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09/11/2018

La France telle qu'elle est (2)

Il y a trois jours nous consultions le premier de deux livres parus en 1994 et 1995, qui avaient eu leur heure de gloire. Passons au second avant de dévoiler les titres et leur auteur ou signataire. Celui-ci enfonce le clou. «Le peuple a perdu confiance. Son désarroi l'incline à la résignation ; il risque de l'inciter à la colère. Plus de la moitié de la population française n'est ni entendue, ni défendue» affirme-t-il avant de s'alarmer.

A force d'être ignorés, «Les ouvriers, les employés, les cadres, les professions intermédiaires, trame de notre tissu social et forces vives de notre pays, peuvent être sensibles aux sirènes de la démagogie». Et puis, «Cinq millions de nos compatriotes vivent dans la précarité ; des centaines de milliers de jeunes cherchent en vain de quoi nourrir ce qui leur reste d'espérance. Les pauvres s'appauvrissent, les bas salaires stagnent.

«Les commerçants, les artisans, les professionnels libéraux, les petits patrons connaissent des difficultés croissantes. De plus en plus de ménages ont du mal à payer leur loyer ou à rembourser leurs emprunts (...). Dans certaines banlieues délabrées des grandes villes, des zones entières sont hors la loi. (...) Trop de Français se sentent incompris et dédaignés. Ils ont peur (...). Chacun sait que la peur entraîne la paralysie.»

«Tandis qu'augmente chaque jour le nombre des exclus, des spéculateurs s'enrichissent, des privilégiés étalent leur vénalité et des clans de circonstance nourrissent des ambitions inavouées, virtuelles ou aléatoires qui occultent sciemment une réalité de plus en plus sombre.» «Au lieu de gouverner, les hommes politiques se sont mis à communiquer en vase clos. Ils ont pris la pose devant les miroirs déformants des médias.»

«Une esthétique du pouvoir a remplacé l'exercice du pouvoir, concédé à (...) des experts technocratiques, des analystes financiers, des éminences lovées dans des cabinets ministériels (...).» «Le peuple est devenu l'oublié d'une démocratie du simulacre et de l'apparence (...). Quand le pouvoir politique abdique, le doute s'empare vite de l'opinion ; les intérêts privés, l'air du temps, les coteries font la loi, les corporatismes se réveillent (...).»

L'auteur ou signataire appelle à la lucidité : «nous sommes à la merci d'une explosion sociale qui peut intervenir sans délai» si ne s'opère pas «une reprise en main du pouvoir par le politique». Vingt-quatre années plus tard, cet "état des lieux" n'a pas pris une ride. Alors donnons d'abord les titres de ces deux ouvrages : Une nouvelle France et La France pour tous. Quant au nom inscrit en haut de la couverture : Jacques Chirac.

21/11/2014

Lire pour "lire au-dedans de la réalité"

Comment "bien juger" ? c'est-à-dire avoir du discernement, «soit, comme l'écrit Frédéric Schiffter, une capacité de lire "clairement et distinctement" au-dedans de la réalité afin qu'on en retire quelque savoir et, si possible, quelque moyen de s'y repérer - mais aussi une capacité qui suppose de faire violence à notre esprit spontanément enclin à se vautrer dans les valeurs, les préjugés et les croyances qui saturent la réalité de sens».

Ce professeur de philosophie dans son livre Pensées d'un philosophe sous Prozac paru aux éditions Milan, pense que «Chercher à lire au-dedans de la réalité, alors qu'elle se présente - ou qu'on nous la présente - comme lisible, est (...) ce qu'on appelle l'intelligence (...)». Et pour y parvenir, il ne voit qu'un moyen : la lecture, mais pas n'importe laquelle, celle principalement des auteurs qui obligent à «penser contre soi-même».

Mais ces auteurs, philosophes, penseurs, historiens, sociologues, grands romanciers notamment, exigent un préalable : savoir lire. Or, «le livre (...) se voit destitué de sa suprématie en son propre royaume» : l'école. «Considéré naguère comme la voie royale menant au savoir, voilà le livre pour cela même rabaissé au statut de simple "support écrit" à égalité de prestige avec les autres "supports" - audio-visuels, informatiques - (...)».

