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21/05/2012

Notre civilisation ébranlée

Que s'est-il donc effondré en nous en même temps que les tours jumelles du World Trade Center ? Sans doute la certitude que nous étions à l'abri, protégés par la statue de la liberté - divinité de nos sociétés d'abondance - qui fait face à Manhattan. Mais aussi l'illusion que la démocratie pouvait gagner dans un monde en souffrance et que notre civilisation occidentale était la seule référence.

La souffrance insupportable de milliers de familles américaines ne fut pour certains que le pendant de la souffrance d'autres familles anéanties au nom parfois même du droit international. Nous pleurions sur les morts du jour mais avions-nous pleuré sur les morts de la veille ? Les peuples subissent bien souvent les décisions de «ceux qui prêchent la guerre et la font faire aux autres» (Mgr Gaillot).

Avant de parler de vengeance, de représailles ou de riposte, nous aurions dû parler de justice et faire en sorte que les commanditaires et complices de ces attentats épouvantables soient traduits devant un tribunal, jugés et condamnés. Mais seul un combat sans merci a été et est encore livré à l'Internationale terroriste, sans que nous nous attaquions vraiment aux ferments de haine, cette «colère des faibles» selon Alphonse Daudet.

«Les œuvres des humains sont fragiles comme eux» disait Voltaire, et donc les démocraties, qui devraient cependant, en pays de droit qu'elles sont censées être, montrer l'exemple. «Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles» écrivait aussi Valéry. Et notre mode de vie que l'on croyait universel semble rejeté par certains qui ne peuvent ou ne veulent pas y goûter.

Pour être convaincants, peut-être devrions-nous nous interroger sur les valeurs de notre civilisation. Devant des hommes suffisamment déterminés et prêts à sacrifier leur vie, que serions-nous prêts à sacrifier pour défendre ce en quoi nous croyons ? notre pouvoir d'achat ? notre confort ? notre liberté, qui confine parfois à la licence, au désordre ? Mais au fait : à quoi croyons-nous ?

Sommes-nous en état de faire face à un monde de tous les dangers ? Sommes-nous taillés pour relever le défi ? Ou comme le concorde foudroyé en plein vol du fait d'une simple tige métallique ou le funiculaire en Autriche incendié par un radiateur électrique, serions-nous des colosses aux pieds d'argile ? Et toutes nos belles "constructions" ne seraient-elles alors que des châteaux de cartes ?

18/04/2012

Voter utile, c'est se rallier

"Voter utile", quoi de plus contraire à la démocratie ?! Voter "pour un candidat susceptible d'être élu, plutôt que pour celui qu'on préfère", c'est un peu comme "voler au secours de la victoire", "agir une fois que la victoire est assurée". Les sondages la prédisent et tout suit. «Le monde n'est que franche moutonnaille»(La Fontaine). Et à ceux-là qui se rallient à l'opinion de la majorité s'ajoutent ceux-ci dont les opinions sont dictées par l'intérêt.

«J'ai raté ma carrière politique, disait Jean Lecanuet. J'aurais dû être gaulliste ou socialiste. Je n'aurais pas passé ma vie à courir après des élus qui, chez nous, suivent les vents et ne songent qu'à aller à la soupe.»Est-ce que les choses ont changé depuis ? Celui ou celle qui a le plus de chances de gagner, voit se rallier les opportunistes avant de rallier les suffrages. Mais est-ce le (ou la) meilleur(e) ou est-ce le (ou la) mieux placé(e) ?

Tout est une question de place. On joue un des chevaux donnés gagnants et placés pour obtenir une place. On joue placé pour toucher. Mais la démocratie n'est pas un pari ou un calcul. L'enjeu de la partie n'est pas la victoire de tel ou telle avec des gains à empocher. Ou si c'est un jeu, il est dangereux car il fait le jeu des ambitieux sans scrupules, prêts à s'asseoir sur leurs convictions pourvu qu'ils soient du camp victorieux.

