07/05/2021
La politique de l'autruche
C'était en 2001, une éternité. A l'exemple du mot d'ordre d'une grande enseigne commerciale, nous étions sommés de "positiver". Foin des critiques, plaintes et autres mécontentements ! L'heure était à l'optimisme. Il s'agissait donc d'être constructifs ! Et pourquoi pas d'appliquer la méthode Coué qui en appelle à l'autosuggestion, en répétant chaque matin devant notre miroir : "tout va bien, la vie est belle, je choisis d'être heureux".
Puis de rejoindre le gros de la troupe qui marche au pas, appelée alors par Lionel Jospin à une attitude patriotique : "consommez !". C'est de ces rangs que se dégageait lors de fréquentes enquêtes d'opinion une forte majorité se déclarant heureuse. Dont une part de chômeurs, RMIstes, exclus, travailleurs pauvres, smicards, etc. Quel était donc cet étrange opium du peuple aboutissant à une telle euphorie ?
Pascal Bruckner suggérait dans son livre L'euphorie perpétuelle chez Grasset, un devoir de bonheur. A la manière du «Il est interdit d'interdire», il serait interdit d'avoir l'air malheureux, d'avouer son mal de vivre. L'expression de la souffrance, de la tristesse, de l'angoisse, du doute... serait proscrite. Haro sur les mélancoliques, les pessimistes, les malchanceux, les miséreux... qui vous gâchent le plaisir.
Car cette nouvelle religion du bonheur factice a ses adeptes fanatiques qui s'étourdissent d'achats et de distractions. Dans leur idée fixe à rechercher et afficher leur satisfaction, ils ne se refusent rien et profitent de la vie sans scrupules. Promenant leur air béat dans des commerces et des festivités incessants, maudissant les trouble-fêtes, ces impies irrespectueux de la frénésie organisée.
Toutefois, est-ce tant l'argent et l'amusement qui font le bonheur ? Certes, ils aident à tuer le temps pour éviter l'ennui, à combler un vide. Mais ce qui fait le bonheur, ne serait-ce pas plutôt l'inconscience, l'égocentrisme et la santé ? Les hommes se détournant de la réalité, se repliant sur eux-mêmes et vouant un culte à leur corps. Sorte d'évasion dans un monde virtuel tourné sur leur personne.
A moins que la simple joie de vivre et les joies simples de la vie suffisent au bonheur de beaucoup. Se contenter de ce que l'on a, de ce qui s'offre, voilà le secret ; une résignation par lâcheté. Inutile de se compliquer la vie. Les ennuis viendront bien assez tôt. Il n'y a qu'à fermer les yeux et se laisser aller droit dans le mur. «Ce qui est magnifique, écrivait Robert Bresson, c'est que pour rassurer les gens, il suffit de nier l'évidence.»
09:59 Publié dans Optimisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mot d'ordre, positiver, optimisme, être constructifs, méthode coué, autosuggestion, troupe, lionel jospin, attitude patriotique, consommez !, opium du peuple, pascal bruckner, l'euphorie perpétuelle, devoir de bonheur, plaisir, adeptes fanatiques, achats, distractions, satisfaction, profiter de la vie, sans scrupules, commerces, festivités, frénésie organisée, argent, amusement, inconscience, égocentrisme, santé, déni de réalité, repli sur soi, culte du corps, évasion, virtuel, joie de vivre, joies simples, résignation, se compliquer la vie, ennuis, robert bresson, nier l'évidence | Facebook |
06/02/2020
Contre les crimes contre notre humanité
«L'Homme est-il en voie de disparition ?» Nulle connotation écologique dans cette expression, ni apocalyptique d'ailleurs. Juste une question qui tenaillait Jean-Claude Guillebaud, concernant l'humanité de l'Homme, ce qui nous fait Homme. Pour cet écrivain, journaliste et éditeur qui donnait une série de conférences sur ce thème il y a une petite vingtaine d'années, Le Principe d'humanité (titre d'un de ses ouvrages au Seuil) courait de grands dangers.
Partant de son expérience de grand reporter au Monde, Jean-Claude Guillebaud exposait ses craintes. «La petite pellicule de civilisation qui nous recouvre, est si fragile. Nous sommes tellement menacés de "rebasculer" dans la barbarie.» Et les trois révolutions simultanées qu'il observait depuis une quinzaine d'années : économique, informatique et génétique, pouvaient d'après lui être porteuses de ce retour à l'inhumanité.
«Je suis convaincu qu'on n'a pas mesuré l'ampleur des changements que Michel Serres, philosophe et historien des sciences, estime comparable à celle du néolithique, il y a 12 000 ans, quand l'Homme se sédentarisa, domestiqua les plantes et les animaux... Ampleur à laquelle s'ajoute une rapidité sans précédent. Et je ne peux que constater combien les débats politiques et médiatiques sont dérisoires.»
La pensée est prise de vitesse, et nous voilà pris au dépourvu. «Le virtuel bouscule nos concepts de temps et d'espace. La politique - donc la démocratie - se trouve déconnectée de l'économique, du fait de la mondialisation. Le cyberespace est une jungle toujours plus touffue et largement inexplorée, vers laquelle toutes les activités humaines tendent. Et l'Homme est maintenant capable d'intervenir sur la vie elle-même.»
