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02/06/2020

Les coups de l'été 2003

Souvenons-nous de l'été 2003. Les coups n'avaient épargné personne, ni les agriculteurs, ni les pompiers, ni les vacanciers, ni les personnes âgées, ni une actrice française. Tous victimes de circonstances dites exceptionnelles mais que certains experts annoncent courantes dans l'avenir. Cet été n'aurait alors été qu'une sorte de répétition générale où l'on a pu constater notre impuissance face à la nature et à la folie des hommes.

Ce fut poignant de voir en parcourant la France nos prairies si vertes et nos champs si dorés d'ordinaire, brûlés par les coups de soleil. Et tous ces arbres roussis, grillés sur pied. Même le raisin rabougri ne laissait augurer qu'une grande année en qualité, mais la quantité n'y serait pas. Après les gelées de printemps, quelques mois de sécheresse avaient suffi pour s'apercevoir de notre fragilité et de notre dépendance à l'eau.

L'eau tombée du ciel - des canadairs - ou projetée par les lances d'incendie n'avait pas manqué, mais pas empêché non plus que 45 000 hectares de forêts, maquis, garrigues soient réduits en cendres. Et nous n'étions qu'en août, l'été n'était pas fini. Jusqu'en octobre, les risques et les menaces des incendiaires restèrent élevés. Les coups de feu avaient ainsi carbonisé nos arbres, après les coups de vent dans le Sud-Ouest qui les avaient abattus.

Abattus et même achevés pour ainsi dire, beaucoup de nos anciens étaient tombés sous les coups de chaleur. On parlait de 10 000 morts pour les seules trois premières semaines d'août. Mais de juin et de juillet, on ne parlait pas. Le bilan définitif (19 000 décès) peut être considéré comme incroyable pour un pays dit développé. La faute à personne ou à tout le monde (ce qui revient au même) ; un monde déshumanisé, peuplé d'irresponsables.

Un monde où un chanteur pacifiste et entier, au désir trop noir, avait porté des coups fatals à une actrice passionnée et fragile semble-t-il. Après le coup de foudre, le coup de sang irrémédiable, inqualifiable, impardonnable. Une chaleur, au sens figuré du terme, qui avait tout échauffé, un feu qui avait tout consumé, un vent de folie qui avait tout balayé. Une folie qui paraît-il guette de plus en plus l'esprit humain dans nos sociétés aliénantes.

Par cet été 2003, l'homme se révélait donc bien démuni devant ces forces naturelles qui se déchaînaient et ces forces propres qu'il avait créées ou libérées. "Les quatre éléments", «considérés par les Anciens comme principes constitutifs de tous les corps, les composants ultimes de la réalité» - la terre, l'eau, l'air et le feu - se rappelaient à lui. Croyant la dominer, la soumettre, il se retrouvait en fait en butte à une nature qui dictait ses lois, comme ce microscopique virus au coût humain, socio-économique et financier macroscopique.

21/05/2020

Le temps retrouvé

«C'est en forgeant qu'on devient forgeron.» Ce proverbe vantant en quelque sorte les mérites de l'apprentissage, n'est plus guère employé de nos jours où l'on se doit d'être rapidement opérationnel. Ce côté désuet nous dit aussi la révolution qu'a été pour l'homme le passage d'une société d'agriculteurs, d'artisans et d'ouvriers à une société de salariés, d'employés ; d'une société de l'outil à une société de la machine.

Comme l'agriculteur producteur, l'artisan ou l'ouvrier qui forge, façonne, fabrique un objet, de la matière première au produit fini, et le vend ou le troque, est une "espèce en voie de disparition", si elle n'a pas déjà disparu, en tout cas dans nos sociétés modernes. Et pourtant ce fut cela être un homme pendant des millénaires. Faire quelque chose, produire de ses mains, en maîtrisant tout le processus et les moyens de production.

La dignité du travailleur résidait dans cette part de création, de conception, d'élaboration, d'invention que recelait son métier. L'homme de métier n'avait rien à voir avec le simple exécutant, l'agent ou le technicien apparus avec l'organisation de la production industrielle qui a impliqué progressivement "mécanisation, automatisation, robotisation, informatisation", mais aussi "rationalisation, spécialisation, standardisation".

