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28/11/2014

Les faits parlent d'eux-mêmes

«Mais qu'est-ce que tu crois ? La politique, c'est fini. Ça ne sert plus à rien. Le gouvernement doit faire ce qu'il faut pour que ça n'aille pas trop mal en France. Et le président sert à représenter la France à l'étranger. C'est tout.» Cette confidence de Jacques Chirac à François Bayrou, citée par Eric Zemmour dans L'homme qui ne s'aimait pas chez Balland (2002), disait toute la désillusion du chef de l'Etat de l'époque. Réalisme ou défaitisme ?

Quoi qu'il en soit, Nicolas Sarkozy, ce fut tout le contraire. Le volontarisme en 2007 du futur président de la République pouvait faire penser en dix fois plus gros à celui de son prédécesseur affiché en 1994 et 1995 dans ses deux opuscules Une nouvelle France et La France pour tous (cf. les notes La France telle qu’elle est (1) et (2) publiées les 11 et 13 avril 2012 dans la catégorie France). L'exemple le plus frappant fut son intervention le soir de son élection, qu'on pourrait qualifier d'énorme et même d’Hénaurme.

Pour résumer : Nicolas Sarkozy avait déclaré vouloir rendre à la France ce qu'elle lui a donné ; être le président de tous les Français ; tout mettre en œuvre pour que les Français aient toujours envie de se parler, de se comprendre, de travailler ensemble ; rompre avec les idées, les habitudes et les comportements du passé ; réhabiliter la morale, le respect ; mettre en œuvre le changement afin que chacun puisse trouver sa place ;...

... aider, secourir tous ceux que la vie a blessés, ceux que la vie a usés ; convaincre nos partenaires européens d'entendre la voix des peuples qui veulent être protégés, faire du réchauffement climatique son premier combat ; etc. «Vaste programme» aurait pu dire De Gaulle. Et à peine l'avoir énoncé, Nicolas Sarkozy de dîner et de dormir dans une suite au Fouquet's, puis de partir en vacances dans le jet et sur le yacht de Vincent Bolloré.

Michel Camdessus, ancien gouverneur de la Banque de France et ex-directeur du Fonds monétaire international, avait prévenu début avril 2007 : «Les cinq prochaines années sont critiques. Ou on va vers l'implosion, ou vers le renouveau...». Nicolas Sarkozy fut élu principalement sur les valeurs d'ordre, d'autorité... (cf. la note L’heure de la "reprise en main" ? publiée le 4 avril 2014 dans les catégories Déclin, Politique, Pouvoir). Mais cette "révolution conservatrice" s'accompagnait d'un discours plus ambigu.

Eric Dupin* pointait ses contradictions : «II célèbre le mérite dans une société d'insolents privilèges. Il vante le travail dans un monde qui avantage outrageusement le capital. Il redécouvre la nation à l'ère de la dictature de la compétitivité internationale». D'où des désillusions à la hauteur des espoirs suscités et «l'implosion» en cours. Maintenant que l'homme d'action Nicolas Sarkozy veut se remettre en selle, il faudrait qu'enfin il assume ses actions et inactions passées et vise à une parfaite adéquation entre ce qu'il dit et ce qu'il pourrait avoir à faire. Il n'est pas bon d'oublier que les faits parlent d'eux-mêmes.

* A droite toute aux Éditions Fayard

04/03/2014

La "dernière idéologie totalitaire"

"II ne changeait pas d'opinion, c'était l'opinion qui changeait en lui (...). D'ailleurs il n'avait pas choisi ses opinions (...), elles lui étaient venues automatiquement, tout comme, loin de choisir un chapeau ou un vêtement, il prenait (...) ce que tout le monde portait. Ainsi le libéralisme était devenu pour lui une habitude et il aimait son journal tout comme il aimait son cigare (...) - à cause de la légère brume qu'il produisait dans son cerveau."

Telle est la description d'un des personnages d'Anna Karénine, le roman de Tolstoï. Les sociologues David Riesman et Philippe Breton, à près de cinquante ans de distance, dans leurs essais respectifs intitulés La Foule solitaire, anatomie de la société moderne (Arthaud) et La Parole manipulée (Editions La Découverte), y voient les prémices de l'homme moderne. Cet homme qui croit disposer de lui-même alors qu'on dispose de lui.

Les changements au fond de lui se font "imperceptiblement et à son insu". Rien n'est imposé, tout est suggéré. Et finalement chacun en vient à faire comme tout le monde. «Dans un tel contexte, écrit Philippe Breton, c'est-à-dire une société qui réclame de ses membres une extrême socialisation, la manipulation (...) renforce les tendances au conformisme et porte en elle les germes d'une société totalitaire d'un nouveau genre.»

«Celle-ci, tout en exaltant la "liberté", enserre ses membres dans les mailles d'un filet toujours plus serré, leur dictant au bout du compte le moindre de leurs comportements.» Dans le droit fil, Bertrand Poirot-Delpech, reprenant les propos de François Barré, remarquait il y a près de dix ans dans Le Monde que la publicité était la "dernière idéologie totalitaire" ; «par son encouragement structurel à un conformisme de masse» ajoute Philippe Breton.

"L'essayer c'est l'adopter". Une fois "le doigt dans l'engrenage", difficile de revenir en arrière. On ne peut plus s'en passer, du moins c'est ce que l'on croit. Et c'est cette croyance et toutes les autres croyances et opinions qui sont entretenues ou modifiées par la "persuasion clandestine" diffusée en boucle. "Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis", peut-être, mais imiter ou répéter n'a jamais été une preuve d'intelligence.

Bertrand Poirot-Delpech écrivait encore dans Le Monde : "La publicité et les spectacles qu'elle impose n'aident pas à s'instruire, à rêver, à choisir librement bonheur et shampooing, à croquer la vie à pleines dents, à être en forme, gagneur, nu sous les tropiques, entouré de top models, de plain-pied avec son temps, etc. Ils changent le citoyen en client sous hypnose et l'esprit critique en machine à s'émouvoir, à compatir, à désirer des produits".