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19/11/2013

Une vie de sauvage

Jean-Claude Barreau et Guillaume Bigot concluent leur livre Toute l'histoire du monde, de la préhistoire à nos jours (Fayard), par cette citation : «En affaiblissant parmi eux le sentiment du bien commun, en dispersant les familles, en interrompant la chaîne des souvenirs, en accroissant outre mesure leurs besoins, on les a rendus moins civilisés qu'ils n'étaient». "Tocqueville parlait de l'influence néfaste de la modernité sur les indiens."

Alexis de Tocqueville a vécu dans la première moitié du XIXe siècle, au début de l'Ère industrielle. Historien et homme politique français, il reste dans les mémoires comme l'auteur d'un ouvrage : De la démocratie en Amérique. Le Petit Robert précise que «Très sensible aux progrès constants de l'égalité, Tocqueville pense cependant qu'il peut découler de la démocratie (...) un redoutable danger, le despotisme de la majorité (...)».

Mais c'est un autre despotisme qu'il évoque dans la citation qui nous intéresse, celui de la modernité, devenue absolue, arbitraire et oppressive. Une modernité qui s'impose à tous sans discussion et force les individus à s'accommoder sans relâche à toutes les "transitions". Et les dégâts énoncés par Tocqueville sont les mêmes constatés aujourd'hui dans nos nations "civilisées" où l'homme "est rendu comme étranger à lui-même".

Les sciences et les techniques même si elles "contribuent au bien-être, à la commodité de la vie matérielle", n'apportent pas à l'être humain de réponses à ses questions existentielles. Les sociétés contemporaines dites développées l'acculent à courir après "les biens de ce monde" pour les accumuler à plaisir, et à courir après les plaisirs pour "se changer les idées", négligeant les biens de nature intellectuelle, spirituelle, esthétique.

Alain écrivait : «Dès que la vie matérielle est bien assurée, tout le bonheur reste à faire». Les pays riches en sont là. En perdant de vue que la seule vraie richesse, c'est l'homme, on a perdu de vue son équilibre physique et mental, et ses nobles aspirations. Et en axant sur les biens de nature matérielle, dans le but d'en produire et faire consommer le plus possible, on a fait de l'homme un moyen matériel, des hommes un "matériel humain".

L'individu ne s'appartient plus. Le type de vie qu'on lui fait mener, a pour effet de le vider. Son for intérieur assailli par toutes les tentations, il est comme sorti de sa nature, bouté "hors de lui" : "en proie à l'agitation, à l'égarement ou à l'extase". Avec l'oubli du bien général, la mobilité de la main-d'œuvre, les familles éclatées, la rupture d'avec le passé, la surconsommation, il se trouve ainsi peut-être moins civilisé que ses ancêtres.

23/04/2013

Les assurances n'évitent pas le danger

"Risque zéro", cette expression à la mode nous en dit peut-être plus que nous ne le pensons sur notre drôle d'époque. Le zéro est d'ailleurs un "héros" pour nos concepteurs de formules prêtes à l'emploi. "Prêt à taux zéro", "tolérance zéro", "croissance zéro"..., la liste est longue de ces tournures ou clichés nous signifiant que dans les cas évoqués, le risque, le taux, la tolérance ou la croissance sont nuls ; inexistants.

Le risque, dans les deux sens de "danger éventuel plus ou moins prévisible" ou "fait de s'exposer à un danger (dans l'espoir d'obtenir un avantage)", n'est pas exactement celui qui nous intéresse. Il est davantage question en effet ici de l’"éventualité d'un événement ne dépendant pas exclusivement de la volonté des parties et pouvant causer la perte d'un objet ou tout autre dommage". Mais en fait, les trois sens se rejoignent.

Par extension poursuit Le Petit Robert, c'est un "événement contre la survenance duquel on s'assure". Dans une société "pleine de risques", il n'est donc pas surprenant que l’"assurance tous risques" ou "multirisque" batte son plein. Surtout quand vivre ou faire quelque chose "à ses risques et périls" devient inacceptable, quand la sécurité constitue la demande première d'individus peu préparés à "prendre des risques".

