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26/09/2019

La force injuste de l'arbitraire

Dans un monde où il s'agit non d'être honnête mais de ne pas se faire prendre, la multiplication des affaires politico-financières début des années 2000 aurait dû tendre à prouver que le "crime" ne paie pas. Erreur. Eva Joly dans son livre Notre affaire à tous aux Éditions des Arènes, n'y allait pas par quatre chemins : «Plus de 95 % de ces délits sont impunis. (...) je pensais que nous avions affaire à une criminalité de surface, marginale, accidentelle - une sorte de défaut de morale individuelle. J'ai la certitude aujourd'hui que la délinquance financière est incrustée dans l'économie et qu'elle jette une ombre sur notre avenir.»

Et le premier juge d'instruction d'alors au tribunal de grande instance de Paris d'enfoncer le clou : «Les pouvoirs publics n'ont jamais encouragé les enquêtes. Nos Gardes des Sceaux successifs ont même déployé des trésors d'invention pour contenir le flot des "affaires" (...)». L'impuissance de la justice, tel est le constat. On est très loin d'une République des Juges parfois évoquée par certains décideurs ou faiseurs d'opinion qui tentent d'instiller la peur de ces «petits juges» comme ils disent, ajoutant le mépris des personnes au mépris de la loi. Alors que cette dernière est aujourd'hui le seul rempart face à la force injuste de l'arbitraire.

«La pire des réponses, poursuivait Eva Joly, serait le silence ou l'amnistie (...). Notre collègue Jean-François Burgelin, lorsqu'il était procureur général de la cour d'appel de Paris, expliquait que les instructions financières créent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent. Et l'un des plus hauts magistrats de France, Pierre Truche, renchérissait : "(...) Il faut savoir, dans l'intérêt national, arrêter ce processus dévastateur en tournant la page d'une façon acceptée par l'opinion publique".» Alors que, comme le rappelait Eva Joly, «A l'inverse de ce que l'on voudrait faire croire à l'opinion, les instructions déclenchées ces dernières années concernent essentiellement des soupçons d'enrichissement personnel et non de financement politique».

Qu'à cela ne tienne ! La machine à enterrer, à blanchir et à manipuler est en marche. Méfiance et vigilance donc. Qui plus est, analysait Eva Joly, quand : «La médiatisation à outrance [enseignée dans des écoles de communication] permet aux personnes mises en cause de se présenter systématiquement en victimes. Par un retournement mécanique, le témoin courageux finit par apparaître comme un délateur, le policier comme un inquisiteur et le juge comme un justicier. Dans le brouhaha, l'essentiel se noie dans l'anecdote. Au bout du compte, l'opinion se lasse et n'y comprend plus rien».

Alors Eva Joly citait Albert Camus qui écrivait dans La peste : «A partir de ce moment, il est possible de dire que la peste fut notre affaire à tous. (...) nous nous trouvions dans une situation sans compromis, et (...) les mots "transiger", "faveur", "exception" n'avaient plus de sens». Presque vingt ans plus tard, ce sont les compromissions qui frappent : les affaires battent leur plein mais d'affaires, il n'y en a plus beaucoup dans les tribunaux. Le magistrat Jean de Maillard allait même plus loin dans son livre L'arnaque paru en 2010 aux éditions Gallimard. Pour lui, «la fraude est devenue tantôt une variable d'ajustement de l'économie et de la finance, tantôt même un mode de gestion de ces dernières». L'«ombre sur notre avenir» n'est pas près de se lever, car si la corruption a étendu son ombre, c'est d'abord parce que les esprits ont été corrompus.

21/11/2014

Lire pour "lire au-dedans de la réalité"

Comment "bien juger" ? c'est-à-dire avoir du discernement, «soit, comme l'écrit Frédéric Schiffter, une capacité de lire "clairement et distinctement" au-dedans de la réalité afin qu'on en retire quelque savoir et, si possible, quelque moyen de s'y repérer - mais aussi une capacité qui suppose de faire violence à notre esprit spontanément enclin à se vautrer dans les valeurs, les préjugés et les croyances qui saturent la réalité de sens».

Ce professeur de philosophie dans son livre Pensées d'un philosophe sous Prozac paru aux éditions Milan, pense que «Chercher à lire au-dedans de la réalité, alors qu'elle se présente - ou qu'on nous la présente - comme lisible, est (...) ce qu'on appelle l'intelligence (...)». Et pour y parvenir, il ne voit qu'un moyen : la lecture, mais pas n'importe laquelle, celle principalement des auteurs qui obligent à «penser contre soi-même».

