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25/09/2012

Libéré du regard des autres

Le Prix Goncourt 2002 n'avait pas fait l'unanimité. Avec Les ombres errantes, Pascal Quignard inaugurait une fresque qu'il a intitulée Dernier royaume dont le tome VII vient de paraître chez Grasset : Les désarçonnés. D'une lecture ardue, dans un style ramassé, par petits paragraphes, il assemble depuis dix ans les pièces d'un puzzle qui n'est autre que sa vision de notre monde en déshérence.

Visitant notre héritage, Pascal Quignard remonte aux origines. Il le fait comme libéré de toute contrainte. Ce qui fait l'originalité de son œuvre en construction. Dans Les ombres errantes, il donne une piste pour comprendre sa démarche solitaire : «Je me renouvelle de jour en jour dans la nécessité d'imiter les œuvres des Anciens». Ce qui va bien au delà de faire du neuf avec du vieux, ou d'une mode.

Le magazine Lire le rencontrait pour un entretien en septembre 2002. Et soulignait dès le début, son anxiété à l'idée de parler. L'écrivain répondait alors : «Parler, c'est faire figure. Ecrire, c'est disparaître». Faire figure, c'est-à-dire : "Jouer un personnage important, tenir un rang". Les meneurs d'ailleurs ne sont-ils pas avant tout pour la plupart, et entre autres qualités, des (beaux) parleurs ?

«Ne pas être doué pour le langage», comme «se désolidariser du groupe», c'est quitter une société de l'image et de la reconnaissance de soi. Car, au-delà des apparences, la nature de l'homme est, selon Pascal Quignard, dans le repliement, la retraite, l'effacement. Non pas se renfermer en soi, mais s'ouvrir à soi, un soi débarrassé des oripeaux de l'identité, de la réussite, de la vie sociales.

«On fait beaucoup de choses, toute sa vie, pour le regard de ceux qui nous ont engendrés (...), expliquait Pascal Quignard. Or il y a une vie plus ancienne que la vie ambitieuse ou amoureuse, une solitude avant la vie sociale (...). Il a fallu plusieurs années (...) avant que le tribunal des autres me quitte (...). Là, maintenant, je me tiens, seul, en l'absence totale de regard.»Tourné vers l'homme originel.

Ne pas chercher à, ou ne plus jouer un rôle social, ne pas briguer les honneurs, serait-ce là la vraie liberté ? Mais c'est peut-être aussi un luxe que beaucoup ne peuvent se payer. Préférer le recueillement au divertissement, la réflexion à l'étourdissement de l'action. Refuser le paraître pour être, en vérité. Etre à la fois du monde et hors du monde. Entre présence et absence. Entre lucidité et oubli. Le rêve ! pour Pascal Quignard.

14/09/2012

Un pape à rebours de l'évolution générale

Huit ans déjà : les jeux étaient faits à Athènes comme à Lourdes où les premières paroles du pape Jean-Paul II à Jacques Chirac furent : «Il fallait que je revienne à Lourdes avant de mourir». Lui «le sportif de Dieu» comme l'avait surnommé le cardinal Marty, achevait son itinéraire sur la Terre en fauteuil roulant parmi "les fauteuils roulants". Et faisait de son chemin de croix un témoignage de combat en faveur de tous les «blessés de la vie».

Que l'on partageait ou non sa foi et sa morale, ce pape forçait le respect. Il était de «Ceux qui luttent contre leur époque et nagent à contre-courant» comme l'écrivait André Maurois. Pour cela et ceux-là, la punition ne tarde pas en "démocratie" : Seuls sont les indomptés. Et le philosophe de gauche Marcel Gauchet le reconnaissait : «La communauté catholique est la seule minorité persécutée, culturellement parlant, dans la France contemporaine».

Mais Jean-Paul II persistait : «Soyez des femmes et des hommes libres ! Défendez votre liberté !». Au moment de l'ouverture des Jeux olympiques et alors que les caméras du monde entier se braquaient sur la perfection et les performances physiques des dieux du stade, un homme de Dieu, vieux, fatigué et souffrant, exhortait à vivre "dans le sens contraire de la tendance générale" : ce "Plus vite, plus haut, plus fort !" stérile.