Winston Churchill définissait ainsi l'homme politique : «Être capable de dire à l'avance ce qui va arriver demain, la semaine prochaine, le mois prochain et l'année prochaine. Et être capable, après, d'expliquer pourquoi rien de tout cela ne s'est produit». Et Franz-Olivier Giesbert(1) de noter qu'en effet souvent «Le discours n'a (...) aucune importance. C'est un instrument de conquête ou de séduction. Pas de vérité ni de pédagogie».

Saint-Simon(2) décrivait Mazarin comme «Un étranger de la lie du peuple, qui ne tient à rien et qui n'a d'autre Dieu que sa grandeur et sa puissance, ne songe à l'État qu'il gouverne que par rapport à soi. Il en méprise les lois, le génie, les avantages ; il en ignore les règles et les formes, il ne pense qu'à tout subjuguer». Que les partisans vainqueurs se méfient : «Passer sous un arc de triomphe, c'est aussi passer sous le joug»(Paul Valéry).

Revenons à l'esprit républicain. "Le président d'une république n'est que le primus inter pares", "le premier entre ses égaux". L'enjeu d'une élection, c'est la victoire d'idées, d'un projet, d'une vision. "Au premier tour on choisit, au second on élimine", oublier cela c'est aggraver la bipolarisation faite pour canaliser les déçus et pour se succéder en alternance, et qui, si elle devenait systématique, constituerait «un recul de la démocratie»(Philippe Breton).

(1)La Tragédie du Président, scènes de la vie politique 1986-2006 - Flammarion

(2)Mémoires - tome V de la Pléiade chez Gallimard

02/04/2012

Vox populi, vox Dei ?

«Quand les Français veulent s'informer, 71 % d'entre eux recourent à la télévision contre 26 % à la presse écrite. Mais il y a plus important : chaque soir, entre quinze et vingt millions de téléspectateurs sont devant leur poste pour regarder les journaux télévisés entre 19 h 30 et 20 h 30. Et, pour trois Français sur quatre, ce sera leur seule source d'information. (...) La démocratie est passée sous l'influence de la télévision.»

Jean-Marie Cotteret décrivait clairement la situation qui va s'aggravant depuis l'arrivée des médias de masse dans les années 60. Membre de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), professeur émérite à la Sorbonne et auteur notamment de La démocratie télé-guidée (Michalon), celui-ci s'exprimait dans Constructif datée de février 2007, la remarquable publication éditée par la Fédération française du bâtiment.

«Un demi-siècle plus tard, poursuivait-il, on retrouve des citoyens désabusés, des hommes politiques dévalorisés, un intérêt général pulvérisé, un discours uniformisé et une volonté nationale communautarisée.» Et encore plus inquiétant, une «légitimité cathodique» concurrence la «légitimité électorale», la télévision «donnant du pouvoir à ceux qui savent l'utiliser», s'arrogeant ainsi le droit d'influer, de faire plier la «volonté générale parlementaire».

Une dérive dangereuse pour Jean-Marie Cotteret. «Dans la démocratie telle que nous la connaissons depuis la Grèce, trois éléments conditionnent le rapport autorité/obéissance entre les gouvernants et les gouvernés. La durée d'abord : la politique a besoin du passé, du présent et de l'avenir. La raison ensuite : la conviction doit l'emporter sur la séduction. La recherche de la vérité enfin, seul but ultime de la démarche démocratique.»

La télévision obéit à des normes opposées. L'instant, l'émotion et le vraisemblable la régissent et empêchent toute réflexion approfondie, continue et honnête. «Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l'information s'accélère, se multiplie et se banalise. La télévision, c'est une activité sans mémoire» disait Patrick Le Lay, alors PDG de TF1*.

Sous le règne du pathos, la télévision et la vox populi (l'opinion du plus grand nombre, de la masse) indiquent les comportements conformes, à suivre sous peine de réprobation ou de mépris. Mais on ne peut se fier à "l’opinion publique" pour établir la vérité d'un fait, la valeur d'une chose. Reste donc une option : faire usage du temps et de la raison pour approcher la vérité, faire entendre une autre voix et braver l'opinion quoi qu'il en coûte.

* Les dirigeants face au changement – Les associés d’EIM – Les éditions du huitième jour