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21/05/2013

La joie perdue des Français

II est toujours intéressant d'écouter un grand historien, académicien et professeur honoraire au collège de France, ne serait-ce que parce qu'il fait profession de prendre du recul. D'ailleurs, notre aveuglement actuel ne viendrait-il pas en grande partie d'un manque de recul ? cet éloignement dans l'espace ou dans le temps, cette distance, nécessaires pour avoir une vision ou une appréciation meilleure, pour avoir une vue d'ensemble.

Enfermés dans nos situations actuelles et personnelles, nous n'arrivons plus à "prendre nos distances", à cette distanciation qui permet d'en juger plus objectivement. Bloqués dans le court terme, dans un espace vital qui se réduit mais avec des moyens de transport et de communication abolissant les distances, nous vivons dans le présent en tentant d'en jouir le plus possible. Allant, parant au plus pressé, au plus urgent.

Hic et nunc : ici et maintenant, tel est notre champ d'action, notre perspective ; vivre et agir "sur-le-champ", "sans délai et dans ce lieu même". Ego hic et nunc : Moi, ici, maintenant, voilà l'horizon de l'homme moderne engagé avec des œillères dans une marche forcée, centré sur lui-même, égocentrique. L'homme à courte vue ne lit pas les grands mouvements de l'histoire et ne peut donc être à la hauteur de la situation.

D'une hauteur de vues, l'historien en dispose, Marc Fumaroli en l'occurrence. Ce spécialiste de l'art de la conversation et de la civilisation classique française revenait en 2004 dans Le Figaro Magazine sur les causes de la grandeur et de la décadence des Français. «Une chose est certaine, disait-il, c'est que nous ne donnons plus le ton au monde. C'est le monde qui nous donne le ton.» Et ce déclin date pour lui de la fin du XVIIIe siècle.

L'Angleterre prend le relais, puis les Etats-Unis. Deux nations où «Il n'y a jamais eu d'apprêt particulier pour la conversation ou pour la sociabilité» affirme Marc Fumaroli. Alors que comme Tocqueville, il pense que sous l'Ancien Régime, "Les Français aimaient la joie", et qu'«Une des causes de leur décadence est peut-être d'avoir cessé d'aimer cette joie !». La Révolution et ses suites ayant créé plusieurs France «irréconciliables».

Ne plus arriver à se parler, telle est la plaie ouverte. Et «La grande cause de la disparition de la conversation, selon Marc Fumaroli, c'est la perte du goût des loisirs nobles. Et donc la disparition de réunions qui n'avaient d'autre but que la réunion (...). On a perdu le sens d'une vie de société n'ayant pour but qu'elle-même», le plaisir de conjuguer les différences, et même peut-être «le sentiment de participer à une communauté».

17/05/2013

L'existence en toc de Shadoks "toc toc"

Serions-nous tous des Shadoks ? Mais oui souvenez-vous, ces boules de plumes au long bec, sans ailes et hautes sur pattes, qui régalaient de leurs aventures sans queue ni tête, les téléspectateurs de l'ORTF goûtant la satire et "l'absurde" ; c'était à la fin des années soixante pour leur première diffusion. Leur créateur, Jacques Rouxel, par sa mort il y a exactement neuf ans, laissait ses créatures orphelines et la télévision bien insipide.

Ces pitoyables bébêtes n'en finissaient pas de "pomper" sur leur planète, sans trop savoir pourquoi. Et nous pauvres hommes, tout interdits, étions parfois bien en peine de trouver un sens à tout ça. Etait-ce parce qu'il n'y en avait pas ou que celui-ci était caché ? Pour répondre, peut-être faut-il se pencher sur quelques tirades fameuses déclamées par le comédien Claude Piéplu, avec cette voix reconnaissable entre toutes.

Les devises des Shadoks sont en particulier une mine précieuse pour se faire une idée de l'esprit qui animait ces animations. L'une d'elles affirmait : «S'il n'y a pas de solution c'est qu'il n'y a pas de problème». On connaissait de Gide : «II n'y a pas de problèmes, il n'y a que des solutions». Mais là tout était inversé et cela dépassait l'entendement. A moins d'observer nos contemporains et nos propres comportements.

