21/11/2019
Du mensonge à la violence
Quoi de plus fragile qu'un système politique et économique fondé sur la confiance des citoyens et le moral des ménages et des chefs d'entreprise ?! Car rien de plus versatile que ce sentiment et cette disposition qui relèvent de l'état d'esprit passager. Celui-ci nécessitant continuellement d'être renouvelé par une propagande rassurante, un endoctrinement serinant toujours la même chanson : "Vous pouvez dormir tranquille".
La doctrine, l'idéologie progressistes endorment ainsi la vigilance en justifiant toute évolution, réforme ou révolution par la nécessité de tendre vers un idéal. Une société idéale en perpétuel devenir, qui recule sans cesse au fur et à mesure des avancées. Mais même si la perspective d'un "âge d'or" à venir s'estompe, il reste la conviction d'aller dans la bonne direction, d'un développement en bien. Ce qui n'est pas sans risque.
Car la certitude d'une finalité, d'une irréversibilité, peut amener à un comportement passif, résigné. Mais elle peut tout autant amener à un comportement directif voire autoritaire. D'un côté, le destin, la fatalité, le sort inéluctable ; de l'autre, le but, l'objectif, la fin en soi, irrévocable. D'un côté, accepter, supporter, subir ; de l'autre, contrôler, contraindre, dominer. De l’"Impuissance de la volonté" à la "Volonté de puissance".
Mais la volonté sans l'intelligence et l'action sans la pensée - quand le pouvoir les impose - conduisent à l'impasse. Le changement "sans raison" fait fi de la volonté générale, de l'intérêt commun. "Nécessité fait loi". La liberté est de fait abolie. Les minorités commandent à la majorité. Le contrat social est brisé. Personne ne se sent plus obligé. Le corps social se désunit. L'intérêt particulier l'emporte. L'égoïsme triomphe.
Jusqu'au réveil brutal, quand les citoyens, les salariés, les consommateurs finissent par ouvrir les yeux. Jusqu'à la crise de confiance, quand les discours lénifiants, la dissimulation, le mensonge, l'intoxication... ne suffisent plus à maintenir artificiellement le moral, la confiance dans le "système" et dans l'avenir. Jusqu'au «tournant critique», quand «le peuple a retiré son consentement aux actes de ses représentants (...)».
Car alors, conclut Hannah Arendt dans Du mensonge à la violence : «tout affaiblissement du pouvoir est une invite manifeste à la violence - ne serait-ce que du fait que les détenteurs du pouvoir, qu'il s'agisse des gouvernants ou des gouvernés, sentant que ce pouvoir est sur le point de leur échapper, éprouvent toujours les plus grandes difficultés à résister à la tentation de le remplacer par la violence». Toute ressemblance...
09:14 Publié dans Pouvoir | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : système politique et économique, confiance des citoyens, moral des ménages et des chefs d'entreprise, propagande, endoctrinement, doctrine ou idéologie progressistes, évolution, réforme, révolution, idéal, bonne direction, développement en bien, impuissance de la volonté, volonté de puissance, volonté générale, intérêt commun, nécessité fait loi, liberté, minorités, majorité, contrat social, corps social, intérêt particulier, égoïsme, crise de confiance, tournant critique, le peuple retire son consentement, hannah arendt, du mensonge à la violence, affaiblissement du pouvoir, tentation de remplacer le pouvoir par la violence | Facebook |
07/06/2013
L'ombre noire de la délinquance en col blanc
La délinquance financière est un mal profond qui ronge notre société. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le récit édifiant d'Eva Joly paru aux éditions des Arènes en 2000 sous le titre : Notre affaire à tous. «La délinquance financière crée du malheur pour demain», y écrit-elle. Pas seulement parce qu'elle dérègle les marchés financiers, mais aussi parce que restant largement impunie, elle mine la confiance, nos valeurs et l'ordre social.
Eva Joly cite ainsi l'historien Fernand Braudel qui dans Civilisation matérielle, économie et capitalisme chez Armand Colin, «a utilisé l'image des trois étages : le premier étage est celui de la subsistance (les marges et les délinquants de rue), le second, celui de l'échange "à vue humaine" (les salariés, les petites entreprises) et le troisième, celui de l'économie-monde (les élites habituées aux échanges internationaux…)».
«Pour Braudel, le premier étage et l'étage supérieur n'obéissent pas à la loi : le premier parce qu'il n'en comprend pas le sens et le troisième parce qu'il se considère au-dessus des règles. Seul le second étage, celui de la majorité des citoyens reconnaît la légitimité des contraintes sociales. Rendre la justice, c'est préserver l'équilibre et la primauté de cet étage-là en étant en mesure de sanctionner le premier et le troisième étage.»
«Au premier étage de la société, si l'Etat-providence lui laisse le champ libre, la criminalité organisée peut se substituer à lui (... selon le vieux modèle sicilien) et contrôler avec efficacité certains quartiers chauds. (...) Au troisième étage de la société, les mafieux font remonter l'argent noir dans les bunkers off-shore de la finance et réinjectent ces sommes illégales sur les marchés légaux de Francfort ou de New York.» Blanchies.
«D'une certaine manière, "le crime organisé rend la délinquance des pauvres économiquement rentable et socialement utile"» (Jean de Maillard dans Un monde sans loi - Stock), «ce qui donne la mesure du défi lancé aux démocraties». Car «le sociologue Emile Durkheim expliquait qu'en réprimant les criminels la justice confortait surtout les honnêtes gens» ; dans ce sens qu'elle les conforte dans le droit chemin.
Mais «si la loi ne s'applique pas "à tous les étages"», affirme Eva Joly, «la démocratie est en péril. L'impunité détruit la confiance dans le contrat social». De plus en plus de citoyens de la majorité silencieuse (ces honnêtes gens sur lesquels tout repose) peuvent être tentés de suivre le mauvais exemple. La société s'enfonçant alors dans «une sorte d'anarchie douce et paisible (…)» (Mme de Staël). De l'eau qui dort.
12:40 Publié dans Délinquance financière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : éva joly, notre affaire à tous, éditions des arènes, dérèglement des marchés financiers, délinquance largement impunie, confiance, valeurs, ordre social, fernand braudel, civilisation matérielle économie et capitalisme, éditions armand colin, subsistance, échange "à vue humaine", salariés, petites entreprises, économie-monde, élites, échanges internationaux, loi, règles, majorité des citoyens, légitimité des contraintes sociales, rendre la justice, sanctionner, état-providence, criminalité, mafieux, argent noir, bunkers off-shore de la finance, sommes illégales, marchés légaux, crime organisé, délinquance des pauvres, jean de maillard, un monde sans loi, éditions stock, défi lancé aux démocraties, émile durkheim, criminels, honnêtes gens, droit chemin, contrat social, majorité silencieuse, anarchie douce et paisible, madame de staël, de l'eau qui dort | Facebook |