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16/04/2018

La faute à l'injustice et l'impuissance

Il y a à peu de chose près seize ans, les résultats du premier tour de l'élection présidentielle firent l'effet d'un coup de tonnerre. Souvenons-nous.

 

Alors que tout démocrate aurait dû s'incliner devant le verdict des urnes tout en recherchant des réponses, pas seulement électoralistes, aux raisons profondes d'un tel vote pour les extrêmes et d'une telle abstention, de partout ne résonnèrent qu'anathèmes et slogans. Plus que les résultats du premier tour, n'était-ce pas les réactions à leur annonce qui soulignaient l'extrême fragilité de notre démocratie ?

Nous avons ainsi pu voir des manifestants, jeunes pour la plupart, croyant défendre la démocratie en danger. Mais aussi des journalistes inquisiteurs affichant ostensiblement leur opinion. Et puis des moralisateurs désignant à la vindicte publique les "responsables". Sans oublier de "courageux" corps intermédiaires volant au secours de la victoire de Jacques Chirac au second tour.

Et que dire de la plupart des politiques qui plutôt que de tirer les enseignements du scrutin, repartirent dans leurs officines pour tenter les mêmes "rafistolages" qui les discréditent un peu plus à chaque élection ?! Résultat, après un premier tour sans réel débat, un second tour court-circuité et de grandes manœuvres pour des Législatives qui virent comme de bien entendu la gauche revenir dans la partie.

Les mots ronflants, les manifestations arrogantes, les simplifications grossières parvinrent-ils pour autant à masquer le vide de ce cinéma démocratique ? Non. Il ne suffisait pas de se donner bonne conscience à peu de frais, il s'agissait de prendre toute la mesure de la révolte exprimée par le vote en faveur des extrêmes (plus d'un tiers des votants), amplifié par l'abstention (près d'un tiers des inscrits).

Déçus, écœurés ou blasés, ces électeurs avaient-ils fini par se détourner d'une classe politique qui s'était détournée d'eux et ne leur reconnaissait plus vraiment la qualité de citoyen ? C'est en effet dans cette reconnaissance que s'affermit la démocratie, qui ne peut être une chasse gardée pour "apparatchiks", initiés ou gens arrivés, qui s'érigèrent  un peu facilement à l'époque en "pères la morale républicaine".

Mais ces électeurs désemparés disaient peut-être autre chose encore, et continuent de le dire aujourd'hui, sans qu'on les écoute davantage. Et si c'était que ce monde qui se construit et "réussit" sans eux, leur paraît étranger et hostile, qu'ils voient leur vie leur échapper, et la situation échapper à ceux censés la maîtriser ? Faisons attention à ces sentiments d'injustice et d'impuissance qui ne cessent de monter. N'y ajoutons pas le mépris.

04/03/2014

La "dernière idéologie totalitaire"

"II ne changeait pas d'opinion, c'était l'opinion qui changeait en lui (...). D'ailleurs il n'avait pas choisi ses opinions (...), elles lui étaient venues automatiquement, tout comme, loin de choisir un chapeau ou un vêtement, il prenait (...) ce que tout le monde portait. Ainsi le libéralisme était devenu pour lui une habitude et il aimait son journal tout comme il aimait son cigare (...) - à cause de la légère brume qu'il produisait dans son cerveau."

Telle est la description d'un des personnages d'Anna Karénine, le roman de Tolstoï. Les sociologues David Riesman et Philippe Breton, à près de cinquante ans de distance, dans leurs essais respectifs intitulés La Foule solitaire, anatomie de la société moderne (Arthaud) et La Parole manipulée (Editions La Découverte), y voient les prémices de l'homme moderne. Cet homme qui croit disposer de lui-même alors qu'on dispose de lui.

Les changements au fond de lui se font "imperceptiblement et à son insu". Rien n'est imposé, tout est suggéré. Et finalement chacun en vient à faire comme tout le monde. «Dans un tel contexte, écrit Philippe Breton, c'est-à-dire une société qui réclame de ses membres une extrême socialisation, la manipulation (...) renforce les tendances au conformisme et porte en elle les germes d'une société totalitaire d'un nouveau genre.»

«Celle-ci, tout en exaltant la "liberté", enserre ses membres dans les mailles d'un filet toujours plus serré, leur dictant au bout du compte le moindre de leurs comportements.» Dans le droit fil, Bertrand Poirot-Delpech, reprenant les propos de François Barré, remarquait il y a près de dix ans dans Le Monde que la publicité était la "dernière idéologie totalitaire" ; «par son encouragement structurel à un conformisme de masse» ajoute Philippe Breton.

"L'essayer c'est l'adopter". Une fois "le doigt dans l'engrenage", difficile de revenir en arrière. On ne peut plus s'en passer, du moins c'est ce que l'on croit. Et c'est cette croyance et toutes les autres croyances et opinions qui sont entretenues ou modifiées par la "persuasion clandestine" diffusée en boucle. "Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis", peut-être, mais imiter ou répéter n'a jamais été une preuve d'intelligence.

Bertrand Poirot-Delpech écrivait encore dans Le Monde : "La publicité et les spectacles qu'elle impose n'aident pas à s'instruire, à rêver, à choisir librement bonheur et shampooing, à croquer la vie à pleines dents, à être en forme, gagneur, nu sous les tropiques, entouré de top models, de plain-pied avec son temps, etc. Ils changent le citoyen en client sous hypnose et l'esprit critique en machine à s'émouvoir, à compatir, à désirer des produits".