Regardons comme l'on aborde volontiers un problème dont la solution est évidente ou facile à appliquer, comme l'on choisit souvent la "Solution de facilité" ou celle dont on sait pourtant que "Ce n'est pas une solution !". L'on peut aussi soulever un "Faux problème" afin de "Ne pas s'attaquer au problème" difficile. Ou encore le reporter, déléguer... Jusqu'à déclarer le problème insoluble, voire qu’"II n'y a pas de problème".

Autre devise : «II vaut mieux pomper même s'il ne se passe rien que risquer qu'il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas». Variation sur le thème "qui n'avance pas recule", qui sous-entend que nos actions même inconsidérées ou stériles, trouvent leur justification dans la crainte que l'inaction ou un temps d'arrêt n'entraîne un coup d'arrêt, une régression. D'où cette activité fébrile, comme pour conjurer un péril.

Ces Shadoks qui "pompent", ce serait donc nous, dérisoires créatures condamnées à des besognes et loisirs qui ne les avancent à rien ou à pas grand-chose, dans le but incertain d'aller mieux, en tout cas de ne pas aller moins bien ou plus mal. Et tant que les sans-grades ou une minorité seulement en souffriront, rien ne changera vraiment. Dernière devise : «Pour qu'il y ait le moins de mécontents possible il faut toujours taper sur les mêmes».

07/05/2013

Une Europe d'Etats désunis ?

Que de chemin parcouru depuis la proposition de création d'une Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) le 9 mai 1950. Le ministre des affaires étrangères de l'époque, Robert Schuman, reprenait là une idée chère à Jean Monnet. Un embryon d'Union européenne était né. Et dorénavant, le 9 mai est la «Journée de l'Europe». Une Europe des Six qui a grandi progressivement avant de devenir d'un coup d'un seul le 1er mai 2004 une Europe des Vingt-cinq avec l'intégration de dix nouveaux États.

Les conflits meurtriers de la première moitié du vingtième siècle ont bien sûr été les "événements déclencheurs" d'une prise de conscience salvatrice. "Plus jamais la guerre" se sont dits des démocrates chrétiens. La reconnaissance du partage d'un destin et d'intérêts communs devait prendre le pas sur la fatalité de la défense d'intérêts exclusivement nationaux. Les bases d'une société européenne étaient jetées.

La paix est ainsi le principal acquis de cette construction européenne. Mais c'est l'activité commerciale qui est la première bénéficiaire de l'organisation de cet espace en un grand marché unique où a cours une monnaie unique. C'est sur ce socle qu'auraient dû être relevés des défis aussi cruciaux que : la politique étrangère, de sécurité et de défense, la coopération policière et judiciaire (celle-ci en net progrès), la solidarité économique et sociale, etc.

Toutefois, c'est peut-être la participation des peuples et leur sentiment d'appartenance à l'Union européenne qui sont les plus problématiques. Ignorés depuis toujours, les citoyens des États membres demeurent pour une large part étrangers à cette édification, et étrangers les uns aux autres. La démocratisation de l'Europe, l'éducation, la culture pourraient peut-être parvenir à vaincre certaines résistances, mais il faudrait de la volonté et du temps.

L'élargissement de l'Union en 2004 avait fait l'effet à certains d'une précipitation voire d'une fuite en avant. A juste titre. Cette décision politique est intervenue en effet avant la réforme des institutions (très insuffisante) et l'adoption d'une (pseudo-)Constitution. Dans l'idée que «Mieux vaut tenir que courir», des voix s'étaient donc élevées pour craindre des distorsions, et notamment de concurrence ; des déséquilibres, des disparités qui pourraient entraîner des tensions. Nous y sommes. Avec un constat : le retour d'une défense d'intérêts exclusivement nationaux. 

Ce n'est qu'en étant «une communauté d'idées, d'intérêts, d'affections, de souvenirs et d'espérances», pour reprendre une phrase de l'historien Fustel de Coulanges, que l'Union européenne pourrait répondre à sa vocation d'unir des hommes. Ou pour le dire autrement, "être en communion" est la condition pour "vivre en communauté", et non l'inverse. Il s'agirait donc aujourd'hui de se rapprocher, de se rencontrer comme au premier jour. Et plus si affinités. Et il n'est pas sûr que dans cette Europe des Vingt-sept depuis 2007 et bientôt des Vingt-huit (le 1er juillet 2013), il y ait encore beaucoup d'affinités. En attendant le grand marché commun entre les États-Unis et cette Europe d'États peu unis.