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16/06/2020

Ne pas tomber plus bas encore (Aux origines de la télé-poubelle)

On n'arrête pas le progrès. Au printemps 2001, la télévision nous offrait le spectacle de jeunes écervelés, cobayes volontaires d'une expérience qui allait faire date dans l'histoire de la psychologie de bistrot : Loft Story. L'on pouvait remarquer que le titre même de cette émission promettait des "love stories" torrides dans cette nauséeuse promiscuité de chambrée, entre camarades et caméras.

Quoi de choquant, disaient certains, puisqu'ils sont consentants ? Et puis, l'étalage de la vie privée, véritable ressort à audimat, n'en finissait pas de s'étendre à l'espace public. Cet exhibitionnisme, autrefois réservé aux artistes, se généralisait par les médias et trouvait des alliés de poids avec les nouvelles technologies de l'information et de la communication (téléphone portable, internet...).

De même, quoi de choquant dans la démarche de ces candidats à la richesse et à la célébrité ? L'exemple de l'arrivisme de certaines de nos "élites" venait donner des idées à tous ceux, moins doués, qui souhaitaient s'élever dans l'échelle sociale. Quant à la pornographie larvée, elle s'insinuait et se banalisait un peu plus chaque jour dans une société indifférente ou complice.

Nous étions bien entendu très loin d'un retour à l’"Ordre moral" régulièrement invoqué sur un mode alarmiste par des partisans de la licence des mœurs. Nous n'étions même plus dans l'immoralité, car cela aurait supposé l'existence d'une norme morale. Non, nous étions dans l'amoralité. Chaque individu arrangeant sa propre morale, sans référence aucune, et claironnant : «C'est mon choix !».

Il aurait fallu bien sûr réfléchir sur notre curiosité malsaine, ce voyeurisme caressé dans le sens du poil par des médias sans scrupules. Il aurait fallu également examiner de plus près cette vraie-fausse réalité, où des gens soi-disant  "comme tout le monde" simulaient, paradaient ou se donnaient en spectacle ; la représentation de leur "tranche de vie" de composition, livrée en pâture sous l'estampille illusoire "real TV".

Il aurait fallu aussi analyser cette "télé-poubelle" : miroir de notre nature humaine, hélas dans ses aspects les plus affligeants. Il aurait fallu surtout poser le principe de la dignité de la personne humaine, car c'était bien cela qui était en jeu, le respect de soi, de son intimité, de son intégrité physique et psychique. Et si progrès il n'y avait pas, il aurait fallu arrêter l'escalade, juste pour ne pas tomber plus bas encore.

21/11/2014

Lire pour "lire au-dedans de la réalité"

Comment "bien juger" ? c'est-à-dire avoir du discernement, «soit, comme l'écrit Frédéric Schiffter, une capacité de lire "clairement et distinctement" au-dedans de la réalité afin qu'on en retire quelque savoir et, si possible, quelque moyen de s'y repérer - mais aussi une capacité qui suppose de faire violence à notre esprit spontanément enclin à se vautrer dans les valeurs, les préjugés et les croyances qui saturent la réalité de sens».

Ce professeur de philosophie dans son livre Pensées d'un philosophe sous Prozac paru aux éditions Milan, pense que «Chercher à lire au-dedans de la réalité, alors qu'elle se présente - ou qu'on nous la présente - comme lisible, est (...) ce qu'on appelle l'intelligence (...)». Et pour y parvenir, il ne voit qu'un moyen : la lecture, mais pas n'importe laquelle, celle principalement des auteurs qui obligent à «penser contre soi-même».

Mais ces auteurs, philosophes, penseurs, historiens, sociologues, grands romanciers notamment, exigent un préalable : savoir lire. Or, «le livre (...) se voit destitué de sa suprématie en son propre royaume» : l'école. «Considéré naguère comme la voie royale menant au savoir, voilà le livre pour cela même rabaissé au statut de simple "support écrit" à égalité de prestige avec les autres "supports" - audio-visuels, informatiques - (...)».

«Dès lors, la lecture qui implique (...) solitude, silence, effort personnel de compréhension, devient suspecte d'élitisme et d'incivisme. Un lycéen qui s'élève au-dessus de son âge par le plaisir intelligent de la lecture, se voit accusé par ses congénères, préférant barboter dans la jubilation cucul de la fête, de vouloir s'élever au-dessus d'eux.» C'est vrai pour tout lecteur auquel on reproche l'ampleur de vision qu'on n'a pas. Mais la faute à qui ?

«S'isoler pour lire», «se cultiver», à quoi cela sert-il quand on peut communiquer ou s'informer ? «Par nature individuelle, la culture par le livre singularise ; s'adressant à tous, l'information par l'écran socialise. L'important, c'est de participer.» Se préparer à la vie en entreprise, c'est apprendre à travailler en groupe, utiliser les nouvelles technologies de l'information et de la communication, le tout en français sommaire, franglais ou "basic english".

«La mémoire historique», le «logos» ("la Raison humaine incarnée par le langage"), «l'imagination» se dissipent. On ne lit plus, on surfe, on survole ; on n'écrit plus, on pianote, on tapote ; on ne converse plus, on "parlote", on papote. «Ainsi branchées sur toutes les formes d'intelligence artificielle et virtuelle, les jeunes cervelles peuvent-elles se déconnecter sans le moindre complexe du seul site de l'intelligence réelle : le livre.»