03/11/2024
Un homme qui n'est plus "habité"
Il est un livre signé David Riesman, qui avait eu un succès considérable à sa parution et dont le titre évocateur est La Foule solitaire, anatomie de la société moderne. Philippe Breton, alors sociologue, chercheur au CNRS et enseignant à la Sorbonne, y faisait référence dans son ouvrage La Parole manipulée paru aux éditions La Découverte en 1997. Il y relevait que le sociologue américain avait vu dès les années cinquante l'apparition d'un "homme d'une espèce nouvelle".
«(...) Il oppose l'individu traditionnel, "intra-déterminé", à l'homme moderne "extro-déterminé". Celui-ci ne dispose plus, pour reprendre les métaphores de Riesman, d'un "gyroscope intérieur", réglé par sa famille et son groupe social, et qui lui sert de guide de comportement défini a priori, mais plutôt d'un "radar" qui lui permet de traiter l'information reçue de l'extérieur et de s'y adapter d'une façon assez conformiste.
«L'individu extro-déterminé a un comportement presque entièrement influencé par l'extérieur, ce que pensent les autres, le jugement des "gens qui comptent". C'est un être entièrement social, réagissant aux réactions d'autrui, qui est loin de considérer comme une entrave à sa liberté toutes les incitations qu'il reçoit du monde environnant. Au contraire, il a tendance à considérer celles-ci avec soulagement (...).»
Car ainsi "au courant", l'individu peut s'orienter et agir en conséquence. "Un homme averti en vaut deux." "Branché", "Câblé", il reste en phase avec son temps. "A la page", il adopte "la marche à suivre" afin d'obtenir ce qu'il veut ; et toujours "regarde de quel côté souffle le vent" pour rester "dans le vent". De ce fait, Philippe Breton décrivait «l'homme moderne de la société de communication, comme un "être sans intérieur" (...)».
Ouvert aux quatre vents, il n'a plus d'ancrage. Il flotte au gré des flots, tourne à tous les vents ou prend le chemin signalé par des phares et balises, sa boussole interne déréglée. Hors service la coutume ("habitude collective d'agir, transmise de génération en génération") et la morale ("ensemble des règles de conduite considérées comme bonnes de façon absolue") qui avaient l'inconvénient de s'opposer au changement.
La coutume a été remplacée par l'attrait pour la nouveauté qui permet la consommation. Les usages se sont inclinés devant l'utilité et l'efficacité. Il n'y a plus de morale, il n'y a que des circonstances auxquelles il faut s'adapter et dont il faut profiter. Les "Tout ce qui peut être fait, doit être fait" ont succédé aux "Cela ne se fait pas". Et comme le caméléon se fond dans son milieu, l'individu se fond dans la foule. Tournant sur lui-même et accompagnant le mouvement.
16:30 Publié dans Obéissance/Soumission | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : david riesman, la foule solitaire : anatomie de la société moderne, philippe breton, la parole manipulée, éditions la découverte, l'individu traditionnel, l'homme moderne, famille, groupe social, comportement, traiter l'information, conformisme, être entièrement social, liberté, incitations du monde environnant, en phase avec son temps, adopter la marche à suivre, société de communication, être sans intérieur, la coutume, la morale, le changement, l'attrait pour la nouveauté, la consommation, les usages, l'utilité et l'efficacité, les circonstances, s'adapter, en profiter | Facebook |
23/09/2014
Quand l'homme sera-t-il enfin sage ?!
«L'éthologie nous enseigne que, comme tout être vivant (...), l’Homo sapiens obéit à trois pulsions principales : le sexe, le territoire et la hiérarchie.» Ou pour le dire autrement : «la reproduction, la possession et la domination». Le philosophe et écologiste Yves Paccalet explique dans son livre L'Humanité disparaîtra, bon débarras ! chez Arthaud, les raisons de la folie suicidaire qui semble s'être emparée de l'homme moderne.
L'éthologie est la science du comportement, pas du discours. L’Homo sapiens, l'homme dit "sage", "raisonnable", ne l'est guère dans les faits. Yves Paccalet remarque que «l'homme est le seul animal qui s'autodétruit». Et Friedrich Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra, notait : «Partout où j'ai trouvé du vivant, j'ai trouvé de la volonté de puissance ; et même dans la volonté de celui qui obéit, j'ai trouvé la volonté d'être maître».
Cette volonté de puissance nous perdra dit Yves Paccalet. Cette "volonté d'agir sur le monde, d'être plus fort que l'homme moyen, au mépris de la morale", ce "besoin de dominer les gens et les choses" comme l'écrit Le Petit Robert, avec celui de se reproduire, de remplir la Terre et cette "faim d'avoir et de posséder" pourraient nous mener tout droit à la catastrophe écologique, climatique, épidémique, ou nucléaire, biologique, chimique.
A une époque pas si lointaine, conscient des instincts destructeurs de son espèce, l'homme dans sa sagesse apprenait à ses enfants à les dominer. Aujourd'hui, ils sont attisés, en particulier pour favoriser cette "bonne" agressivité qui ferait les bons petits soldats de demain de cette "guerre de tous contre tous" appelée encore concurrence. «La possession et la domination sont élevées au rang de valeurs» constate Yves Paccalet.