«Dès lors, la lecture qui implique (...) solitude, silence, effort personnel de compréhension, devient suspecte d'élitisme et d'incivisme. Un lycéen qui s'élève au-dessus de son âge par le plaisir intelligent de la lecture, se voit accusé par ses congénères, préférant barboter dans la jubilation cucul de la fête, de vouloir s'élever au-dessus d'eux.» C'est vrai pour tout lecteur auquel on reproche l'ampleur de vision qu'on n'a pas. Mais la faute à qui ?

«S'isoler pour lire», «se cultiver», à quoi cela sert-il quand on peut communiquer ou s'informer ? «Par nature individuelle, la culture par le livre singularise ; s'adressant à tous, l'information par l'écran socialise. L'important, c'est de participer.» Se préparer à la vie en entreprise, c'est apprendre à travailler en groupe, utiliser les nouvelles technologies de l'information et de la communication, le tout en français sommaire, franglais ou "basic english".

«La mémoire historique», le «logos» ("la Raison humaine incarnée par le langage"), «l'imagination» se dissipent. On ne lit plus, on surfe, on survole ; on n'écrit plus, on pianote, on tapote ; on ne converse plus, on "parlote", on papote. «Ainsi branchées sur toutes les formes d'intelligence artificielle et virtuelle, les jeunes cervelles peuvent-elles se déconnecter sans le moindre complexe du seul site de l'intelligence réelle : le livre.»

31/10/2014

La raison contre tout le monde

Une tribune libre d'un professeur certifié de philosophie, Michael Smadja, dans Le Monde en 2007 nous parlait plus de notre société que beaucoup d'études savantes. «Les érudits tricotent les chaussettes de l'esprit» disait Nietzsche ; manière délicate d'habiller les "rats de bibliothèque" pour l'hiver. L'accumulation de connaissances peut en effet encombrer le cerveau. D'où dans une "économie de la connaissance", la petite place faite à la pensée.

Pour ce jeune professeur, le constat est amer : «Les enseignants de philosophie sont désormais dans une position parfaitement réactionnaire face à l'institution scolaire et face à la société tout entière». «Ils ont le sentiment d'affronter un univers entier d'ignorance, d'approximation et de non-sens, soutenu par une idéologie générale de la subjectivité.» Et «s'accrochent (...) à un savoir, à des formes et à un langage qui n'ont, paraît-il, plus cours».

Mais, écrit-il, «l'exercice de la raison est à ce prix, celui d'une expression écrite et orale précise, appuyée sur une culture étendue. Il n'y a pas de raison en acte dans l'obscurité d'un langage sommaire, ni dans la clarté blême d'un monde sans passé». Les voilà donc ces professeurs de philosophie dans le mauvais rôle, "dos au mur" avec ceux de lettres et d'histoire, à «défendre la culture en général, les livres, l'histoire, le sens lui-même».

«Les défendre contre (...) l'idéologie individualiste et matérialiste, la séduction (...) des produits de divertissement, tous les moyens de communiquer du néant à la vitesse de la lumière.» De plus, «l'école ne veut plus former des citoyens éclairés par l'apprentissage de l'inutile. Elle fabrique des ingénieurs efficaces et des cadres soumis, et pour le reste, des serfs plus ou moins enthousiastes à l'idée de remplir des tâches vides de sens».

Les professeurs de philosophie doivent donc déployer des trésors d'imagination pour séduire, provoquer l'étonnement et «démontrer les contradictions de ce monde devant des esprits élevés au nihilisme qu'aucune contradiction ne déstabilise plus». «La raison est un effort de l'esprit pour emprunter un chemin qui n'est pas la pente naturelle de l'individu, et qui le contraint à s'élever plus haut que lui-même» «pour observer le monde». Effort surhumain ?

Effort nécessaire. «Devenir un citoyen, c'est cesser de n'être qu'un individu en lutte pour lui-même. Devenir un être moral, c'est cesser de n'agir que pour son intérêt. Devenir un être humain, c'est s'élever au-dessus de l’immédiateté et de la satisfaction facile de toute pulsion. Voilà qui n'est pas très libéral (...). Eh bien c'est cette possibilité de devenir autre chose que ce que l'on est, d'être autre chose qu'un produit, qui est en péril aujourd'hui.»