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28/02/2014

Un homme qui n'est plus "habité"

Nous évoquions tantôt David Riesman, l'auteur du livre dont le titre complet est La Foule solitaire, anatomie de la société moderne. Philippe Breton, alors sociologue, chercheur au CNRS et enseignant à la Sorbonne, y faisait référence dans son ouvrage La Parole manipulée paru aux éditions La Découverte en 1997. Il y relevait que le sociologue américain avait vu dès les années cinquante l'apparition d'un "homme d'une espèce nouvelle".

«(...) Il oppose l'individu traditionnel, "intra-déterminé", à l'homme moderne "extro-déterminé". Celui-ci ne dispose plus, pour reprendre les métaphores de Riesman, d'un "gyroscope intérieur", réglé par sa famille et son groupe social, et qui lui sert de guide de comportement défini a priori, mais plutôt d'un "radar" qui lui permet de traiter l'information reçue de l'extérieur et de s'y adapter d'une façon assez conformiste.

«L'individu extro-déterminé a un comportement presque entièrement influencé par l'extérieur, ce que pensent les autres, le jugement des "gens qui comptent". C'est un être entièrement social, réagissant aux réactions d'autrui, qui est loin de considérer comme une entrave à sa liberté toutes les incitations qu'il reçoit du monde environnant. Au contraire, il a tendance à considérer celles-ci avec soulagement (...).»

Car ainsi "au courant", l'individu peut s'orienter et agir en conséquence. "Un homme averti en vaut deux." "Branché", "Câblé", il reste en phase avec son temps. "A la page", il adopte "la marche à suivre" afin d'obtenir ce qu'il veut ; et toujours "regarde de quel côté souffle le vent" pour rester "dans le vent". De ce fait, Philippe Breton décrit «l'homme moderne de la société de communication, comme un "être sans intérieur" (...)».

Ouvert aux quatre vents, il n'a plus d'ancrage. Il flotte au gré des flots, tourne à tous les vents ou prend le chemin signalé par des phares et balises, sa boussole interne déréglée. Hors service la coutume ("habitude collective d'agir, transmise de génération en génération") et la morale ("ensemble des règles de conduite considérées comme bonnes de façon absolue") qui avaient l'inconvénient de s'opposer au changement.

La coutume a été remplacée par l'attrait pour la nouveauté qui permet la consommation. Les usages se sont inclinés devant l'utilité et l'efficacité. Il n'y a plus de morale, il n'y a que des circonstances auxquelles il faut s'adapter et dont il faut profiter. Les "Tout ce qui peut être fait, doit être fait" ont succédé aux "Cela ne se fait pas". Et comme le caméléon se fond dans son milieu, l'individu se fond dans la foule, et disparaît.

11/09/2012

Exceptionnel ! Profitez-en !

Avez-vous remarqué que tout était exceptionnel de nos jours ? Je vous passe les prix exceptionnels et autres offres ou remises exceptionnelles qui se répètent à longueur d'année. Pratique commerciale bien connue qui consiste à nous faire croire que la soi-disant promotion chargée de réduire les stocks ne se reproduira pas de si tôt et qu'il faut en profiter - l'autre grande expression de notre société de consommation - c'est-à-dire acheter même si ce n'est pas nécessaire.

Plus inquiétante est l'extension de ce "marketing à la petite semaine". La télévision vend ses émissions exceptionnelles, les agences immobilières des situations exceptionnelles, la météo des conditions exceptionnelles, les experts des circonstances exceptionnelles, le gouvernement des mesures exceptionnelles, les magazines des réussites exceptionnelles, etc. Sans parler de l'exception française.

Exceptionnel est un mot magique qui permet de vendre tout et surtout n'importe quoi. Le mot attire ou rassure suivant le cas. Si un événement est exceptionnel, c'est soit qu'il est intéressant, avantageux et il s'agit de saisir l'occasion, soit qu'il est rarissime, extraordinaire et il s'agit de se tranquilliser en soulignant son caractère accidentel.

L'on nous exhorte ainsi à croire que l'exception confirme la règle dans ce sens qu'il n'y aurait pas d'exception s'il n'y avait pas de règle. Mais si les conventions faisaient qu'il n'y avait pas ou plus de règle absolue, de règle sans exception. Si la règle était de faire exception. Et si l'exception devenait la règle. La relativisation, la banalisation, la généralisation, voilà ce qui guette l'exception. Et tout à coup, ce qui était exceptionnel devient régulier, habituel et finalement normal.

Certains médias ne sont pas étrangers à ce processus de normalisation. Par leur volonté de sortir de l'ordinaire voire d'influer sur les opinions et les comportements, ils focalisent sur ce qui est original, remarquable, insolite, mais aussi sur ce qui est marginal, déviant, extrême. A vouloir vendre de l'exceptionnel pour ne pas dire du sensationnel à tout prix, le risque est de faire de l'information un produit de consommation courante dont le lecteur-auditeur-téléspectateur-voyeur ne tire en définitive aucun profit.

Mais si l’on ne vend pas de journaux en parlant des trains qui arrivent à l’heure, rassurons-nous en nous disant que leur ponctualité pourrait devenir exceptionnelle. En attendant, il vous reste ce blog exceptionnel ; profitez-en et bonne lecture !