L'Homme devient l'objet de ses propres manipulations. Et au nom du profit, tout est permis. Les exemples de dérives ne manquent pas. Extrêmes et minoritaires certes, mais pour combien de temps encore ? Nos valeurs s'égarent, "II n'y a plus de certitude absolue", "Tout est relatif !"... Et une certaine idée du Bien est mise à mal dans ce monde qui va un train d'enfer et repousse chaque jour un peu plus les limites du possible.
La seule réponse pour Jean-Claude Guillebaud, serait de revenir au Code de Nuremberg rédigé au temps du procès du même nom. Définissant ce qu'est un Homme, ce texte pose quatre frontières et un principe. «L'Homme n'est pas un animal ni une machine ni une chose et ne se réduit pas à la somme de ses organes. Il est indivisible : il n'y a ni surhomme ni sous-homme ; on ne peut pas être Homme à moitié.»
10:45 Publié dans Crime contre l'humanité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : l'homme est-il en voie de disparition ?, jean-claude guillebaud, l'humanité de l'homme, ce qui nous fait homme, écrivain, journaliste, éditeur, conférences, le principe d'humanité, éditions du seuil, grand reporter au journal le monde, civilisation, barbarie, révolution économique, révolution informatique, révolution génétique, retour à l'inhumanité, ampleur des changements, michel serres, rapidité sans précédent, débats politiques et médiatiques dérisoires, la pensée est prise de vitesse, nous voilà pris au dépourvu, virtuel, temps, espace, démocratie, mondialisation, cyberespace, l'homme : capable d'intervenir sur la vie elle-même, l'homme : objet de ses propres manipulations, profit, tout est permis, dérives, valeurs, tout est relatif, bien, monde qui repousse les limites du possible, code de nuremberg, animal, machine, chose, l'homme est indivisible, surhomme, sous-homme | Facebook |
22/03/2019
Flagrant délit de fuite
Ainsi va notre époque : nous nous agitons, mais nous agissons peu, dans le sens de «transformer plus ou moins ce qui est», de changer le monde, de préparer l'avenir. Profiter du moment qui passe, jouir de l'instant, tel semble être notre unique souci. Et foncer tête baissée dans le brouillard, dans le mur peut-être. Au mieux, vouloir refaire le monde en paroles, mais en fait suivre le mouvement, être dans le mouvement.
Et comment pourrait-il en être autrement ? «La Fin de l'histoire» diagnostiquée par Francis Fukuyama, signifie que le modèle de la démocratie libérale paraît aujourd'hui indépassable. Bien sûr, il y aura des coups d'arrêt voire des retours en arrière, mais le chemin apparaît tout tracé. Et mises à part des améliorations ici ou là, notamment concernant la participation des citoyens et des salariés, il n'y a rien d'autre à espérer.
L'avenir n'est plus ouvert. Il n'y a plus d'horizon. Le quotidien envahit notre vie. «Une vie de détails», sans éclat, sans souffle ni élan, faite de "petits bonheurs" dont nous devons nous satisfaire. «No future», mais la routine d'un présent qui ne rime et ne mène à rien. Avec pour obsession : la fuite des temps morts dans des passe-temps stériles, de peur peut-être de nous retrouver seuls face à nous-mêmes et à notre misère morale.
Combien sommes-nous à nous réfugier ainsi dans un monde fictif pour échapper à l'insupportable réalité du présent ? Ce qui a de l'avenir, c'est le virtuel. Les trois "i" - images, icônes, idoles - nous maintiennent dans le "purement symbolique" ou l'illusion. Pourvoyeurs d'émotions, ils nous subjuguent, nous transportent "sur place" par médias interposés : BD, presse illustrée, cinéma, télévision, vidéogramme, ordinateur...
Et là devant nos écrans, devant tous ces "miroirs" qui nous renvoient des images d'Epinal, superficielles, des images déformées de la réalité, partielles voire partiales, des images qui nous embrouillent, nous aveuglent, nous abusent et obscurcissent plus qu'elles n'éclairent le présent et l'avenir, nous nous laissons aller, vivre et faire. Déconnectés du monde réel, nous nous vidons l'esprit devant le vide du spectacle présenté.
La torpeur nous envahit. Bien confortablement installés dans notre rêve éveillé, nous vivons sur des acquis et profitons de rentes de situation. Pourquoi ne pas laisser les choses telles quelles ? Ne vaut-il pas mieux ne pas trop réfléchir, ni trop se poser de questions ? et en rester à nos occupations pendant que d'autres s'occupent de parler et parfois d'agir à notre place, de nous endormir et de s'endormir sur des lauriers bien fanés.
10:00 Publié dans Déclin | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : changer le monde, préparer l'avenir, profiter du moment qui passe, jouir de l'instant, foncer tête baissée, suivre le mouvement, la fin de l'histoire, francis fukuyama, démocratie libérale, plus d'horizon, le quotidien, vie de détails, petits bonheurs, no future, routine, passe-temps stériles, misère morale, monde fictif, virtuel, images, icônes, idoles, purement symbolique, illusion, émotions, médias, écrans, miroirs, déconnectés, se vider l'esprit, spectacle, torpeur, rêve éveillé, acquis, rentes de situation, ne pas trop réfléchir, ni trop se poser de questions, occupations, parler, agir, s'endormir, lauriers | Facebook |