Et là, devant pas loin de 300 000 personnes - c'est-à-dire bien plus que dans toute grand-messe politique, syndicale, culturelle ou sportive -, devant de nombreux malades et handicapés, il ajoutait : «Je lance un appel pressant pour que vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir pour que la vie, toute vie, soit respectée depuis la conception jusqu'à son terme naturel. La vie est un don sacré, dont nul ne peut se faire le maître».

Mais comment résister au courant ? Saturé du tumulte de la vie actuelle, cerné par toutes sortes de sollicitations, l'homme peut être amené à "suivre, être entraîné par le courant". Telle une vigie, le pape indiquait les dévoiements et les "facilités" selon lui de notre temps, et des lignes de conduite exigeantes : «Le bien ne fait pas de bruit, la force de l'amour s'exprime dans la tranquille discrétion du service quotidien». Sans parader.

Avant sa venue en France, Jean-Paul II avait d'ailleurs encouragé à renouer avec le silence, car «Les multiples occasions de relations et d'information qu'offre la société moderne risquent d'enlever tout espace au recueillement au point de rendre les gens incapables de réfléchir (...)». François Mauriac avait peut-être raison : «Le monde est finalement sauvé par un petit nombre d'hommes et de femmes qui ne lui ressemblent pas».

11/09/2012

Exceptionnel ! Profitez-en !

Avez-vous remarqué que tout était exceptionnel de nos jours ? Je vous passe les prix exceptionnels et autres offres ou remises exceptionnelles qui se répètent à longueur d'année. Pratique commerciale bien connue qui consiste à nous faire croire que la soi-disant promotion chargée de réduire les stocks ne se reproduira pas de si tôt et qu'il faut en profiter - l'autre grande expression de notre société de consommation - c'est-à-dire acheter même si ce n'est pas nécessaire.

Plus inquiétante est l'extension de ce "marketing à la petite semaine". La télévision vend ses émissions exceptionnelles, les agences immobilières des situations exceptionnelles, la météo des conditions exceptionnelles, les experts des circonstances exceptionnelles, le gouvernement des mesures exceptionnelles, les magazines des réussites exceptionnelles, etc. Sans parler de l'exception française.

Exceptionnel est un mot magique qui permet de vendre tout et surtout n'importe quoi. Le mot attire ou rassure suivant le cas. Si un événement est exceptionnel, c'est soit qu'il est intéressant, avantageux et il s'agit de saisir l'occasion, soit qu'il est rarissime, extraordinaire et il s'agit de se tranquilliser en soulignant son caractère accidentel.

L'on nous exhorte ainsi à croire que l'exception confirme la règle dans ce sens qu'il n'y aurait pas d'exception s'il n'y avait pas de règle. Mais si les conventions faisaient qu'il n'y avait pas ou plus de règle absolue, de règle sans exception. Si la règle était de faire exception. Et si l'exception devenait la règle. La relativisation, la banalisation, la généralisation, voilà ce qui guette l'exception. Et tout à coup, ce qui était exceptionnel devient régulier, habituel et finalement normal.

Certains médias ne sont pas étrangers à ce processus de normalisation. Par leur volonté de sortir de l'ordinaire voire d'influer sur les opinions et les comportements, ils focalisent sur ce qui est original, remarquable, insolite, mais aussi sur ce qui est marginal, déviant, extrême. A vouloir vendre de l'exceptionnel pour ne pas dire du sensationnel à tout prix, le risque est de faire de l'information un produit de consommation courante dont le lecteur-auditeur-téléspectateur-voyeur ne tire en définitive aucun profit.

Mais si l’on ne vend pas de journaux en parlant des trains qui arrivent à l’heure, rassurons-nous en nous disant que leur ponctualité pourrait devenir exceptionnelle. En attendant, il vous reste ce blog exceptionnel ; profitez-en et bonne lecture !