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21/09/2018

Contre la médiocratie, vouloir comprendre pour (se) sauver

Expliquer le monde, quoi de plus difficile quand IL FAUT "faire simple". "Trop compliqué" disent certains qui semblent presque revendiquer leurs limites, voire s'en vanter. Mais c'est le monde qui est compliqué ! "Lire tous ces livres, c'est pas du boulot !", "Ah vous lisez, vous n'avez rien d'autre à faire !?", voilà quelques remarques qu'on peut entendre, signe du mépris de notre temps pour la chose écrite et pour le travail intellectuel.

Mais n'est-ce pas logique quand la lecture n'est vue que comme une détente ? Il n'y a pourtant pas que des romans à l'eau de rose ou des romans de gare. «La caractéristique de l'époque, c'est que l'homme vulgaire, tout en se sachant vulgaire, ose affirmer le droit à la vulgarité et l'impose partout» disait José Ortega y Gasset. A contrario, on peut tenter de comprendre le climat actuel pour le restituer le plus fidèlement possible.

L'écrivain et philosophe Régis Debray a publié en 2007 Aveuglantes Lumières, Journal en clair-obscur chez Gallimard. Il faut se concentrer, lire plusieurs fois des passages, accepter que certains passent au-dessus de la tête, mais persévérer parce que c'est l'honneur d'un être pensant que de vouloir comprendre. Ce n'est pas parce que c'est difficile qu'il ne faut pas oser, c'est parce qu'on n'ose pas que tout devient difficile (Sénèque).

C'est plus difficile que le sport, les variétés, les jeux, les séries ou les informations à la télé, qui sont les émissions les plus regardées. Mais si on peut passer plus de trois heures trente en moyenne chaque jour devant le poste (sans parler des autres écrans), on peut bien lire une heure ou deux, non ?! Dépasser ses limites intellectuelles est également digne d'estime. Ou alors, il ne faut pas se plaindre de ne rien comprendre et il ne faut s'en prendre qu'à soi-même.

Donc, Régis Debray écrivait ceci : «Le trait majeur du climat spirituel où baigne notre présent, et dont je n'aperçois guère de précédent dans notre histoire, n'est-ce pas la peur amputée de l'espoir ?». Voilà, tout est dit. Bien sûr, il faut lire quelques pages avant d'en arriver là, mais tout à coup, l'on comprend mieux. D'autant qu'il complétait son propos dans une page du Monde, à lire et relire avant de saisir, et encore pas tout.

«Nous ne faisons partie d'une nation (...) qu'en mémoire et en espérance. L'union des grains de poussière n'existe que par et dans une verticale. Supprimez la profondeur de temps, et les séparatismes vous sauteront à la gorge.»Tocqueville disait : «II n'y a au monde que le patriotisme ou la religion qui peuvent faire marcher pendant longtemps vers un même but l'universalité des citoyens». C'est là ce qu'il nous faut : de l'excellence et de la grandeur, voire du génie. Les plaies de la société française ne peuvent plus souffrir la médiocrité intellectuelle et morale.

14/09/2018

Fin de "la politique du pire" ?

 

Laisser parler ou éveiller ce qu’il y a de pire chez beaucoup pour justifier l’inadmissible… Rappelons-nous.

 

 

Parmi les multiples déclarations du "meilleur de nos candidats" durant la campagne de l'élection présidentielle de 2007, une avait particulièrement suscité des réactions, celle faite à Michel Onfray dans les colonnes de Philosophie magazine. « (…) J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable (…) ».

Cette déclaration pouvait faire penser aux travaux de deux psychologues à la Stern School of Business de New York, Justin Kruger et David Dunning, qui démontraient l’association de l’incompétence et de la confiance en soi chez les plus mauvais de leurs candidats à un test de compétence logique, en soulignant qu’elle constitue un moteur de réussite professionnelle. Les personnes inconscientes de leur incompétence montrent un aplomb imperturbable, ce qui est un plus devant des recruteurs… ou des électeurs.

 

Le plus intéressant c’était que "le meilleur de nos candidats" ne s’arrêtait pas là. Il ajoutait : « Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire (…) ». La toxicité du tabac (ou d’autres substances) n’est pourtant plus à démontrer. Elle est d’ailleurs si élevée que, suivant la classification, sa vente devrait être réglementée pour les personnes majeures. Mais là tout est inversé : le tabac, les cigarettiers, l’Etat… ne sont pas responsables, leurs victimes sous l’emprise de pressions psychologiques et de la nicotine sont coupables. Et on ose leur dire, à eux et à tous ceux atteints précocement par des affections, que "c'est la faute à pas de chance" ou alors à leur "Terrain favorable" qui serait comme une provocation pour les "Facteurs déclenchants". La génétique, espère-t-on, remédiera un jour au "Terrain". Quant aux "Facteurs", s'y attaquer vraiment serait remettre en question une partie de notre mode de vie. Et «notre mode de vie n'est pas négociable», comme disait Georges Bush père.

