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14/11/2014

Une démocratie superflue ?

Thorstein Veblen est un économiste américain né en 1857 et mort en 1929. Largement méconnu aujourd'hui, le journaliste Hervé Kempf le ressuscitait dans son livre Comment les riches détruisent la planète au Seuil. Sa Théorie de la classe de loisir part d'un constat : «La tendance à rivaliser - à se comparer à autrui pour le rabaisser - est d'origine immémoriale : c'est un des traits les plus indélébiles de la nature humaine».

C'est ce principe qui domine l'économie. D'où la recherche de signes extérieurs de richesse qui va bien au delà des «fins utiles», de la satisfaction de besoins réels, et vise à une «distinction provocante». Ce qui «nourrit, disait Hervé Kempf, une consommation ostentatoire et un gaspillage généralisé». Car «Toute classe est mue par l'envie et rivalise avec la classe qui lui est immédiatement supérieure dans l'échelle sociale, (...)» écrivait Veblen.

C'est donc «la classe la plus haut placée tant par le rang que par l'argent - celle qui possède et richesse et loisir» qui donne le la. L'exemple vient d'en haut. «C'est à cette classe qu'il revient de déterminer, d'une façon générale, quel mode de vie la société doit tenir pour recevable ou générateur de considération.» Ce qui explique bien des choses ! Les valeurs, normes, règles, habitudes dégringolent en cascade jusqu'aux plus humbles.

Chacun veut s'élever plus haut que ses semblables, ceux de sa classe sociale, en prenant pour modèle celui fourni par la classe située juste au-dessus et finalement par les plus aisés dont le train de vie forme comme un idéal. Mais "Faire étalage", qui conduit à dévaliser les étalages, oblige aussi à les remplir. La machine à produire tourne à plein régime dans une "économie du superflu". Et surabondance de biens nuit.

"Possédés par leurs possessions", les consommateurs ne s'aperçoivent pas qu'ils creusent leur propre tombe en faisant "des jouissances et des biens matériels" l'alpha et l'oméga de leur existence. Car l'inégalité sociale progresse, la pauvreté ne diminue plus, et ce malgré la croissance qui, de plus, participe à la dégradation de l'environnement. Pourtant rien ne change. Pourquoi ? parce que la classe d'en haut en a décidé ainsi.

Veblen pensait que la société capitaliste évoluerait vers un régime de type militaire ou technocratique. Déjà notre système actuel se caractérise par l'influence décisive des dirigeants des grandes entreprises, des techniciens, des spécialistes, des hauts fonctionnaires, des hommes d'État... qui font prévaloir les aspects techniques ou économiques sur les considérations sociales et humaines. Alors, a-t-on encore besoin de la démocratie ?

13/05/2014

Marchands d'art utilitaire

La marchandisation de l'art parachève sans doute l'établissement d'un âge inédit peut-être dans l'histoire des hommes, un âge où tout peut se vendre pour de l'argent, même ce qui est du domaine du sacré, et l'homme en premier. Eric Dupin, dans son livre Une Société de chiens aux éditions du Seuil, rappelle que «L'art traditionnel remplissait des fonctions finalement assez voisines de celles de la religion ou de la philosophie».

Et l'on peut observer que la religion et la philosophie comme l'art traditionnel semblent avoir connu en même temps, en particulier en Europe, le même discrédit. Un peu comme s'ils ne satisfaisaient plus aux qualités requises, aux conditions exigées par la société de consommation, nouvelle fournisseuse de consolations moyennant finance. "L'art contemporain" naît ainsi sur un tas de "cadavres" et se nourrit de la décomposition.

D'ailleurs le sociologue et philosophe Jean Baudrillard cité par Eric Dupin, affirme que «La majeure partie de l'art contemporain s'emploie à s'approprier la banalité, le déchet, la médiocrité comme valeur et comme idéologie». Et ainsi, l'insignifiance ferait sens, serait signifiante. Et pourquoi pas ? "La dictature du relativisme" interdisant à quiconque d'émettre des jugements de valeur, tout se vaut dorénavant. "Des goûts et des couleurs..."

