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17/01/2019

Une démocratie sans valeurs ?

Le lancement du "grand débat national" et l'approche des élections européennes nous amènent à juger de la valeur de notre démocratie, de la valeur de la démocratie en Europe et de nos valeurs. Des phrases sorties de dictionnaires ou de cours d'instruction civique affirment : "Organisation politique dans laquelle l'ensemble des citoyens exercent la souveraineté" ; "Repose sur le respect de la liberté et de l'égalité des citoyens" ; "Dans une démocratie représentative, le peuple élit des représentants", ainsi interposés.

Lamartine déduisait de cette dernière affirmation que «Le suffrage universel est donc la démocratie elle-même». Disons que cette opinion paraît pour le moins datée, même si elle reste peut-être encore partagée dans certains milieux issus de la belle époque où les "hommes de qualité" avaient tous les pouvoirs. Toutefois, l'habillage démocratique moderne ne masquerait-il pas la poursuite de pratiques d'un autre temps ?

Cette question, Sophie Coignard et Alexandre Wickham se la posent dans L'Omerta française (Albin Michel) paru en 1999 (!). Ils y citent aussi le philosophe Cioran : «Seul un monstre peut se permettre le luxe de voir les choses telles qu'elles sont. Mais une collectivité ne subsiste que dans la mesure où elle se crée des fictions et s'y attache. S'emploie-t-elle à cultiver la lucidité et le sarcasme (...) ? Elle se désagrège, elle s'effondre».

Ils voient dans ce point de vue une justification possible de toutes les dérives. «La société française est bâtie sur des mythes si puissants, écrivent-ils, que toute analyse critique s'apparente à une transgression. D'où un système de connivences institutionnalisées et de lois répressives destinées à décourager les remises en cause.» Et ils en appellent «à transformer (...) la France en une démocratie digne de ce nom».

Ils sont nombreux les observateurs de nos mœurs sociales et politiques à constater les égarements de notre démocratie et la perte de valeurs hier encore répandues. Et dans un sens, quoi d'étonnant ? puisque ce qui compte dorénavant, ce sont la valeur marchande, la valeur vénale, la valeur d'usage, la valeur d'échange, la valeur travail, la valeur ajoutée, les valeurs financières et monétaires, et les valeurs mobilières.

Mais que faisons-nous des valeurs qui "n'ont pas de prix" ? Sur l'échelle des valeurs, où plaçons-nous la liberté, l'égalité, la fraternité, l'honnêteté, la vérité, la justice, le courage, l'amour, la fidélité, la tolérance, la prudence, la tempérance, la générosité, la compassion, la gratitude, l'humilité... ? Le pape Jean-Paul II nous mettait en garde en 1991 : «Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois (…)».

12/10/2018

A la recherche de la démocratie perdue

Alors que le fait de pouvoir choisir ses représentants devrait réjouir tout démocrate qui se respecte, pourquoi l'impression que la démocratie se délite persiste-t-elle ? Peut-être devrions-nous nous interroger sur la démocratie elle-même, qui ne peut se réduire au seul suffrage universel, mais qui est supposée accorder à l'ensemble des citoyens la souveraineté, c'est-à-dire le pouvoir, la supériorité.

Si les mots ont un sens, s'ils ne sont pas qu'un vernis, qu'une belle façade, alors sommes-nous en démocratie ? L'avons-nous seulement été un jour ? Si la république, une forme de démocratie parmi d'autres, c'est «le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple», alors le peuple est-il pleinement représenté et pris en considération par la représentation nationale, mais aussi locale ?

Serait-ce un constat fait par les citoyens des limites de la délégation de pouvoir et un manque de représentativité des élus qui rendraient aujourd'hui caduque la démocratie représentative ? Notre société est-elle mûre pour l'introduction d'une part de démocratie directe, afin de contrebalancer un déficit de liberté et d'égalité, en favorisant la participation véritable du plus grand nombre à la vie publique ?