Les "facteurs de risque" sont multiples dans nos organisations complexes et progressent parallèlement aux techniques. La pression du marché rend moins prudents des décideurs (qui souvent ne sont pas les payeurs), et les autorisations de mise sur le marché sont parfois données légèrement, sans estimation précise des risques, "au risque de" commettre l'irréparable. Les risques sont de moins en moins "calculés".

"Il n'y a aucun risque", "pas de danger" nous disaient nos parents dans notre enfance pour nous pousser à oser, à risquer. Aujourd'hui le risque n'est plus nul pour n'importe quelle activité ; sans parler des risques sociaux. Tout est "à risque(s)". Et les compagnies d'assurances l'ont compris. L'une d'elles affirmait dans une publicité : «Non. Le risque zéro n'existe pas», et signait son logo d'un slogan : «Faire face avec vous».

Face à un monde de tous les dangers, nous voici bardés d'assurances en tous genres. Mais celles-ci, comme la peur qu'inspire cette société, qui paralyse ou fait fuir, n'évitent pas le danger. Mieux vaudrait la prévention que la réparation, et un développement modéré et prudent - responsable - pour nous rassurer. Et nous redonner de l'assurance, nécessaire pour entreprendre ; car dans la vie, "on n'a rien sans risque", zéro !

16/10/2012

Des Lumières à l'obscurantisme

Ah cet admirable esprit cartésien ! Depuis le Siècle des lumières, nous louons la rationalité du peuple français et son brio. Les sciences, les technologies nous ont permis d'atteindre un degré de développement exceptionnel. L'instruction s'est généralisée, la culture n'a jamais été aussi riche et accessible. La profusion des moyens de communication a réduit notre planète à un village global que l'on sillonne en voiture, car, train, avion, bateau... ou par courrier, téléphone, télécopieur, télévision, ordinateur... Entrer en communication avec un habitant du bout du monde est devenu plus facile que d'aller taper à la porte de son voisin.

Mais l'avancement des connaissances et le progrès technique ne semblent pas avoir éclairé la raison des hommes. Jacques Le Goff, historien spécialiste du Moyen Age, disait dans Le Point : «(...) Je ne crois pas que le Moyen Age ait été obscurantiste en général, et en particulier dans le domaine religieux. Quand je vois l'impact des sectes sur nos contemporains, le nombre et le statut social et intellectuel des gens qui en cachette se précipitent chez les cartomanciennes et les diseuses de bonne aventure, je me demande où est l'obscurantisme. Les hommes du Moyen Age étaient plus sincères et plus rationnels dans leurs croyances et leurs pratiques !».

D'où vient le fait que l'homme moderne soit ainsi perdu ? Peut-être, comme le suggérait Alain Finkielkraut, à cause de cette ingratitude, cet oubli, cette méconnaissance des bienfaits reçus du passé ou ce refus de les reconnaître. Peut-être aussi du fait que comme l'aurait écrit Marc Twain : «Ce n'est pas tant ce que les gens ignorent qui cause problème ; c'est tout ce qu'ils savent et qui n'est pas vrai». Peut-être enfin parce qu'ont été relégués au second plan la littérature, la philosophie, l'histoire, la géographie, la morale, la religion, les arts..., au profit des savoirs scientifiques et surtout professionnels et techniques directement utilisables et exploitables.

L'obscurantisme fait son nid dans le manque ou l'absence de curiosité, de mémoire et de culture générale et classique, dans les préjugés, la superstition, la crédulité, l'incohérence, l'inexactitude, le refus de se remettre en question... A force de vivre uniquement dans la certitude de l'instant présent, nous perdons le sens de l'aventure humaine et de notre existence. Et nous négligeons les richesses de notre patrimoine universel, ces sources lumineuses de vérité et de liberté, de beauté et de bonté, en un mot de sagesse.