L'exécution de tâches fragmentaires, souvent répétitives, a sonné le glas du "vrai métier" que l'on choisit, que l'on apprend, que l'on pratique, que l'on transmet, dur parfois mais beau, ayant ses nécessités, ses risques et aussi ses joies. Ce métier qui demandait du temps pour "rentrer", en "connaître toutes les ficelles". Du temps avant de "savoir" et "faire son métier", avant de pouvoir affirmer "être du métier" et "avoir du métier".

«C'est en forgeant qu'on devient forgeron», soit : "c'est à force de s'exercer à quelque chose, qu'on y devient habile". Le temps que l'on se donnait à cette fin, est tout entier contenu dans cette phrase. Le temps nécessaire pour parfaire son travail, chercher sans cesse à l'améliorer. «Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage» écrivait Boileau. Heureux temps où l'on avait le temps, où il n'y avait pas de sot métier.

Aujourd'hui le temps libre permet à beaucoup d'hommes de retrouver le temps où le travail était un plaisir. C'est ainsi que des métiers d'antan sont en partie devenus des loisirs. Bricolage, jardinage, ouvrages manuels... redonnent à l'homme épris de liberté, d'autonomie, le bonheur de construire, de confectionner, de modeler, de modifier, de transformer, de cultiver, de faire pousser, d'imaginer... à son gré ; et aussi une certaine joie de vivre.

06/05/2020

Grandeur et... déclin

L'idée de déclin fait son chemin. Elle ne date pas d'hier, mais elle est peut-être aujourd'hui plus d'actualité. Bien sûr le mot "déclin" évoque celui de l'empire romain suivi de sa chute. "Notre" déclin n'aurait cependant rien à voir avec une décadence par définition «fatale, inéluctable» et conduisant à la ruine, comme le précisait Nicolas Baverez au Point à l'occasion de la sortie de son livre La France qui tombe aux éditions Perrin en 2003 (!).

Du côté de la classe politique en place - qui entend gouverner les citoyens par une simple communication positive et par la seule gestion des aspects pratiques, utilitaires de la société -, on désigne les Français comme principaux responsables de cette situation sclérosée. Mais curieusement, le "pouvoir" décline toute responsabilité. Ce qui ne devrait pas diminuer ce «dégoût de la politique» qui ne cesse de monter.

A ce propos, Jean-Marie Rouart citait dans Adieu à la France qui s'en va (Grasset), ce passage du livre d'André Rousseaux sur Péguy, lu par De Gaulle à Claude Mauriac : «Les politiques se rattrapent, croient se rattraper en disant qu'au moins, ils sont pratiques et que nous, nous ne le sommes pas. Ici même, ils se trompent. Et ils trompent. Nous ne leur accordons même pas cela. Ce sont les mystiques qui sont même pratiques...

«... et ce sont les politiques qui ne le sont pas. C'est nous (...), qui faisons quelque chose, et c'est eux (...), qui ne font rien. C'est nous qui amassons et c'est eux qui pillent. C'est nous qui bâtissons, c'est nous qui fondons, c'est eux qui démolissent. C'est nous qui nourrissons et c'est eux qui parasitent. C'est nous qui faisons les œuvres et les hommes, les peuples et les races. Et c'est eux qui les ruinent».

Et De Gaulle d'affirmer : «Je n'ai jamais fait de politique» ; ajoutant : «Il est vrai que j'ai dû quitter le pouvoir afin précisément de continuer à n'en point faire». Voilà qui dit tout de l'homme qui se faisait une certaine idée de la France et «n'aura que sarcasmes pour les professionnels de la politique qui, comme l'écrit Péguy, "saccagent l'idéal"». La grandeur, c'est l'opposé de la faiblesse, de la petitesse, de la bassesse.

Hannah Arendt notait chez Platon, une évolution dans sa théorie politique : «dans La République, pour distinguer entre gouvernants et gouvernés, il se guide sur les rapports entre expert et profane ; dans Le Politique, il s'appuie sur la relation entre savoir et faire ; dans Les Lois, tout ce qui reste à l'homme d'Etat, tout ce qui est nécessaire au fonctionnement du domaine public, c'est l'exécution de lois inchangeables. Ce qui est surtout frappant dans cette évolution, c'est la diminution progressive des facultés qu'exige l'exercice de la politique». Une sorte de déclin.