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03/12/2013

Moraliser la mondialisation

Dans les années cinquante, Roland Barthes dénonçait les Mythologies de la vie quotidienne française, écrivait Alain Finkielkraut dans son livre paru en 2005 aux éditions Ellipses : Nous autres, modernes. Il évoquait «un sentiment d'impatience devant "le naturel" dont la presse, l'art, le sens commun affublent sans cesse une réalité qui pour être celle dans laquelle nous vivons, n'en est pas moins parfaitement historique».

«Historique, explicitait Finkielkraut, c'est-à-dire ni éternelle ni absolue, ni universelle ni indiscutable, ni sacrée ni fatale, mais, tout au contraire, contingente, passagère, friable, sujette à caution et à transformation.» Barthes s'ingéniait ainsi à «défataliser le monde». Dans le prolongement de la dernière note, on pourrait dire également que la mondialisation est historique : ni sacrée ni fatale, mais sujette à caution et à transformation.

Et pour imaginer cette transformation, un petit rappel historique est peut-être nécessaire. «Pour le marchand du Moyen Âge, rappelle Hermann Broch dans son roman Les Somnambules, écrivait encore Finkielkraut, le principe "les affaires sont les affaires" était sans valeur, la concurrence était pour lui quelque chose de prohibé, l'artiste du Moyen Âge ne connaissait pas "l'art pour l'art", mais seulement le service de la foi (...).

«C'était un système total du monde reposant dans la foi, un système du monde relevant de l'ordre des fins et non pas des causes, un monde entièrement fondé dans l'être et non dans le devenir, et sa structure sociale, son art, ses liens sociaux, bref toute sa charpente de valeurs était soumise à la valeur vitale de la foi, qui les comprenait toutes.» Dieu ayant été refoulé aux confins de la vie publique, que reste-t-il pour unir ?

Plus reliés par un principe supérieur, les hommes travaillent dans leur coin, dans leur domaine, avec méthode, poussant jusqu'au bout la logique propre à leur matière ou poussés par elle (?). Des hommes qui ne voient rien au delà de leur spécialité «et que nulle considération, nul scrupule extérieurs n'empêchent d'avancer». Il est ainsi dans «la logique de l'homme d'affaires de faire des affaires» sans se soucier des conséquences.

"Les affaires sont les affaires" : "il ne faut pas en affaires s'embarrasser de sentiments, de scrupules". Et si au contraire il devenait nécessaire d'en avoir, de s'attacher au Bien ("ce qui sert l'homme, ce qui le rend heureux") et de renoncer au Mal ("ce qui le fait souffrir"), par exemple la concurrence déloyale, afin d'empêcher ce que Marx appelait : «(...) les terribles développements (...) de l'économie se déployant pour elle-même».

15/10/2013

"Fermé les dimanches et jours fériés" pour s'ouvrir

Pouvoir travailler le dimanche serait donc la dernière nouvelle liberté.

Ô Liberté, que de réformes on commet en ton nom !

Mais si l’on en croit le dictionnaire, la réforme, c’est un changement en mieux, en vue d’une amélioration. Or, est-on si sûr qu’il s’agit là d’un mieux ?

Jean-Paul II dans son encyclique sociale Centesimus annus (Éditions Mediaspaul), en référence au centième anniversaire de l’encyclique du pape Léon XIII Rerum novarum, peut nous guider peut-être dans cette recherche du mieux.

« Il n’est pas mauvais de vouloir vivre mieux, écrivait-il, mais ce qui est mauvais, c’est le style de vie qui prétend être meilleur quand il est orienté vers l’avoir et non vers l’être, et quand on veut avoir plus, non pour être plus mais pour consommer l’existence avec une jouissance qui est à elle-même sa fin. Il est donc nécessaire de s’employer à modeler un style de vie dans lequel les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune. »

Ainsi, de même que "Le mieux est l’ennemi du bien", peut-être que le mieux-être est l’ennemi du bien-être, pour paraphraser le philosophe Ivan Illich. Ou pour le dire autrement : surabondance de biens nuit. A chercher à avoir toujours plus, il se pourrait qu’on en arrive à être moins bien.

Le dimanche est une pause, un soupir, une respiration dans la frénésie organisée.

Car les sociétés contemporaines dites développées acculent l’être humain à courir après "les biens de ce monde" pour les accumuler à plaisir, et à courir après les plaisirs pour "se changer les idées", négligeant les biens de nature intellectuelle, spirituelle, esthétique...

Le dimanche est l’occasion de revenir à ces biens qui permettent de se dépasser par la pensée plutôt que de passer par la dépense. La gratuité, voilà ce qui sans doute donne de la grandeur au dimanche. Cette sorte aussi d’inutilité au sens que l’emploie Jean d’Ormesson dans son ouvrage intitulé C’était bien (Éditions Gallimard) : « les sentiments, les passions, les idées vagabondes, l’imagination créatrice, la liberté des mots. Rire et boire avec d’autres, rêver, dessiner, peindre, chanter devant un feu, faire de la musique et l’écouter, siffler avec les oiseaux, composer des motets, des messes, des opéras, raconter des histoires, écrire et lire des épopées, des odes, des fables, des tragédies. Ou regarder en silence les arbres qui changent et restent les mêmes et les nuages dans le ciel. Ou demeurer immobile, loin de soi-même et de tout, à bénir on ne sait quoi. Cultiver de l’inutile, au moins en apparence. Il n’est pas tout à fait exclu que l’inutile soit plus nécessaire que l’utile. Au bonheur, en tout cas ».

Mais il y a plus grave encore. Et c’est Georges Bernanos qui le soulignait : la civilisation moderne bannit toute vie intérieure, c’est-à-dire toute vie de l’esprit, toute vie morale, spirituelle…, toute conscience. En étant dévoreuse de temps, de calme, de solitude choisie… ; et parce que la vie intérieure est un obstacle aux influences extérieures et à tous les trafics, commerces, corruptions.

Dans son livre La Liberté pour quoi faire ? (Éditions Gallimard), Bernanos disait également que la « civilisation technique » ou « civilisation des machines » n’est en fait qu’« une contre-civilisation, une civilisation non pas faite pour l’homme, mais qui prétend s’asservir l’homme, faire l’homme pour elle, à son image et à sa ressemblance (…) ».

Le dimanche est une résistance au temps, le jour où l’homme peut être vraiment lui-même, faire vraiment ce qu’il veut, ne rien faire s’il préfère, en tout cas ne plus être seulement un producteur et un consommateur de biens et de services.

Si « la liberté économique [qui] n’est qu’un élément de la liberté humaine (…) se rend autonome, [si] l’homme est considéré plus comme un producteur ou un consommateur de biens que comme un sujet qui produit et consomme pour vivre, alors elle perd sa juste relation avec la personne humaine et finit par l’aliéner et par l’opprimer » écrivait encore Jean-Paul II dans son encyclique sociale.

Et puis le dimanche c’est la famille réunie. La famille, ce « refuge contre l’adversité », cette « cellule de résistance à l’oppression, si forte et si bien constituée que la première tâche que les tyrannies totalitaires s’assignent est de la faire voler en éclats (…) » remarquait André Frossard dans son livre L’Homme en questions (Éditions Stock).

Et si refuser de voir une liberté dans le fait de pouvoir travailler le dimanche, c’était vouloir empêcher ce que constatait Bernanos, à savoir que « dans presque tous les pays, la démocratie » est « d’abord et avant tout une dictature économique » ?!