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14/03/2022

Au centre de la vie publique : la parole

«Il est d'un bon citoyen de préférer les paroles qui sauvent aux paroles qui plaisent.» La maxime de Démosthène citée par Nicolas Baverez dans son livre Nouveau monde Vieille France aux éditions Perrin, s'applique on ne peut mieux à notre situation, à la veille d'une échéance électorale que d'aucuns annoncent capitale. Mais un "vrai débat", un débat d'idées, nous a-t-il permis d'y voir clair ? Et d'ailleurs, celui-ci pouvait-il avoir lieu ?

Interrogé à ce sujet un an avant l'élection présidentielle de 2007, Michel Rocard répondait : «Non, la télévision va l'interdire. Ce sera un match de boxe.» Et ça n'a pas manqué. Les formules assassines ont plu comme autant de coups pour terrasser l'adversaire. Et puisque les mots n'ont plus aucun poids et que le pouvoir est dans les images, on n'a pas lésiné sur les photos-chocs et chic destinées à frapper les esprits plus qu'à les instruire. L'émotion sans un mot.

Alain Finkielkraut dans son dialogue avec Peter Sloterdijk intitulé Les battements du monde chez Pauvert, constatait l'impossibilité de discuter sereinement : «Sans doute reste-t-il en France assez de monde commun pour que les débats nationaux puissent naître et prendre corps, mais il n'y a plus assez de culture, de civilité, de goût de la conversation, d'humilité devant la complexité des choses pour que ces débats soient dignes».

Et puis, écrivait Nicolas Baverez, «Plus les démocraties sont vieilles et les citoyens blasés, plus la vertu doit être au principe de leur gouvernement, plus le souci de la rigueur et de la vérité doit animer le débat public». Est-ce le cas ? Poser la question, c'est y répondre. Dans ces conditions, comment le citoyen pourrait-il se déterminer ? Impossible pour lui de se faire une idée exacte de la situation. La démocratie est confisquée.

Il faut peut-être "redonner à la parole le rôle d'outil vivant de la démocratie" comme le proposait Philippe Breton dans son ouvrage La Parole manipulée aux éditions La Découverte. Redonner du poids aux mots, de l'importance au discours demande de ne plus "parler à la légère", de bannir les "paroles en l'air", les "belles paroles", les "petites phrases", et de "n'avoir qu'une parole". Une parole qui engage, disait Georges Bernanos.

"La démocratie, qui a placé la parole au centre de la vie publique" est menacée par "les manipulations de la parole", l'absence de débat, sa pauvreté ou sa confusion. Revaloriser la parole, rétablir, enrichir, clarifier le débat seraient des "mesures de salubrité publique". Sinon, qui croire (sur parole), ou que croire ? L'histoire enseigne, notait Nicolas Baverez, que «les hommes qui ne croient plus en rien sont mûrs pour croire à n'importe quoi».

12/10/2018

A la recherche de la démocratie perdue

Alors que le fait de pouvoir choisir ses représentants devrait réjouir tout démocrate qui se respecte, pourquoi l'impression que la démocratie se délite persiste-t-elle ? Peut-être devrions-nous nous interroger sur la démocratie elle-même, qui ne peut se réduire au seul suffrage universel, mais qui est supposée accorder à l'ensemble des citoyens la souveraineté, c'est-à-dire le pouvoir, la supériorité.

Si les mots ont un sens, s'ils ne sont pas qu'un vernis, qu'une belle façade, alors sommes-nous en démocratie ? L'avons-nous seulement été un jour ? Si la république, une forme de démocratie parmi d'autres, c'est «le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple», alors le peuple est-il pleinement représenté et pris en considération par la représentation nationale, mais aussi locale ?

Serait-ce un constat fait par les citoyens des limites de la délégation de pouvoir et un manque de représentativité des élus qui rendraient aujourd'hui caduque la démocratie représentative ? Notre société est-elle mûre pour l'introduction d'une part de démocratie directe, afin de contrebalancer un déficit de liberté et d'égalité, en favorisant la participation véritable du plus grand nombre à la vie publique ?

