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09/03/2021

Les mauvais joueurs d'un jeu dangereux

Le délinquant financier diffère du criminel sur un point fondamental, racontait Eva Joly, il n'avoue jamais (en règle générale). Et ajoutait-elle avec humour dans son livre Notre affaire à tous (Les arènes) : «même si nous arrivons à lui glisser devant les yeux la preuve du versement illicite de plusieurs millions sur son compte bancaire. Il trouvera toujours une nouvelle fable, sans exclure l'existence d'une machination destinée à l'enrichir à son insu !».

Se reconnaître comme un délinquant lui est tout simplement impossible. Comme l'écrivait celle qui était alors première juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris chargée notamment du dossier Elf : «Ses raisons d'agir sont plus légitimes que le Code pénal». Et la magistrate notait avec acuité : «Dans son esprit, la société est un jeu de pouvoir, où les règles ne sont que l'indicateur éphémère d'un rapport de force».

Déjà en 1933, le sociologue américain Edwin Sutherland analysait ce phénomène : «Alors que les délinquants de droit commun reconnaissent qu'ils sont délinquants et sont considérés comme tels par le public, les délinquants d'affaires sont estimés par tous - à commencer par eux-mêmes - comme des hommes de bien et d'honneur. Selon eux, les vrais criminels sont ceux qui font les lois, car ils gênent le business».

D'où des attitudes souvent arrogantes dans ces milieux d'affaires et politiques où l'on ne se tient pas pour un justiciable comme les autres, où l'on croit que tout est négociable. Les interrogatoires, rapportait Eva Joly, qui fut aussi un temps conseillère auprès du ministre de la Justice et du ministre des Affaires étrangères de Norvège, tournent ainsi à l'épreuve de force, la violence verbale et l'intimidation y étant monnaie courante.

Les protestations indignées où l'on jure ses grands dieux qu'on ne savait rien, sont proférées avec tant de sincérité que le doute peut s'installer. Eva Joly expliquait : «L'honneur et la duplicité, l'apparence de la légalité et la vérité du crime sont si intimement liés dans ces affaires, la négation de la réalité est telle lors de ces interrogatoires que je devais sans cesse revenir aux faits pour m'assurer que je ne fantasmais pas».

Cela prend encore une autre dimension quand c'est un politique, un élu ou plus particulièrement un législateur qui se joue des lois. "Celui qui fait les lois" et se fait prendre, ne devrait s'en prendre qu'à lui-même, car les juges ne font que les appliquer. Mais combien préfèrent s'en prendre à la légitimité des juges et des lois elles-mêmes, jouant ainsi avec le feu, car c'est avec l'essence de la "démocratie" qu'ils jouent !

14/11/2014

Une démocratie superflue ?

Thorstein Veblen est un économiste américain né en 1857 et mort en 1929. Largement méconnu aujourd'hui, le journaliste Hervé Kempf le ressuscitait dans son livre Comment les riches détruisent la planète au Seuil. Sa Théorie de la classe de loisir part d'un constat : «La tendance à rivaliser - à se comparer à autrui pour le rabaisser - est d'origine immémoriale : c'est un des traits les plus indélébiles de la nature humaine».

C'est ce principe qui domine l'économie. D'où la recherche de signes extérieurs de richesse qui va bien au delà des «fins utiles», de la satisfaction de besoins réels, et vise à une «distinction provocante». Ce qui «nourrit, disait Hervé Kempf, une consommation ostentatoire et un gaspillage généralisé». Car «Toute classe est mue par l'envie et rivalise avec la classe qui lui est immédiatement supérieure dans l'échelle sociale, (...)» écrivait Veblen.

C'est donc «la classe la plus haut placée tant par le rang que par l'argent - celle qui possède et richesse et loisir» qui donne le la. L'exemple vient d'en haut. «C'est à cette classe qu'il revient de déterminer, d'une façon générale, quel mode de vie la société doit tenir pour recevable ou générateur de considération.» Ce qui explique bien des choses ! Les valeurs, normes, règles, habitudes dégringolent en cascade jusqu'aux plus humbles.