 

L’idée ainsi exprimée relève d’une morale de vainqueurs, en fait dominante dans des sociétés qui font le malheur de plus en plus d'êtres humains auxquels elles prétendent pourtant vouloir du bien, qui leur empoisonnent la vie, qui les rendent malades. "Malheur aux vaincus !" Doublement, car en plus d’être sacrifiés, ils sont oubliés de « l’histoire officielle et menteuse » écrite par les vainqueurs. Et c’est pourquoi cette dernière déclaration sur les fumeurs n’avait suscité aucune réaction, ni à droite ni à gauche.

 

"Le meilleur de nos candidats" faisait remonter ce qu’il y a de pire chez beaucoup : le fait de considérer que le malheur, la maladie ou la mort prématurée sont des détails de l’histoire, que "c’est la faute à personne" ou "à tout le monde" (ce qui revient au même), que les fragiles, les faibles n’ont que ce qu’ils méritent et que c'est "tant pis pour eux", qu’ils ont besoin d’être soignés, d’être traités et qu’un jour la science y pourvoira… C’était tout le génie (n’ayons pas peur des mots) du "meilleur de nos candidats", l'un des nombreux "responsables de ce qui va", de flatter ainsi les plus bas instincts.

 

Et ce n’est peut-être pas fini. "Ensemble tout est possible" encore pour édifier « le meilleur des mondes possibles ».

 

 

 

07/09/2018

Retrouver nos idéaux pour faire les bons choix

«Le problème qui se pose est celui de la dépossession : le cours du monde tend à nous échapper.» Luc Ferry résumait bien la situation dans une interview accordée en juin 2006 à L'Est Républicain. «La mondialisation trahit (...), précisait-il, la promesse de la démocratie, celle selon laquelle nous allions pouvoir collectivement faire notre histoire, avoir un mot à dire sur notre destin.» Reste une démocratie "dénaturée" en quelque sorte.

Philippe Séguin ne pensait pas autrement, lui qui en 2002 disait : «notre situation est caricaturale : on bavasse pour des peccadilles alors que les vraies décisions nous sont imposées d'ailleurs». De là l'impression chez les Français que «leur vote ne sert plus à rien». «J'ai toujours dit, ajoutait-il, que cette élection présidentielle ne prendrait du sens que dès lors qu'on ouvrirait aux Français la perspective de la reprise en main de leur destin.»

Cependant affirmait-il, «Le dire vous vaut disqualification immédiate pour anti-mondialisme et anti-européisme primaires. Pourtant, comment ne pas souhaiter la résorption du déficit démocratique européen et une mondialisation sans globalisation ?». On se le demande en effet et le problème se pose dans les mêmes termes seize ans plus tard. Toutefois les hommes politiques ont-ils le pouvoir d'une «reprise en main du cours de l'Histoire»?

Luc Ferry en doutait. Mais alors, si les politiques ont été dessaisis des affaires du monde et sont réduits à expédier les affaires courantes, à gérer les conséquences, que reste-t-il de la liberté ? Roger Caillois écrivait que «La liberté n'existe que là où l'intelligence et le courage parviennent à mordre sur la fatalité». Aujourd'hui, l'intelligence et le courage se retrouvent au service de la fatalité : les choix, les mesures, les solutions... s'imposent.

"Savoir, c'est pouvoir", "Vouloir, c'est pouvoir" disent deux locutions proverbiales. Mais le savoir et la volonté des hommes leur permettent-ils encore d'avoir une action sur la marche du monde ? En outre, il faudrait pouvoir choisir et savoir choisir. Mais si peu ont leur mot à dire et du reste, beaucoup ne sauraient que dire. Alors, «Quand les hommes ne choisissent pas, remarquait Raymond Aron, les événements choisissent pour eux».

L'on choisit pour nous et nous subissons les événements. Ayant perdu en route nos idéaux de départ, dont l'idéal démocratique et l'idéal humaniste, nous voilà désorientés, ne sachant où aller et tentés de nous laisser porter. Albert Schweitzer écrivait : «L'idéal est pour nous ce qu'est une étoile pour un marin. Il ne peut être atteint, mais il demeure un guide», qui nous aide à choisir une direction, à savoir ce que nous voulons.