Se peut-il également qu'une forme d'autoritarisme fasse douter les citoyens de leurs institutions et représentants ? En effet, la constitution est censée nous protéger des dérives autoritaires par la séparation des pouvoirs notamment. Mais ne permet-elle pas en fait l'exercice non contrôlé du pouvoir exécutif (ce qui est la définition même d'un régime autoritaire), qui en vient à gouverner par lui-même ?

En effet, qui vote pour "l'exécutif" ? Tout ministre, président ou vice-président de collectivité, maire ou adjoint au maire est désigné, ou élu non directement par les citoyens mais par ses pairs. Qui fait contrepoids à "l'exécutif", non en théorie mais en pratique ? Quels pouvoirs réels ont "le législatif" et "le judiciaire" ? Qui fait les lois ? Qui les met en œuvre ? Qui fait régner le droit ? Qui décide vraiment ?

Une sorte de confusion des pouvoirs, doublée d'une confusion dans les esprits, pourrait-elle mener à la confusion politique, c'est-à-dire au trouble, au désordre, à la désorganisation voire à une révolution ? Nous n'en sommes sans doute pas là, mais il apparaît vital pour notre République de revenir à la lettre et à l'esprit de ce qu'est une démocratie, et d'engager la restauration du peuple souverain.

03/12/2013

Moraliser la mondialisation

Dans les années cinquante, Roland Barthes dénonçait les Mythologies de la vie quotidienne française, écrivait Alain Finkielkraut dans son livre paru en 2005 aux éditions Ellipses : Nous autres, modernes. Il évoquait «un sentiment d'impatience devant "le naturel" dont la presse, l'art, le sens commun affublent sans cesse une réalité qui pour être celle dans laquelle nous vivons, n'en est pas moins parfaitement historique».

«Historique, explicitait Finkielkraut, c'est-à-dire ni éternelle ni absolue, ni universelle ni indiscutable, ni sacrée ni fatale, mais, tout au contraire, contingente, passagère, friable, sujette à caution et à transformation.» Barthes s'ingéniait ainsi à «défataliser le monde». Dans le prolongement de la dernière note, on pourrait dire également que la mondialisation est historique : ni sacrée ni fatale, mais sujette à caution et à transformation.

Et pour imaginer cette transformation, un petit rappel historique est peut-être nécessaire. «Pour le marchand du Moyen Âge, rappelle Hermann Broch dans son roman Les Somnambules, écrivait encore Finkielkraut, le principe "les affaires sont les affaires" était sans valeur, la concurrence était pour lui quelque chose de prohibé, l'artiste du Moyen Âge ne connaissait pas "l'art pour l'art", mais seulement le service de la foi (...).

«C'était un système total du monde reposant dans la foi, un système du monde relevant de l'ordre des fins et non pas des causes, un monde entièrement fondé dans l'être et non dans le devenir, et sa structure sociale, son art, ses liens sociaux, bref toute sa charpente de valeurs était soumise à la valeur vitale de la foi, qui les comprenait toutes.» Dieu ayant été refoulé aux confins de la vie publique, que reste-t-il pour unir ?

Plus reliés par un principe supérieur, les hommes travaillent dans leur coin, dans leur domaine, avec méthode, poussant jusqu'au bout la logique propre à leur matière ou poussés par elle (?). Des hommes qui ne voient rien au delà de leur spécialité «et que nulle considération, nul scrupule extérieurs n'empêchent d'avancer». Il est ainsi dans «la logique de l'homme d'affaires de faire des affaires» sans se soucier des conséquences.

"Les affaires sont les affaires" : "il ne faut pas en affaires s'embarrasser de sentiments, de scrupules". Et si au contraire il devenait nécessaire d'en avoir, de s'attacher au Bien ("ce qui sert l'homme, ce qui le rend heureux") et de renoncer au Mal ("ce qui le fait souffrir"), par exemple la concurrence déloyale, afin d'empêcher ce que Marx appelait : «(...) les terribles développements (...) de l'économie se déployant pour elle-même».