Chacun veut s'élever plus haut que ses semblables, ceux de sa classe sociale, en prenant pour modèle celui fourni par la classe située juste au-dessus et finalement par les plus aisés dont le train de vie forme comme un idéal. Mais "Faire étalage", qui conduit à dévaliser les étalages, oblige aussi à les remplir. La machine à produire tourne à plein régime dans une "économie du superflu". Et surabondance de biens nuit.

"Possédés par leurs possessions", les consommateurs ne s'aperçoivent pas qu'ils creusent leur propre tombe en faisant "des jouissances et des biens matériels" l'alpha et l'oméga de leur existence. Car l'inégalité sociale progresse, la pauvreté ne diminue plus, et ce malgré la croissance qui, de plus, participe à la dégradation de l'environnement. Pourtant rien ne change. Pourquoi ? parce que la classe d'en haut en a décidé ainsi.

Veblen pensait que la société capitaliste évoluerait vers un régime de type militaire ou technocratique. Déjà notre système actuel se caractérise par l'influence décisive des dirigeants des grandes entreprises, des techniciens, des spécialistes, des hauts fonctionnaires, des hommes d'État... qui font prévaloir les aspects techniques ou économiques sur les considérations sociales et humaines. Alors, a-t-on encore besoin de la démocratie ?

08/07/2014

Sortir du rang ou rentrer dans le rang

«Ce n'est pas faire preuve de courage que de s'en prendre à des choses séculaires ou désuètes, pas plus que de provoquer sa grand-mère. L'Homme réellement courageux est celui qui brave les tyrannies jeunes comme des matins et les superstitions fraîches comme les premières fleurs» écrivait Gilbert Keith Chesterton, cité par Paul-Marie Coûteaux dans son livre Un petit séjour en France aux éditions Bartillat.

Et ils sont nombreux les "courageux" qui s'attaquent aux traditions, principes, œuvres... des siècles passés, et passés de mode. Tous ces "héros" qui tirent sur les ambulances et enfoncent les portes ouvertes. Tous ces "braves" qui bravent des interdits qui n'en sont plus. Tous ces dispensateurs de formules toutes faites et de paroles creuses pour mieux se couler dans le moule. Tous ces suivistes de l'air du temps.

Surtout ne pas faire de vagues et prendre de risques. Non, aller dans le sens du vent et caresser dans le sens du poil. Frapper seulement ce qui est à terre. Roger Caillois disait : «Ce sont les mêmes âmes qu'on voit ramper devant les forts et humilier les faibles» ; et «(...) se conformer aux opinions, règles et convenances» (Valéry Larbaud), et aux circonstances. Se comporter suivant l'usage "Parce que", "C'est comme ça".

Beaucoup de nos contemporains se soumettent ainsi à la consigne : "II faut être de son époque, vivre avec son époque" ; quitte à avaler des couleuvres, à sombrer dans le ridicule. Cédant aux sirènes de la nouveauté, ils s'échinent à être "in", "dans le coup", se bornent à l'actualité. Et se plient aux diktats des gourous de la modernité : "II faut savoir s'adapter, être souple, capable d'évoluer". Prêts à tout pour être admis.

Jusqu'où ? Jusqu'où les "II faut" nous mèneront-ils avec notre assentiment ou du moins notre absence de désapprobation ? Jusqu'où le "respect étroit de la norme", l'obsession de la normalisation, l'habitude, la règle établie, "ce qui doit être", l'obéissance à l'establishment nous entraîneront-ils ? Jusqu'où irons-nous à coups de "provocations", de ballons d'essai, d'abord rejetés, puis vite tolérés, et finalement acceptés ?

Les «tyrannies» et les «superstitions» dont parle Chesterton, s'étalent peut-être devant notre nez. Ne les voyons-nous pas malgré tout ? Ou n'avons-nous pas le courage plutôt de les dénoncer et de les combattre ? Etant trop faibles ou trop lâches ; ayant trop peur de déplaire aux gens en place occupés à garder leur rang, leurs privilèges ; ayant trop peur de perdre notre propre place "dans le rang", dont nous nous contentons.