Se peut-il également qu'une forme d'autoritarisme fasse douter les citoyens de leurs institutions et représentants ? En effet, la constitution est censée nous protéger des dérives autoritaires par la séparation des pouvoirs notamment. Mais ne permet-elle pas en fait l'exercice non contrôlé du pouvoir exécutif (ce qui est la définition même d'un régime autoritaire), qui en vient à gouverner par lui-même ?

En effet, qui vote pour "l'exécutif" ? Tout ministre, président ou vice-président de collectivité, maire ou adjoint au maire est désigné, ou élu non directement par les citoyens mais par ses pairs. Qui fait contrepoids à "l'exécutif", non en théorie mais en pratique ? Quels pouvoirs réels ont "le législatif" et "le judiciaire" ? Qui fait les lois ? Qui les met en œuvre ? Qui fait régner le droit ? Qui décide vraiment ?

Une sorte de confusion des pouvoirs, doublée d'une confusion dans les esprits, pourrait-elle mener à la confusion politique, c'est-à-dire au trouble, au désordre, à la désorganisation voire à une révolution ? Nous n'en sommes sans doute pas là, mais il apparaît vital pour notre République de revenir à la lettre et à l'esprit de ce qu'est une démocratie, et d'engager la restauration du peuple souverain.

14/01/2014

La démocratie : une oligarchie masquée ?

Au XIXe siècle, Tocqueville mettait en garde contre un péril inhérent à la démocratie (pour lui, démocratie chrétienne) : «le despotisme de la majorité». Pour éviter cet abus de pouvoir, Le Petit Robert précise que cet historien et homme politique français pensait qu'«au maintien de la liberté, il faut donc deux garanties essentielles, la liberté de la presse et l'indépendance du pouvoir judiciaire». Ces garanties sont-elles remplies ?

A première vue, les "contre-pouvoirs" que sont les médias et la justice semblent faire leur travail dans notre démocratie. Contrebalançant les autres pouvoirs (exécutif, législatif, mais aussi économique et financier), le quatrième pouvoir (la presse, les médias) et le pouvoir judiciaire paraissent jouir d'une liberté d'action inédite dans l'histoire, avoir les mains libres comme jamais. Et pourtant un doute subsiste malgré "l'évidence".

D'où vient donc cette impression assez générale qu'on nous cache des choses, qu'il y a des "intouchables", que "la vérité est ailleurs" ? Même depuis la "fin" des affaires, la méfiance ne s'est toujours pas dissipée. Peut-être parce que d'aucuns ont dit que la justice n'était "pas un pouvoir mais une autorité", d'autres parlé de "reprise en main" de la justice ; peut-être à cause de la concentration des médias entre quelques mains.

Ne serait-ce d'ailleurs pas les mêmes mains ou peu s'en faut ? celles d'un pouvoir politico-économique, d'une élite puissante bénéficiant seule d'une véritable liberté d'expression dans les médias et capable de faire obstruction à la justice, d'échapper aux poursuites ou de les faire cesser. Si c'était le cas, nous serions alors dans une oligarchie, à mi-chemin de la démocratie et de la monarchie, une sorte en fait d'aristocratie.

Ainsi, si le despotisme est une "forme de gouvernement dans lequel tous les pouvoirs sont réunis dans les mains d'un seul", l'oligarchie elle est étymologiquement le "commandement de quelques-uns". "Un régime politique dans lequel la souveraineté appartient à un petit groupe de personnes, à une classe restreinte et privilégiée" ; "où l'autorité est entre les mains de quelques personnes ou de quelques familles puissantes".

Tocqueville craignait le despotisme de la majorité dans le cadre d'une démocratie, mais ne devrait-on pas craindre le despotisme d'une minorité dans le cadre d'une oligarchie qui ne dirait pas son nom ? Notre démocratie se rapprocherait alors d'un régime semi-autoritaire et aurait ainsi réussi l'impossible : avoir changé de forme tout en gardant son nom ou avoir masqué depuis toujours sa véritable nature sous un faux nom.