Mais quid de l'instinct de conservation "qui, précise Le Petit Larousse, pousse un être, un animal à sauver son existence quand elle est menacée" ? Dans "la lutte pour la vie" qui décide "la survie du plus apte" d'après Charles Darwin, «(...) la force pure ne constitue pas le meilleur argument. Plus efficaces sont le commensalisme, le mutualisme et la symbiose. La stratégie associative. La coopération. La communauté de destins...».
«L'espèce humaine a incarné l'une des plus aptes, parce que l'une des plus sociables. (...) Mais elle dérape. Elle n'est plus adaptée à son environnement» selon Yves Paccalet. Seul espoir et maigre : si la crainte est le commencement de la sagesse, peut-être I'Homo sapiens, ce «cancer de la Terre», ce «bourreau de la nature», prendra peur à temps et réentendra la voix de la sagesse qui conseille "modération et prudence dans la conduite".
10:00 Publié dans Pulsions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : éthologie, science du comportement, homo sapiens, trois pulsions principales, le sexe, le territoire, la hiérarchie, la reproduction, la possession, la domination, yves paccalet, l'humanité disparaîtra bon débarras !, éditions arthaud, folie suicidaire, l'homme moderne, friedrich nietzsche, ainsi parlait zarathoustra, volonté de puissance, volonté d'être maître, mépris de la morale, le petit robert, instincts destructeurs, bonne agressivité, bons petits soldats, concurrence, instinct de conservation, le petit larousse, lutte pour la vie, survie du plus apte, charles darwin, force pure, stratégie associative, coopération, communauté de destins, sociabilité, environnement, peur, sagesse, modération et prudence dans la conduite | Facebook |
04/03/2014
La "dernière idéologie totalitaire"
"II ne changeait pas d'opinion, c'était l'opinion qui changeait en lui (...). D'ailleurs il n'avait pas choisi ses opinions (...), elles lui étaient venues automatiquement, tout comme, loin de choisir un chapeau ou un vêtement, il prenait (...) ce que tout le monde portait. Ainsi le libéralisme était devenu pour lui une habitude et il aimait son journal tout comme il aimait son cigare (...) - à cause de la légère brume qu'il produisait dans son cerveau."
Telle est la description d'un des personnages d'Anna Karénine, le roman de Tolstoï. Les sociologues David Riesman et Philippe Breton, à près de cinquante ans de distance, dans leurs essais respectifs intitulés La Foule solitaire, anatomie de la société moderne (Arthaud) et La Parole manipulée (Editions La Découverte), y voient les prémices de l'homme moderne. Cet homme qui croit disposer de lui-même alors qu'on dispose de lui.
Les changements au fond de lui se font "imperceptiblement et à son insu". Rien n'est imposé, tout est suggéré. Et finalement chacun en vient à faire comme tout le monde. «Dans un tel contexte, écrit Philippe Breton, c'est-à-dire une société qui réclame de ses membres une extrême socialisation, la manipulation (...) renforce les tendances au conformisme et porte en elle les germes d'une société totalitaire d'un nouveau genre.»
«Celle-ci, tout en exaltant la "liberté", enserre ses membres dans les mailles d'un filet toujours plus serré, leur dictant au bout du compte le moindre de leurs comportements.» Dans le droit fil, Bertrand Poirot-Delpech, reprenant les propos de François Barré, remarquait il y a près de dix ans dans Le Monde que la publicité était la "dernière idéologie totalitaire" ; «par son encouragement structurel à un conformisme de masse» ajoute Philippe Breton.
"L'essayer c'est l'adopter". Une fois "le doigt dans l'engrenage", difficile de revenir en arrière. On ne peut plus s'en passer, du moins c'est ce que l'on croit. Et c'est cette croyance et toutes les autres croyances et opinions qui sont entretenues ou modifiées par la "persuasion clandestine" diffusée en boucle. "Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis", peut-être, mais imiter ou répéter n'a jamais été une preuve d'intelligence.
Bertrand Poirot-Delpech écrivait encore dans Le Monde : "La publicité et les spectacles qu'elle impose n'aident pas à s'instruire, à rêver, à choisir librement bonheur et shampooing, à croquer la vie à pleines dents, à être en forme, gagneur, nu sous les tropiques, entouré de top models, de plain-pied avec son temps, etc. Ils changent le citoyen en client sous hypnose et l'esprit critique en machine à s'émouvoir, à compatir, à désirer des produits".
09:38 Publié dans Obéissance/Soumission | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : opinion, libéralisme, habitude, anna karénine, tolstoï, la foule solitaire : anatomie de la société moderne, david riesman, éditions arthaud, la parole manipulée, philippe breton, éditions la découverte, l'homme moderne, changements, rien n'est imposé, tout est suggéré, faire comme tout le monde, socialisation, manipulation, conformisme, société totalitaire, liberté, comportements, bertrand poirot-delpech, françois barré, journal le monde, publicité, croyances, persuasion clandestine, imbéciles, avis, intelligence, citoyen, client sous hypnose, esprit critique, s'émouvoir, compatir, désirer des produits | Facebook |