Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/06/2023

De l'irréversible à l'irrémédiable ?

A l'image de l'évolution accélérée de notre monde - qui le fragilise -, d'un monde qui atteint et dépasse sans cesse les points de non-retour, l'homme est embarqué dans une existence sans retour, où il n'est pas possible de revenir en arrière, engagé dans une situation qui ne le laisse pas libre, impossible à "récupérer". Impuissant devant le cours des choses, de sa vie et de l'histoire. Sans prise, sans contrôle.

Dans ce monde "en roue libre", l'homme peut en venir à vivre par procuration, à se laisser téléguider, télécommander, à rejoindre "les conquérants de l'inutile" tout à l'appropriation, à l'acquisition de biens et connaissances inutiles, superflus... qui ne lui apportent rien d'essentiel. Condamné à la superficialité, tiraillé par des tendances contradictoires, il perd de son unité, voire de son identité, tel un pantin désarticulé.

L'homme n'est que la marionnette de forces extérieures. Livré, abandonné à des mécanismes indépendants (sans intervention humaine) et implacables qu'il a lui-même suscités, il n'est plus qu'un pion sur l'échiquier. Mais personne ne tire les ficelles, et personne ne pèse, n'influe sur les grandes tendances. «La chose publique paraît le jouet des événements» écrivait Paul Valéry. Ne gesticule plus qu'un pouvoir fantoche.

Où cela mènera-t-il l'homme, manœuvré qu'il est par ses propres conceptions et leurs effets pervers qui ont pris leur autonomie et qui le font agir dans un sens déterminé ? mais déterminé par qui ? N'a-t-il pas perdu les «deux pouvoirs qui donnent leur valeur aux actions humaines : celui de comprendre, celui de choisir», comme disait Roger Caillois ? Et en déifiant l'innovation, n'a-t-il pas succombé à "la beauté du diable" ?

Si l'homme se fourvoyait, s'il était engagé dans une course à l'abîme : une évolution dangereuse par laquelle il se précipiterait vers une catastrophe, si le monde était au bord du gouffre, le saurait-il ? Bref, danserait-il sur un volcan ? Sans le savoir. Et, alors que disait-on le monde serait ce que l'homme en ferait, devra-t-il un jour supplier les générations futures de le pardonner, car il ne savait pas ce qu'il faisait et laissait faire ?

Aujourd'hui dépouillé de sa capacité d'agir sur le réel, de le modifier, l'homme ne compte plus sur lui-même, n'a plus foi en lui-même. A lui répéter que le monde est ainsi fait, que ce monde "va de soi", il en vient à baisser pavillon et à baisser les bras. Et le progrès qu’"on n'arrête pas" paraît-il, ces décisions et processus irréversibles, tout ce dont on ne peut revenir, le mènent peut-être plus loin qu'il ne pense, vers l'irrémédiable.

27/06/2022

Remettre l'homme à sa place : au centre

La Convivialité est un livre paru en 1973 en France au Seuil. Son auteur, Ivan Illich, né à Vienne en 1926 et décédé en 2002, est considéré par certains comme l'un des plus grands penseurs de ces soixante-dix dernières années. Dans son ouvrage, Ivan Illich développe une critique globale du système productiviste, et distingue en particulier «cinq menaces contre la population de la planète dues au développement industriel avancé».

«La surcroissance menace le droit de l'homme à s'enraciner dans l'environnement avec lequel il a évoluéPour Ivan Illich, le danger vient du surpeuplement, de la surabondance et de la perversion de "l'outil", considéré comme une fin et l'homme un moyen, et devenu destructeur. Seuls la prise de conscience de cette inversion et un recentrage sur la personne humaine seraient de nature selon lui à rétablir l'équilibre écologique.

«L'industrialisation menace le droit de l'homme à l'autonomie dans l'action.» "L'outil" - tout appareil, engin, instrument, machine..., mais aussi tout moyen, méthode, système... -, quand il se fait prépondérant, supprime d'après Ivan Illich le «pouvoir-faire» de l'homme et établit la «consommation obligatoire». Cette "marchandisation" des besoins, y compris élémentaires, conduit à la dépendance, voire à l'inaction et à la passivité.

