui a tout envahi, le moindre recoin de l'existence. Toutefois, bien souvent, celui-ci ne consiste-t-il pas seulement à s'occuper l'esprit, les mains ?! Obéissant au "Bouge-toi !" impératif de toute la société ; cette action pour l'action. Mais pour quoi faire ?! Car c'est "ce qu'on fait" qui importe.

Ce n'est pas le tout de tout faire pour éviter de "ne pas savoir quoi faire ou s'occuper", encore faut-il qu'il y ait de la matière, un intérêt. Etre "bon à tout faire", ce peut être "ne rien faire de bon", juste meubler ses journées, remplir sa vie. Alors heureux au travail les Français ? Pas malheureux plutôt, puisqu'il leur permet au moins d'avoir quelque chose à faire et quelques personnes de l'extérieur à qui parler. Et c'est bien ça le drame !