Mais ces auteurs, philosophes, penseurs, historiens, sociologues, grands romanciers notamment, exigent un préalable : savoir lire. Or, «le livre (...) se voit destitué de sa suprématie en son propre royaume» : l'école. «Considéré naguère comme la voie royale menant au savoir, voilà le livre pour cela même rabaissé au statut de simple "support écrit" à égalité de prestige avec les autres "supports" - audio-visuels, informatiques - (...)».

«Dès lors, la lecture qui implique (...) solitude, silence, effort personnel de compréhension, devient suspecte d'élitisme et d'incivisme. Un lycéen qui s'élève au-dessus de son âge par le plaisir intelligent de la lecture, se voit accusé par ses congénères, préférant barboter dans la jubilation cucul de la fête, de vouloir s'élever au-dessus d'eux.» C'est vrai pour tout lecteur auquel on reproche l'ampleur de vision qu'on n'a pas. Mais la faute à qui ?

«S'isoler pour lire», «se cultiver», à quoi cela sert-il quand on peut communiquer ou s'informer ? «Par nature individuelle, la culture par le livre singularise ; s'adressant à tous, l'information par l'écran socialise. L'important, c'est de participer.» Se préparer à la vie en entreprise, c'est apprendre à travailler en groupe, utiliser les nouvelles technologies de l'information et de la communication, le tout en français sommaire, franglais ou "basic english".

«La mémoire historique», le «logos» ("la Raison humaine incarnée par le langage"), «l'imagination» se dissipent. On ne lit plus, on surfe, on survole ; on n'écrit plus, on pianote, on tapote ; on ne converse plus, on "parlote", on papote. «Ainsi branchées sur toutes les formes d'intelligence artificielle et virtuelle, les jeunes cervelles peuvent-elles se déconnecter sans le moindre complexe du seul site de l'intelligence réelle : le livre.»

05/04/2013

Le renouveau de la Terre

Malgré un hiver persistant, c'est le printemps officiellement depuis quinze jours. Et tout le monde s'est mis à rêver de chaleur, de fleurs, de couleurs, de senteurs, de verdeur. Déjà les jours plus longs laissent présager ces merveilleuses soirées qui s'éternisent au son des stridulations des grillons ou des cigales. Déjà la lumière plus vive nous transperce de ses ondes bienfaisantes.

Le printemps est la période de l'épanouissement. De la végétation certes, mais aussi des êtres que nous sommes, qui vivons alors une véritable renaissance. Le soleil qui s'élève dans le ciel rayonne sur nous et nous voici tout à coup plus enjoués, plus enthousiastes, plus confiants. Et même si une hirondelle ne fait pas le printemps, nous ne voyons qu'elle, cet oiseau de bon augure, ce messager d'une bonne nouvelle : la nuit et le froid sont vaincus.

Au printemps de notre vie, toutes les saisons étaient "bonnes à prendre". Maintenant que les boutons sont loin, nous préférons le temps des bourgeons, espoir d'un nouvel été. Combien d'hommes de la terre aiment ainsi regarder pousser l'herbe des prairies, les cultures dans les champs... Le cycle des saisons reste un sujet d'émerveillement et presque de recueillement. La splendeur, le mystère de la nature et de la vie incitent à la contemplation et au silence.

Le spectacle de la création, toujours le même et toujours différent, a ceci de divin qu'il nous élève vers l'absolu. De toutes nos inventions, laquelle dépasse en perfection l'univers qui nous entoure et nous-mêmes ? Et si nous ne sommes rien, poussières dans l'espace céleste, nous sommes uniques, précieux et sacrés : les seuls conscients de l'existence d'un monde où la vie est apparue et s'est développée quasi miraculeusement.

Au printemps de la vie, tout était-il déjà là en puissance, voire en projet ? Si le doute persiste quant à un sens de l'évolution, on ne peut que constater le foisonnement des formes de vie et leur complexité croissante jusqu'à nous : les seuls responsables du devenir d'une planète qui devrait demeurer le plus inviolable des sanctuaires. Avec ses cinq milliards de printemps, la Terre n'en finit pas de nous faire vivre, de nous éblouir et enfin de nous accueillir pour y reposer. Nous venons de la terre et nous y retournons. Nous le rappeler ferait vraiment de ce printemps une période de renouveau.