«La surprogrammation de l'homme en vue de son nouvel environnement menace sa créativitéA l'origine de cette «surprogrammation de l'opérateur et du client», Ivan Illich voit la «spécialisation de l'outil» et la «division du travail». Le savoir devient un bien rare, précieux. L'éducation, «préparation programmée à la "vie active"», devient permanente par le recyclage. Ce qui peut réduire considérablement la curiosité et la créativité.

«La complexification des processus de production menace son droit à la parole, c'est-à-dire à la politique.» L'homme se voit dépossédé du fait, dit Ivan Illich, que «le pouvoir de décider du destin de tous se concentre entre les mains de quelques-uns». Ce citoyen déchu est la victime de l'organisation industrielle. Et Ivan Illich de souhaiter le respect des autres modes de production pour une meilleure répartition du pouvoir et de l'avoir.

«Le renforcement des mécanismes d'usure menace le droit de l'homme à sa tradition, son recours au précédent à travers le langage, le mythe et le rituel.» Suivant Ivan Illich, l'innovation - sa direction et son rythme - est imposée. La dévalorisation de l'ancien et la survalorisation du nouveau entraînent l'homme dans des achats compulsifs. Pris dans le progrès, l'évolution, la mode, il se trouve arraché de son passé qui le rattachait.

04/10/2013

On meurt de ne plus aimer, être aimé et "avoir soif"

La pyramide de Maslow, c'est la hiérarchie des besoins de l'homme établie par le psychologue américain Abraham Maslow. Tout en bas au niveau des besoins physiologiques, on trouve notamment la soif. Et plus haut au niveau des besoins de socialisation, figure en particulier l'amour. On peut se demander pourquoi l'amour n'est pas placé tout en haut de cette échelle, au niveau des besoins d'estime ou d'accomplissement.

Car l'attachement, l'amour, l'affection, ces trois mots qui peut-être ne font qu'un, disent ce sentiment plus haut que tout qu'il est vital d'éprouver : «(...) c'est le premier besoin de l'enfant ; sans affection il ne peut vraiment vivre. Et cela sera vrai toute la vie» écrivait Laurence Pernoud dans son livre J'élève mon enfant chez Horay. Sans amour, l'être humain ne vit pas vraiment. L'amour est sa sève et sans doute sa plus grande liberté.

«Et, conséquence importante sur la voie de l'autonomie, poursuivait Laurence Pernoud, vers 4-6 mois, l'enfant dont les besoins d'attachement ont été comblés se sent suffisamment en sécurité pour commencer à se détacher, à se séparer.» Il peut en quelque sorte "partir", "quitter" son père et sa mère en toute confiance, l'espace de quelques heures ou d'une journée, car il "se sait" aimé, il "se sait" attendu. Merveilleuse assurance.

L'attachement apparaît quand commence le dialogue, «(...) ce dialogue inépuisable, fait de caresses, de paroles, de sourires (...), où l'enfant appelle et la mère réagit, où l'enfant vocalise et la mère répond». Plus précisément, «(...) c'est de la qualité des échanges, des interactions, que vont se créer des liens, et que va naître l'attachement». Et ainsi, «Les liens deviennent chaque jour plus forts et déjà l'inquiétude mesure l'attachement».

Peut-on dire alors que c'est d'une baisse de la qualité des échanges que peut naître le détachement ? et que la perte de l'inquiétude pour ceux à qui ou ce à quoi on tenait, on était dévoué, mesure le détachement ? Le dialogue impossible et le repliement sur soi, caractéristiques de notre époque, seraient ainsi liés. Détaché des autres et du monde, indifférent, l'homme occidental repu, vieux avant l'âge, n'a en fait plus "soif".

Désabusé et blasé, celui "qui a perdu ses illusions" et "n'éprouve plus de plaisir à rien", meurt ainsi à petit feu, non "de soif" mais de ne plus "avoir soif". Il continue pourtant de "boire", il "boit" sans "soif", cherche à s'étourdir de mille façons pour s'oublier d'abord et pour oublier peut-être aussi qu'il n'a pas su entretenir la conversation, conserver l'esprit ouvert et curieux d'un enfant, empêcher son cœur de se dessécher, "rester sur sa soif".