«Chaque groupe, chaque communauté élabore ses normes, ses critères ; d'où une diversité des normes et des préférences esthétiques et artistiques qui sont en concurrence et laissent peu de place à une forme traditionnelle de l'art qui ne soit pas figée par l'académisme» dit le philosophe Yves Michaud, qui stigmatise «une bureaucratie culturelle qui est une instance de légitimation des activités de l'institution et des artistes eux-mêmes».

Les justifications des "démarches artistiques" soutenant les œuvres, sont d'ailleurs formulées dans un langage obscur pour ne pas dire un verbiage spécieux. La phraséologie culturelle, le jargon employé, n'éclaire en rien le profane mais éteint son sens critique. Dans "le marché de l'art", "l'artiste" auquel tout est permis, étudie le marché, envisage toutes les possibilités et telle une marque, tente de se démarquer pour être remarqué, se faire remarquer.

Objectif : trouver preneur, avoir sa part de marché. "L'œuvre" est destinée à l'échange et à l'usage, à être emportée ou consommée sur place, afin de satisfaire le besoin de se changer les idées, de se distraire pour oublier sa condition d'homme et ses conditions de vie. Elle est un "produit culturel" utilitaire - utile aux gens, à la cohésion sociale - et jetable - un produit chassant l'autre. On achète ainsi sa tranquillité d'esprit, et la tranquillité publique.

12/11/2013

Une vie sous influence

II faut lire le Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens aux Presses universitaires de Grenoble, de deux chercheurs en psychologie sociale et professeurs des universités, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois. Pour une et une seule raison : éviter d'être manipulés en prenant connaissance du «principe de ces stratégies» manipulatrices mises en œuvre pour nous faire penser et agir dans le sens souhaité.

Premier conseil : il convient «(...) d'apprendre à revenir sur une décision. C'est plus difficile qu'on ne l'imagine, reconnaissent ces auteurs, les normes et les idéologies ambiantes nous incitant plutôt à être consistants, fiables, fidèles». Mais quand la situation évolue, "rester sur sa décision" est le meilleur moyen de se laisser piéger. S'en tenir à "l'état de choses" et à son choix initial, c'est s'exposer à être lié définitivement.

Deuxième conseil qui découle du premier : «(...) il faut savoir considérer deux décisions successives comme indépendantes». En cas de nouvelle décision à prendre, envisager toutes les possibilités permet de réévaluer la pertinence de chacune en fonction des circonstances. En clair, il ne doit pas y avoir de précédent qui engage. Tout cas est unique. Il faut rester libre de ses décisions à chaque fois et ne pas vouloir être invariable.

Toutefois, troisième conseil : «Ne surestimez pas votre liberté (...). Les manipulations (...) ne sont efficaces que lorsqu'elles sont pratiquées dans un contexte de liberté». C'est le «sentiment de liberté» qui persuade l'individu qu'il "mène la barque" alors qu'il est "mené par le bout du nez", qu'il influe sur sa vie alors qu'il est à la merci des influences. Napoléon disait : «La bonne politique est de faire croire aux peuples qu'ils sont libres».

Et puis ajoutent ces chercheurs : «Quelle signification peut avoir un tel sentiment de liberté lorsqu'il s'agit (...) de faire un choix que tout le monde fait (...) ?». «Pressions», «normes de comportement», «injonctions implicites ou explicites» sont en fait à l'origine d'un état de «soumission librement consentie». D'où leur recommandation de ne parler de liberté que lors de la prise de grandes décisions pouvant modifier l'orientation de sa vie.

En fait, ils constatent par nombre de travaux que l'individu convenable, conformiste (tout en s'en défendant), pénétré de son libre arbitre, se voulant cohérent, certain d'être le seul auteur de son destin, «est incontestablement le plus manipulable». Avant de conclure : «Que ce soit, aussi, cet individu-là qui ait le plus de chance de réussir dans la vie professionnelle et sociale dans nos sociétés démocratiques a de quoi faire réfléchir».